Fabienne Berthaud : Un jardin sur le ventre/ « C’est un jardin extraordinaire »
A l’approche de la fête des mères, quelle bonne idée de se plonger dans ce magnifique roman de Fabienne Berthaud, intitulé : Un jardin sur le ventre et paru en 2011 aux éditions JBz&Cie.
Gabrielle vient de perdre sa mère, Suzanne. Commence alors le deuil dans une famille où règnent des dissensions, comme dans toutes les familles. Le père, Franck, se lamente sur son sort tandis que Gabrielle retrace la vie de sa mère. Enfant non désirée, issue d’un père et passage et d’une mère plus ou moins nymphomane et surtout très égoïste, Suzanne commence sa vie dans l’amour de sa tante Jackie et de sa « mèmère ». Cependant, l’enfant est reprise bon gré mal gré par sa mère, Bertrande, qui se débarrasse d’elle en la mettant en pension. Plus tard, l’enfant vivra auprès d’elle et de tous les hommes qui passent dans son lit et dans sa vie. Elle a aussi un demi-frère, Antonio, dont elle s’occupe avec amour et qui partage avec elle l’indifférence maternelle. La mort de sa grand-mère la marquera énormément ; elle deviendra secrétaire médicale ; et la vie s’écoule dans son morne déroulement quotidien. Suzanne tombe amoureuse de Franck, qui deviendra son mari et dont elle aura deux filles. Elle supportera un mari assez détestable sans rien dire, tant la famille qu’elle a fondée lui tient à cœur. Et puis, un jour, Suzanne meurt, laissant sa fille, Gabrielle dans la douleur tandis que, déjà, Franck songe à refaire sa vie avec une autre.
On l’aura compris, il est difficile de résumer Un jardin sur le ventre tant l’intrigue est banale ; le prologue, à cet égard, est tout à faire significatif :
« C’est l’histoire ordinaire de gens ordinaires dans une région où il ne fait ni beau ni mauvais. C’est l’histoire d’un peu tout le monde. L’histoire d’une vie fauchée. D’un amour qui s’arrête. D’une mère qui part. D’un mari qui devient veuf. D’un veuf qui ne veut pas le rester. C’est l’histoire de gens qui ne se comprennent pas. D’une sœur qui regrette. D’un frère qui revient. Il y a des petits enfants qui souffrent, qui se taisent. Des filles qui pleurent, qui fument et des chiens qui aboient. C’est l’histoire banale de la vie et de la mort. »
Pourtant, le roman ne se lâche pas : on y reste accroché du début à la fin et c’est avec regret qu’on le quitte, à la dernière page. Il faut dire que l’œuvre n’a que des qualités.
En premier lieu, l’écriture. Dans un style très simple et dépouillé, Fabienne Berthaud nous raconte avec beaucoup de sensibilité l’histoire de Suzanne. Les phrases sont courtes, lapidaires et en quelques traits de plume, l’auteure brosse une silhouette, un décor, un sentiment. Autre particularité à souligner, le roman est intégralement écrit à la deuxième personne du singulier : Gabrielle s’adresse à sa mère, Suzanne, comme si cette dernière était encore là, comme si elle pouvait encore lui répondre. Et c’est en tutoyant sa mère que la fille raconte la vie de cette dernière ce qui peut paraître invraisemblable (car comment est-il possible que l’enfant connaisse autant de détails intimes sur une personne qu’elle n’a connue que dans le rôle de mère ?), mais qui accentue l’aspect fusionnel de la relation mère-fille, et la force de l’émotion liée à la parole directe.
On est aussi sensible aux portraits de femmes – mais surtout de mères - qui sont dressés dans le roman : Bertrande, la mère de Suzanne, est une femme peu équilibrée et peu concernée par son rôle de mère ; elle collectionne les amants. Suzanne souffre du manque d’amour maternel, mais par opposition, lorsqu’elle deviendra elle-même mère, elle s’impliquera fortement dans ce rôle tandis que son mari, Franck, sera un assez piètre père. Ces deux femmes, cependant, souffrent toutes les deux par les hommes : Suzanne est déçue par un mari qui la délaisse, qui la trompe, qui a besoin constamment du regard et de l’admiration des autres, qui cherche sans arrêt à être le centre de l’attention de tous. Difficile d’exister auprès d’un tel compagnon ! Bertrande, quant à elle, est tellement volage que les relations qu’elle entretient avec les hommes sont forcément superficielles ; elle finira sa vie seule et triste, sans amour.
Pour le reste, le roman évoque les petits et les grands événements de la vie avec beaucoup de sensibilité, mais aussi toutes les époques d’une vie : de la naissance à la mort en passant par les années passées sur les bancs de l’école ou au fond d’une maison de retraite… et si, globalement, l’œuvre se penche sur des vies douloureuses, frustrées par le manque d’amour, la déception et la désillusion, l’auteure sait jouer avec la nuance et se dégagent finalement de l’ensemble, autant de lumière que d’obscurité.
On l’aura compris, Un jardin sur le ventre fait partie, selon moi, des romans incontournables sur l’amour entre une mère et son enfant : au même titre que La promesse de l’aube, de Romain Gary, le livre de ma mère d’Albert Cohen, ou encore une femme, d’Annie Ernaux.
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