Nicolas Mathieu : Leurs enfants après eux / Superbes enfants !
Avec l’été et les vacances, nous sommes nombreux à quitter nos villes et nos campagnes pour des destinations un peu plus chaudes, un peu plus exotiques, un peu plus tout. Dans Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu nous emmène au cœur de quatre étés qui vont déterminer ou non l’avenir de plusieurs adolescents d’une petite ville industrieuse de l’est de la France, près de la frontière luxembourgeoise. Ici, il est aussi question de partir, comme nous le verrons ensuite. Au fait, ce fabuleux roman de Nicolas Mathieu, intitulé Leurs enfants après eux, parait en 2018 aux éditions Actes Sud.
La première partie du roman s’intitule Smells like teen spirit, titre du groupe Nirvana, et se situe en 1992, à Heillange, une ville de l’est, près du Luxembourg. C’est l’été. Le jeune Anthony zone avec son cousin. Ensemble, ils passent leur temps à fumer du shit. Cependant, Anthony est amoureux d’une jeune fille nommée Steph, mais celle-ci semble lui préférer Simon, un fils à papa qui ne l’aime pas et la trompe à tour de bras. Un jour, pour se rendre à une fête, il emprunte la moto – qui ne sert plus guère – de son père. Mais Hacine, un dealer, la lui vole. L’affaire perturbe beaucoup la mère d’Anthony, Hélène, qui veut à tout prix la récupérer. Mais Hacine a déjà mis le feu à l’engin. Anthony dérobe un pistolet et se rend dans la banlieue où vit le dealer. Cependant, il ne le tuera pas.
La seconde partie du roman s’intitule You could be mine, titre de Guns N’Roses, et se situe deux ans plus tard, en 1994. Cet été-là, Anthony travaille dans un yacht club. Il sort avec Vanessa, mais cette relation est dénuée d’amour. En effet, le jeune homme est toujours amoureux de Steph qui sort toujours avec Simon. Cependant, alors qu’elle avait prévu d’aller passer ses vacances d’été à Biarritz, Simon se désiste. Et puis, Steph apprend que Simon a une liaison avec Clem, sa meilleure amie. Alors qu’on enterre un ouvrier de Metalor, une figure du syndicalisme et que l’après-cérémonie dégénère en fête où l’alcool coule à flots, le père d’Anthony passe à tabac Hacine dans les toilettes de la salle où se déroule le raout. Le jeune homme, après être allé vivre un temps au Maroc où il a fait son beurre grâce au trafic de haschisch, est revenu dans la région après des déconvenues liées à de mauvais investissements. Quant à Anthony, il a rendez-vous avec Steph derrière l’ancienne centrale électrique : ce soir-là, ils partageront un moment d’intimité.
La troisième partie du roman se déroule le 14 juillet 1996 et s’intitule La fièvre. Désormais, Anthony prend soin de son corps, fait du body-building et s’apprête à aller faire son service militaire en Allemagne. Il a l’intention de s’engager dans l’armée. En tout cas, il veut coûte que coûte quitter Heillange. De son côté, Steph veut, elle aussi, quitter Heillange et compte sur ses études, pour cela (elle a été reçue dans plusieurs écoles de commerce dans différentes villes de France). En ce 14 juillet, elle compte bien sur la fête pour rencontrer un garçon avec lequel tirer un coup avant son départ. Ce sera Anthony. En ce 14 juillet, ce n’est pas la fête pour Patrick, le père d’Anthony. Il a replongé dans la picole, et ce soir-là, il s’alcoolise beaucoup, au point d’aller se noyer. Hacine, à qui il avait cassé la figure deux ans plus tôt, est le témoin muet de ce suicide. Désormais, il sort avec un certaine Coralie et fait de petits boulots.
La dernière partie du roman se situe en 1998 et s’intitule I will survive. Nous sommes en pleine coupe du monde et la France est en demi-finale contre la Croatie. Anthony, blessé pendant son service militaire, a dû se résoudre à rentrer à Heillange où il fait de l’intérim. En cette nuit de demi-finale, il se rend chez son cousin qui vit dans un nouveau lotissement bas de gamme. Ce dernier est désormais marié à Nath et père d’une petite fille. Ensemble, ils vont vivre ce moment de communion nationale en s’alcoolisant. Il croise même Hacine, qui a épousé Coralie dont il a un enfant, mais avec laquelle il ne s’entend plus très bien. Hacine, comme Anthony, vivent de petits boulots. Ce soir-là, il prête sa moto à Anthony qui l’emprunte un peu plus longtemps que prévu. En effet, à cheval sur l’engin, il se rend chez Steph, après le match ; mais la jeune fille s’apprête à partir pour le Québec où l’attend son petit ami. Elle le renvoie. C’est seul qu’il rentre chez lui, dans son petit logement qui lui coûte les yeux de la tête. Mais la France est en finale et sur son bolide, Anthony se prend à rêver et savoure ce petit moment de gloire et d’espoir lié à la coupe du monde de football 1998.
