LECTURES VAGABONDES

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Michel Houellebecq : La possibilité d’une île/Tout est possible !

          Quelle drôle d’idée de lire du Houellebecq, ce grand prêcheur de la décadence et du nihilisme, lorsqu’on voyage en Inde et que l’aspiration à plus de spiritualité nous guette à chaque coin de rue ? C’est pourtant bien La possibilité d’une île, roman écrit par Michel Houellebecq en 2005 et paru en aux éditions Fayard, que j’ai tenu dans mes mains pendant de longues journées à la découverte du Rajasthan.

 

          Daniel 24 lit l’autobiographie de son ancêtre, dernier humain de la lignée – puisque tous ou presque sont devenus des néos – Daniel 1. Entre chaque chapitre lu, il y va d’un petit commentaire afin que le lecteur sache comment on nait, vit et meurt en tant que néo. Mais commençons par l’épopée de Daniel 1. Alors qu’il est en pleine bérézina sentimentale – déjà divorcé, sa relation avec Esther bat de l’aile - et professionnelle – humoriste trash, en panne d’idées, il songe à réaliser un film porno - Daniel découvre la secte des élohimites. Ces derniers croient que les humains ont été créés par les élohims,

sortes d’extraterrestres géniaux qui vont bientôt redescendre sur terre pour apporter l’immortalité. Le but de cette secte, c’est de collecter l’ADN de tous les fidèles pour que les élohims puissent les reconstruire lorsqu’ils reviendront sur terre. C’est sur l’île espagnole de Lanzarote que se trouve la base de la secte. Lors de son second séjour, les liens entre Daniel 1 et l’éminence grise des élohimites – Chef, Flic, Savant et Humoriste – se resserrent. Mais alors que Chef – le grand manitou – se tape une nouvelle adepte italienne, le fiancé de cette dernière, fou de jalousie, l’assassine. Après s’être débarrassé du couple fâcheux, un gros problème se pose : qui va remplacer Chef ? Or, il s’avère que l’ami – Vincent - avec lequel Daniel se trouve sur l’île est aussi le fils naturel de Chef ; il lui ressemble suffisamment pour faire croire aux adeptes qu’il s’agit d’une résurrection de Chef et que, par conséquent, le clonage est au point. Puisqu’il est mis dans la confidence de la supercherie, on demande à Daniel d’écrire son autobiographie afin que ses clones futurs soient mis au courant de l’origine de leur vie. Or, la secte ne cesse de s’agrandir jusqu’à devenir la seule religion encore vaillante sur terre puisque, contrairement aux autres, elle tiendrait ouvertement sa promesse de vie éternelle. De plus en plus dégoûté par la vie qu’il mène, seul et dépressif, Daniel se décide à suivre les autres lorsque son autobiographie sera finie ; il opte donc pour le suicide assisté afin de rejoindre au plus vite, la vie éternelle. Qu’en est-il donc de Daniel 24 qui entretemps est devenu Daniel 25 ? Comme d’autres, il en a assez de cette vie éternelle qui n’a aucun goût mais qui ressemble pourtant au nirvana bouddhiste (absence de tout désir, de toute dépendance). Comme Marie 23, il décide de rejoindre l’île de Lanzarote pour se fondre dans une des colonies de ceux qui ont choisi de redevenir humains. Cependant, alors qu’il rencontre de ces humains qui sont redevenus sauvages, il décide de suivre sa propre voie de néo solitaire redevenu mortel.

 

          Encore une fois, avec La possibilité d’une île, Michel Houellebecq nous plonge dans un univers totalement « dark » - même si la couleur blanche et la lumière dominent dans l’évocation des espaces de vie futuristes. Noir, donc, et désespéré, mais aussi plein d’ironie et de mordant vis-à-vis de l’homme et du monde qu’il a fabriqué. En effet, Daniel est un personnage désespéré, dépressif, un tantinet obsédé sexuel, même si ses relations avec les femmes sont marquées par l’échec. Par ailleurs, il n’est attaché à aucune valeur morale précise, bien au contraire ! Même dans son métier d’humoriste, il va toujours plus loin dans la provocation et le « no limit ».

          De plus, le monde et la société dans lesquels vit Daniel 1, sont, eux aussi, dénués de valeur. Les religions sont en pleine décrépitude et abandonnent la mise à toutes sortes de sectes plus ou moins farfelues ; c’est d’ailleurs ainsi qu’est présentée la secte des élohimites, au départ. Mais supposons que la vie éternelle soit possible ? C’est cette possibilité qu’explore Houellebecq qui pose encore un regard noir et incrédule sur la chose. En effet, cette ataraxie dans laquelle vivent les néos humains n’a rien de très excitant : plus besoin de nourriture pour vivre, plus besoin de rapports sexuels pour se reproduire. Les rapports entre néos se font à travers des écrans d’ordinateurs (tiens donc ! C’est nouveau, ça !). Ainsi donc, la vie éternelle est-elle souhaitable ? Non, a-t-on envie de dire lorsqu’on découvre l’univers aseptisé et comme mort dans lequel évolue Daniel 25. Alors, devant cette double impasse proposée par la vie éternelle et la mort, où se porter ? Nulle part, semble dire le roman. Il ne reste plus qu’à avancer sans but aucun.

          Par ailleurs, même si, de manière comique et un peu décalée, Michel Houellebecq nous plonge dans un univers futuriste un peu kitsch dans le ton des années 70, tout droit sorti de la série Cosmos 1999 ou encore Star Trek – de grands espaces sphériques, blancs et lumineux, des vêtements zarbis, des lumières qui clignotent dans tous les coins, des drôles de machines, etc… - il a également su construire un monde de science-fiction à part entière, basé sur des termes techniques de l’avancée scientifique, qui restent un peu absconds pour le lecteur mais que le narrateur évoque sans se poser le problème de la réception, puisque nous sommes censés être à l’époque de Daniel 25, être donc des néos pour lesquels l’environnement évoqué n’a pas de secret. Par ailleurs, Houellebecq se fait aussi historien du futur et invente des guerres et des catastrophes naturelles qui ont profondément modifié les êtres vivants et leur environnement.

          Alors, finalement, est-il possible, sinon d’aimer, du moins d’admirer l’antipathique – à priori - Michel Houellebecq ? Il fut un temps où je l’abhorrais… encore faut-il souligner que je n’avais lu qu’une dizaine de pages, tout au plus, de son œuvre, et que j’avais sur le bonhomme, une somme de préjugés bien consistants. Alors qu’hier, Michel Houellebecq était à mes yeux un impossible écrivain, aujourd’hui, je le considère comme l’un des plus originaux et des plus profonds. Voyez-vous, tout est possible !

 



01/04/2019
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