Emile Zola : Nana/C’est du nanan !
Après avoir publié, il y a quelques mois, un article « coup de cœur » sur L’assommoir d’Emile Zola, il m’a paru logique de présenter le roman qui lui est le plus intrinsèquement lié. Voici donc, après l’histoire tragique de la courageuse Gervaise, l’épopée de sa fille, Nana, à travers les endroits les plus minables comme les plus côtés de Paris. Ce roman, intitulé Nana, Zola l’a publié en 1880.
Tout commence au théâtre des Variétés, à Paris, sous le second empire. Le public attend impatiemment une actrice nouvellement lancée par Bordenave, le directeur de l’endroit, dans une pièce qui met en scène les dieux du Parnasse : La Vénus blonde. Nana fait sensation (il faut dire qu’elle apparaît nue dans le troisième acte) surtout auprès du comte Muffat, un personnage honorable et très dévot, bien placé dans la société du second empire. Cependant, pour le moment, c’est le
banquier Steiner qui a les faveurs de la belle : il lui offre même une maison de campagne, La Mignotte, non loin de Paris. C’est là que Nana prendra pour amant le jeune Georges Hugon et… le comte Muffat, qui cède aux sirènes d’un plaisir qu’il n’a jamais connu. Cependant, Nana tombe amoureuse d’un comédien nommé Fontan et lâche tout : le beau monde, les hommes riches, le théâtre. Elle veut se consacrer entièrement à son amour qui pourtant la maltraite, finit par la battre et la laisser tomber. Cependant, Nana, après cette expérience malheureuse, retombe sur ses pieds. Le comte Muffat ne l’a pas oubliée et leur liaison reprend de plus belle, sur de nouvelles bases : Nana exige de lui de l’argent… beaucoup d’argent. Il lui offre donc un luxueux hôtel dans les beaux quartiers de Paris. Mais ce n’est pas tout : la jeune femme va totalement lessiver le pauvre bougre, amoureux transi. Au fur et à mesure du temps, Nana prend plaisir à l’humilier, à le tromper, à se moquer de lui : en effet, la comtesse Sabine Muffat trompe son mari avec le journaliste Fauchery, et elle aussi, de son côté, le ruine. Nana prend aussi tous les amants qu’elle veut : certains sont choisis pour leur argent et la jeune femme les lessive en quelques mois ou quelques semaines ; d’autres sont des amants de cœur, mais là aussi, rien de bien stable : c’est une valse rapide. Or, un jour, après avoir ruiné et jeté à la porte le comte Muffat qui l’a surprise au lit avec son beau-père, Nana disparaît mystérieusement. Lorsqu’elle revient, après plusieurs mois d’absence, elle n’est plus la même. Elle ne revient que pour mourir dans un petit hôtel parisien, veillée par ses anciennes copines de théâtre. C’est la petite vérole qui l’emporte, tandis que les tambours qui battent le rappel des troupes pour la guerre contre la Prusse emportent le peuple dans un nouveau tourbillon d’anéantissement.
Avec Nana, Zola nous gratifie encore une fois d’un roman exceptionnel et exceptionnellement dense. Ce roman raconte en effet l’ascension, puis la chute d’une femme qui, pendant quelques années, tiendra le tout-Paris sous le joug de sa beauté et de sa séduction.
Comme la plupart de ses romans, Zola nous emmène dans un milieu particulier, dont il étudie le fonctionnement. Ici, nous plongeons dans le monde des théâtres à cocottes, où le beau monde parisien - peuplé de dandys, de libertins, mais aussi d’hommes mariés, respectables, écrasés sous le joug de la religion – vient s’encanailler pour quelques kopecks… ou bien plus. Nous pénétrons donc tout d’abord dans l’endroit du décor, dans la salle d’un théâtre frémissant de l’attente de Nana, qui apparaît dans une lumineuse grotte de carton-pâte lumineuse, telle Vénus sortant des flots. Puis, nous déambulons dans un envers du décor beaucoup plus sordide : les coulisses, où le se bousculent acteurs et actrices de tous acabits, où les beaux messieurs se rendent pour féliciter telle ou telle comédienne dans sa loge. Et tout ce monde des bastringues parisiens où on joue des comédies vulgaires avec des actrices dénuées de talents artistiques, qui se livrent à la prostitution et se font entretenir par leurs riches amants, nous est peint par Zola de manière impressionniste : l’auteur croque en effet, les jeux d’ombres et de lumières dans ces endroits qui évoquent les toiles de Toulouse-Lautrec.
