LECTURES VAGABONDES

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Barbara Chase-Riboud : La Virginienne/Like a virgin !

 

                Puisqu’en ce moment, il semblerait que le thème de l’esclavage inspire quelque peu les cinéastes – de case départ à Django unchained en passant par Vénus noire d’Abdelatif Kechiche (tiré du fabuleux roman de Barbara Chase-Riboud), l’envie me vient de proposer une lecture un peu datée mais qui traite de manière inattendue de la traite des noirs : La Virginienne, écrit par Barbara Chase-Riboud en 1979 et paru en France en 1981 aux éditions Albin Michel.

 

                La Virginienne raconte la vie de l’esclave quarteronne Sally Hemings qui grandit auprès de sa mère, Elisabeth Hemings, elle-même esclave et directrice de la plantation de Thomas Jefferson qui fut le président instigateur de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis face à l’Angleterre. Sally devient la maîtresse de Thomas Jefferson après le décès de son épouse, Martha. Elle est alors à son service à Paris. De retour à la propriété de Monticello, elle en devient à son tour la directrice. Elle donnera plusieurs enfants à Thomas Jefferson, mais celui-ci ne les reconnaîtra jamais. Il leur offre la liberté de manière détournée, les forçant à quitter la plantation pour vivre leur vie ailleurs et les déclarant « évadés ». Sally n’obtiendra jamais la liberté : Thomas Jefferson laisse sa seule fille légitime, Martha, accomplir cet acte après son décès ; Sally refuse cette liberté par orgueil, puisqu’elle ne vient pas entièrement de son défunt amant.

 

                Le portrait qui est donné de Sally Hemings est assez mystérieux et ambigu. En effet, la jeune femme adopte vis-à-vis de sa condition d’esclave une attitude étrange : elle aime appartenir corps et âme à son maître et amant, Thomas Jefferson ; elle sait que le fait d’être son esclave la lie à lui d’une manière passionnée et exclusive. Par ailleurs, elle refuse de renier ses origines en acceptant une liberté qu’elle n’a pas conquise. Après la mort de Thomas Jefferson et la vente du domaine de Monticello, elle refuse de jouir de la liberté qu’il lui a promise et vit en recluse près de l’ancien domaine, comme si l’accepter reviendrait à renier les fondements de l’amour qui la lie à Jefferson jusqu’à la mort. Pourtant, la révolte contre la condition d’esclave rugit en elle, lorsque, par exemple, Thomas Jefferson donne à  sa fille légitime, Martha, les clés du domaine lors même qu’il lui avait promis que jamais Sally n’aurait à obéir à une maîtresse blanche. Par ailleurs, elle éprouve une admiration sans bornes pour les esclaves qui se révoltent : elle assistera avec passion au procès de Nat Turner, le célèbre esclave rebelle. De manière plus générale, c’est un portrait de femme pétri de forces et de souffrances que le roman appréhende : une femme qui a vu mourir certains de ses enfants, ceux de proches, une femme qui a dû se séparer d’autres enfants qui ont choisi de prendre la liberté que Jefferson leur a proposé : une liberté qui ne peut être vécue qu’ailleurs, très loin du domaine de Monticello.   

                Bien évidemment, le roman offre aussi un portrait du troisième président des Etats-Unis, Thomas Jefferson. Homme passionné, énergique, parfois violent, il est tiraillé par la question de l’esclavage. Elevé dans la tradition esclavagiste, prisonnier de cette culture bien ancrée en Virginie, il sera la proie d’un scandale lorsque les journaux feront état de son amour pour Sally Hemings. Si intellectuellement, il interroge la légitimité de l’esclavage, il prend plaisir à posséder des êtres humains, notamment Sally : si elle n’avait pas été son esclave, il ne l’aurait pas tant aimée. Bien entendu, en toile de fond, le roman offre un panorama historique de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème siècle. Nous sommes d’abord transportés en France, quelques années avant la révolution, alors que Jefferson est ambassadeur, puis en Amérique désormais indépendante, jusqu’aux tout débuts de la guerre de sécession.  Cependant, ce panorama n’est qu’une toile de fond assez vague puisque le roman se concentre sur la destinée de Sally Hemings qui, par sa condition d’esclave, a vécu toute sa vie en s’effaçant.

                Ainsi, la Virginienne offre une vision inattendue de l’esclavage en Amérique : on imagine souvent les maltraitances, le travail épuisant, les conditions dégradantes infligées aux noirs par les blancs. Sans renier totalement ces aspects, Barbara Chase-Riboud montre aussi à quel point le destin des maîtres et des esclaves est lié ; en tout premier lieu parce que des histoires d’amour se nouent entre les uns et les autres. Voilà pourquoi le début du livre est un peu indigeste : on se perd dans toutes ces généalogies qui croisent les blancs et les noirs à tel point que, dans le domaine de Monticello, il n’y a plus qu’une grande famille agitée par des sentiments contradictoires de domination et de soumission, d’amour et de haine, d’attachement et de répulsion. Pourtant, le sang blanc et le sang noir continuent de se mêler à tel point que même Jefferson ne sait plus, parfois, s’il a devant lui, des esclaves.

Et c’est bien l’originalité de ce roman qui traite en finesse du problème de l’esclavage en montrant qu’en matière de couleurs, rien n’est jamais tout à fait blanc ou noir.

 



17/03/2019
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