LECTURES VAGABONDES

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Ursula Hegi : Trudi la naine/Un grand roman !

          En me plongeant dans ce roman fleuve écrit par Ursula Hegi en 2007 – Trudi la naine, paru aux éditions Galaade – j’ai tout de suite pensé au célèbre roman Le tambour de Günter Grass, par la ressemblance entre les personnages que les deux oeuvres proposent et par les thèmes communs qu’ils abordent. En effet, Trudi, héroïne éponyme du roman ici présenté, est une naine qui vit la période nazie à Burgdorf, près de Düsseldorf,  tandis qu’Oscar, héros du tambour, refuse de grandir dans un monde marqué par la montée du nazisme.

 

          Trudi nait donc à Burgdorf, près de Düsseldorf, à la fin de la première guerre mondiale. Son père, Léo Montag, tient la bibliothèque dans cette ville et a gardé comme séquelle de la grande guerre une patte folle. La mère de Trudi est mentalement gravement perturbée, surtout depuis qu’elle a mis au monde une naine. Après le décès de sa mère, Trudi grandit au fil de la vie du petit bourg dans lequel elle évolue et dans lequel elle noue des

amitiés successives : avec Georg, un jeune garçon que la mère habille comme une fille ; Eva, la juive ; Ingrid, la catholique intégriste. La fin de l’enfance de Trudi sera marquée par un épisode traumatisant : trois garçons – dont Georg – entrainent la fillette dans une grange et lui font subir des attouchements humiliants. Avec la montée du nazisme, la vie du bourg change. Chacun trouve son camp : soutenir Hitler, s’inquiéter de la montée de l’antisémitisme, s’opposer à cette nouvelle Allemagne peu réjouissante. Mais tous les personnages qui vivent à Burgdorf souffriront du nazisme : il y a celui qui se suicide parce que ses parents refusent qu’il s’engage dans les jeunesses hitlériennes, celui qui soutient Hitler mais qui mourra sur le front de l’Est, celui qui sera arrêté et déporté parce qu’il ne soutient pas Hitler ou qu’il est juif. Trudi et son père, quant à eux, cachent des juifs dans une cave qu’ils ont aménagée à cet effet, ce qui leur vaudra quelques ennuis avec la Gestapo. C’est aussi pendant cette période que Trudi découvrira l’amour : elle tombe d’abord amoureuse d’un dentiste – Klaus Malter  – qui l’a embrassée lors d’un bal ; mais cet amour n’est pas réciproque et Klaus épousera Gertrud. C’est avec Max que Trudi découvrira l’amour physique et envisagera une vraie vie de femme. Malheureusement, le jeune homme disparaîtra… sans doute emporté par des bombardements dans une ville voisine. Trudi ne saura jamais la vérité. Après la guerre, il faut panser les blessures, et ce n’est pas facile. Ingrid, l’amie de Trudi, meurt dans des accès délirants, illuminée par un mysticisme catholique destructeur tandis que Trudi s’entiche d’Hannah, la fille de son premier amour – Klaus – elle qui sans doute, ne sera jamais mère. Et puis, Léo Montag, son père meurt. Désormais seule, Trudi se sent néanmoins entourée de tant d’histoires qu’il faudra bien qu’elle les livre d’une manière ou d’une autre.

 

          Quand on se retrouve avec, entre les mains, un pavé de 664 pages tel que Trudi la naine d’Ursula Hegi, on se dit qu’il faudra des semaines pour en venir à bout. Pas d’affolement ! Il s’agit ici d’un roman qui constitue une véritable lecture plaisir.

          Le roman se présente comme une sorte de chronique d’un petit bourg allemand entre deux guerres qui constituent, pour ce pays, un véritable traumatisme. Si Trudi est l’héroïne de l’œuvre, autour d’elle gravitent un nombre incroyable d’autres personnages : les habitants de Burgdorf. C’est ainsi que prend vie ce petit coin d’Allemagne lové sur les bords du Rhin, un endroit où tout le monde se connait, entre les décès, les mariages, les potins des uns et des autres. Bien évidemment, la guerre et le nazisme vont changer quelque peu la donne et si le roman est une dénonciation du IIIème Reich, il est surtout une observation du traumatisme que cette période a constitué pour tout le pays, quel que soit le camp qu’on a choisi.

          Et puis, à travers le personnage d’Ingrid, c’est le fanatisme, quel qu’il soit, qui est dénoncé. Cette jeune fille est une fervente catholique et son intégrisme la fera basculer dans la folie et le meurtre.

          Trudi la naine, c’est aussi un réquisitoire pour l’acceptation de la différence. Trudi est une personne de petite taille et par là, elle est différente et cette différence est parfois difficile à vivre. Enfant, elle rêvait de devenir grande et s’adonnait à des étirements douloureux dans le but d’allonger ses membres. Par ailleurs, elle sera parfois l’objet  de persécutions, notamment de la part d’autres enfants, dans sa jeunesse. De la même manière, les juifs de Burgdorf seront persécutés à cause de leur religion. D’autres personnages ont aussi leurs manies, leurs obsessions : chacun porte en lui une différence qu’il faut accepter et tolérer : voilà peut-être le message du roman.

Face à la guerre destructrice, il y a la nature, imperturbable, tantôt apaisante, tantôt inquiétante et meurtrière : ainsi, le Rhin déborde-t-il régulièrement, entrainant des inondations. A l’image de l’histoire des hommes, la nature peut aussi faire preuve d’une violence aveugle.

          Voici donc un excellent roman à recommander : il nous fait entrer en plein cœur d’une Allemagne en crise, écorchée vive. On y rencontre une héroïne formidable, pleine d’humanité, d’espoir et de désespoir conjugués. Et si la guerre et le fanatisme nazi plongent les personnages dans le chaos, c’est bien la vie qui est le mot d’ordre du roman tant l’œuvre regorge de petites histoires, celles des uns et des autres qui habitent à Burgdorf et qui forment comme un inépuisable et incessant  mouvement vital.

 



06/04/2018
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