Avec Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu signe un fabuleux roman désabusé sur l’adolescence ; ses rêves, ses espoirs et ses désillusions. Ainsi, il présente plusieurs personnages – à la fois des jeunes adolescents qu’on va suivre sur une période de huit ans (de quatorze à vingt ans) mais aussi leurs parents.
Le roman met donc en scène des jeunes gens pleins de vie et de fureur qui malheureusement tournent en rond dans une ville sinistrée de l’est de la France, alors que ferment les grandes usines comme Métalor, usines qui ont nourri leurs parents. Désœuvrés, sans but dans la vie, ils passent leur temps à fumer du haschich et à se disputer entre bandes rivales. Dans ce contexte bouché, la mort et l’enterrement d’une des figures du syndicalisme, qui a viré FN, est symbolique. Si les parents sont si désabusés au point de renoncer aux valeurs syndicalistes de gauche pour verser dans l’extrême-droite, parti des désespérés, quel avenir pour tous ces jeunes, qui sont leurs enfants, et qui n’ont plus vraiment de débouchés dans le coin où ils sont nés ? Certes, nombreux sont ceux qui rêvent de partir un jour d’Heillange, et ce, sans retour. Mais si pour Steph, la fille de bonne famille, c’est possible - car elle détient les codes de la réussite et va dans les meilleures écoles - les autres resteront dans leur trou perdu et seront rattrapés par une sorte de déterminisme social ; ils rencontreront une fille, auront quelques enfants, feront des petits boulots et habiteront dans les nouveaux lotissements. Alors, l’alcool comblera leurs rêves. Pendant quelques heures, ils s’évaderont grâce à ce paradis artificiel. L’autre grand rêve artificiel de leurs vingt ans, sera celui de la coupe du monde 98 que la France remportera et qui les fera rêver à l’unisson pendant quelques semaines. Car pour le reste, les fêtes sont souvent l’occasion d’exacerber les tensions raciales alors que la coupe du monde 98 a mis en avant la génération black, blanc, beur… un mythe, une illusion.
Le cadre de vie, c’est la France de l’est, un coin assez industriel - notamment le secteur de la métallurgie - et qui, dans les années 90, se désindustrialise. Ainsi, le coin d’Heillange se transforme : on construit des bureaux, on agrandit les zones commerciales, on tente de développer le tourisme via des parcs, des bases de loisirs. Bref, c’est une région qui se standardise et qui va bientôt perdre ses particularités et se mettre à ressembler à toutes les autres villes de France.
L’histoire de Leurs enfants après eux est marquée par le désenchantement. Le roman est bâti sur quatre parties qui portent presque toutes le titre d’une chanson qui a marqué l’année où elles se déroulent. De Nirvana à Guns’N’Roses, on est dans la chanson rebelle, dérivée du mouvement punk, à l’unisson de la grogne qui habite nos ados d’Heillange, eux qui rêvent d’un monde moins pourri. Mais en 1998, on bascule dans le très consensuel titre Disco I will survive. Tout rentre dans l’ordre ; nos ados se casent, fondent une famille et vont vivre une petite vie sans horizon dans un quelconque lotissement. Si, au moment de la coupe du monde 1998, ils ont la sensation de réussir, c’est un leurre. D’ailleurs, Steph, celle qui s’apprête à partir d’Heillange, ne participe pas à l’euphorie du moment. Elle est concentrée sur la nouvelle vie qui l’attend au Canada. Bref, la coupe du monde, c’est la réussite des prolos et des bolloss qui se laissent endormir et bercer par une douce illusion.
Certes, je suis bien contente de ne pas passer physiquement mes vacances à Heillange, mais j’ai beaucoup aimé me plonger intellectuellement dans ces quatre étés à Heillange. En effet, Leurs enfants après eux, c’est un roman original, plein de fureur et de désenchantement, qui traite de cette France moyenne dont on ne parle jamais vraiment et que nos hommes politiques actuels méprisent. Et leur voix, c’est aussi en partie la nôtre.
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