Cependant, le roman est construit autour du personnage de Nana, à la fois ange et démon. Fille de Gervaise et de Coupeau, personnages principaux de L’Assommoir, Nana vient du peuple le plus déshérité. Alors, Zola fait de ce personnage l’emblème de la vengeance du peuple contre les nantis : parvenue dans les plus hautes sphères de la société, elle ruine autant qu’elle le peut tous les hommes qui détiennent le pouvoir, l’argent et toutes les choses acquises sur le dos du peuple, par son exploitation. Ainsi, dans un style emporté et visionnaire, Zola évoque, de manière amplifiée, la terrible lessive que Nana inflige à tous les Steiner et à tous les Muffat qui passent dans son lit. Nana, c’est la « mouche d’or », née dans l’ordure, elle corrompt ce qu’elle touche. Cependant, Nana est un personnage ambigu : elle est parfois touchante et attachante. Lorsqu’elle est amoureuse, elle est capable de tout endurer : l’épisode de sa liaison avec l’acteur comique Fontan est tout à fait significatif. Elle est battue, humiliée, injuriée. Elle paie les dépenses du couple en se prostituant dans les bas-fonds. Par ailleurs, elle est restée attachée à ses origines et s’entiche d’une fille des rues, Satin, qu’elle entretiendra et avec laquelle elle aura également une liaison. Nana, de manière paradoxale, est aussi désintéressée par l’argent : elle est comme une enfant qui fait des caprices et obéit à des envies qui, sitôt satisfaites, lui importent peu. Elle éprouve une satisfaction à la dépense, à la ruine, au saccage, à la destruction, mais pas à la possession. Il faut dire que son désir le plus intime est de devenir une dame comme il faut. Cependant, elle est convaincue que celles qu’on dit honnêtes sont en réalité aussi perverties qu’elle : exemple, la comtesse Sabine, épouse de Muffat, qui croque la fortune de son mari avec ses amants. Une dame, comme il faut, Nana ne le sera jamais. Elle est vulgaire et ordurière et éprouve du plaisir à abaisser les hommes à son niveau : Muffat subira les pires affronts de la part de cette maîtresse qui sait aussi se montrer douce, à ses heures perdues.
Enfin, le roman nous parle aussi d’une société corrompue : celle de second empire. Sous des faux-semblants puritains se cachent la débauche et la dépravation. Car Nana n’est pas un cas isolé : Rose Mignon, actrice elle aussi, est la rivale de Nana qui lui vole ses amants. Ainsi, Steiner et Muffat sont passés dans son lit. D’une manière générale, les actrices sont toutes des prostituées qui espèrent décrocher le gros lot : un riche amant qui les établira dans le beau monde. C’est ainsi que Nana deviendra la courtisane la plus courtisée du second empire.
Si on a aimé L’assommoir, on aimera Nana, car ce roman est la suite logique du premier. A travers sa fille, Gervaise prend sa revanche sur ceux qui l’ont ruinée : les hommes. Ces derniers, dans Nana, apparaissent dans toutes leurs faiblesses, leurs ridicules, leurs vanités. Nana, dans son insoutenable légèreté est, elle aussi, un personnage qui, sous certains aspects, est pathétique : volée par ses domestiques, si mal aimée, elle s’ennuie et supporte mal la solitude que son ascension provoque. Mais son règne est éphémère : lorsque la guerre éclate, elle meurt, et avec elle, le second empire tombe en pourriture. La mère et la fille auront connu une mort sinistre : l’une est rongée par l’alcoolisme, l’opium du peuple, l’autre est dévorée par la syphilis. Il faut dire que Zola n’y va pas de main morte avec ses héroïnes féminines ! Les frères de Nana, si je ne me trompe pas, connaissent un sort un peu moins trash ! A suivre, donc !
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