LECTURES VAGABONDES

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Noëlle Revaz : Rapport aux bêtes/ Bien sous tout rapport

 

 

          Décidément, le monde paysan est un sujet inépuisable et porteur en littérature ! De l’incontournable La terre de Zola, en passant par de grandes sagas type Des grives aux loups, on ne compte plus les œuvres qui prennent les campagnes de notre belle France comme lieu pour y planter une intrigue de roman. Ainsi donc, que dire de ce roman – certes un peu « ovni » - écrit par Noëlle Revaz, intitulé Rapport aux bêtes et paru en 2002 aux éditions Gallimard ?

 

          Nous sommes donc en pleine campagne agricole dans une région de France mal définie. Paul est un paysan grossier, vulgaire, violent, j’en passe et des meilleures. Il est marié à une femme qui parle peu, qui semble un peu simple d’esprit, qui subit l’autoritarisme d’un mari qui a l’habitude de lever la main sur elle. Est-ce un sobriquet ou son véritable prénom ? Paul appelle sa femme – et mère de ses « petits » dont on ne connaît ni le nom ni le nombre – Vulve. Le temps d’un été, le couple emploie un travailleur saisonnier portugais prénommé Georges. A son contact, Paul va évoluer, devenir plus humain et surtout, changer d’attitude vis-à-vis de sa femme dont, jusqu’à présent, il ne voulait pas reconnaitre la maladie - Vulve souffre d’un cancer. Sous la houlette de Georges, Paul accepte de la laisser partir pour l’hôpital où elle se fait opérer et soigner avec succès. Petit à petit, Paul s’humanise avec l’aide de Georges : ce dernier va rendre visite à Vulve à l’hôpital – Paul n’est pas encore prêt à laisser sa ferme et son boulot pour se rendre à la ville – et porte une lettre que son mari lui a écrite. Lorsqu’elle revient, Paul et Gorges organisent une petite fête. Paul accepte de laisser à sa femme la chambre de son père décédé depuis longtemps et qui restait inoccupée et sanctuarisée. Par ailleurs, Paul commence aussi à considérer son bétail autrement que comme un outil de travail. La naissance du veau Morue le ravit et il se sent proche de la vache Jasmine, sa mère. Lorsque vient l’automne, Gorges s’en va et le train-train reprend lorsque l’épidémie de la vache folle décime le troupeau de Paul. Mais désormais, ce dernier a une femme et avec elle, il est prêt à tout recommencer, autrement.

 

          De prime abord, ce qui frappe dans Rapport aux bêtes, c’est le style de l’auteure. Ce roman est écrit dans le parler paysan de Paul ; la langue française et sa syntaxe sont malmenées, ce qui donne tout d’abord, une tournure particulière à l’écriture de Noëlle Revaz, mais aussi une force singulière au roman. D’une manière générale, ce « mauvais parler » donne de la force aux propos du narrateur, le paysan Paul, mais aussi du relief et de la nuance ; certes, la parole est rude, mais, plus on avance dans le roman, plus elle exprime une certaine tendresse en demi-teinte, mais aussi, une véritable poésie, à de nombreux moments.

           Rapport aux bêtes dresse le portrait d’un paysan à la fois particulier – il s’agit de Paul et non d’un personnage qui servirait de paradigme aux autres – et qui correspond aussi à une image toute faite du gros plouc rustre, frustre, violent, misogyne, phallocrate… Pour tout dire, avant l’arrivée de Georges, Paul considère sa femme comme une bête, les enfants issus de son union avec elle sont indifférenciés (ce sont « les petits »). Bref, la famille de Paul pourrait tout aussi bien crécher dans l’étable à vaches. Quant à Vulve, la femme de Paul, elle reste énigmatique, transparente, écrasée qu’elle est par son mari dont le lecteur finit par penser que s’il y a une bête, dans ce roman, c’est bien lui, le Paul, le narrateur répugnant.  

          Ce couple ma foi bien réjouissant va être chamboulé par le travailleur saisonnier portugais Georges. Avec ses conseils, ses décisions, il semble faire la loi à la ferme, ce qui ce qui énerve Paul. Par ailleurs, à cause de la présence d’un autre homme à la ferme, Paul découvre que les sentiments qu’il nourrit à l’égard de son épouse sont plus forts qu’il croyait car notre paysan est jaloux comme un pou ! Il soupçonne une liaison entre Vulve et Georges. Désormais, il trouve Vulve belle et devient possessif. A la fin du roman, Vulve est devenue « femme » et n’est plus une « bête ». « Femme », c’est le dernier mot de Rapport aux bêtes.

          Ainsi, Rapport aux bêtes propose du monde paysan une image crue et sans concession, de prime abord, mais comme sous la dure cuirasse des bêtes, il y a du tendre sous la peau de ce beau roman !



01/11/2020
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