LECTURES VAGABONDES

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Emile Zola : Thérèse Raquin / Sainte Thérèse Raquin

 

                Une fois n’est pas coutume, je mettrai un bémol dans mon commentaire sur cette œuvre de mon très aimé Emile Zola. Il faut dire qu’il ne s’agit ici que de son troisième roman ! je veux bien sûr ici parler de Thèrèse Raquin paru en 1867.

 

                Thérèse Raquin s’ennuie, enterrée dans un trou noir : une petite mercerie désuète enfouie au fond du sinistre passage Guénégaud à Paris. Elle vit avec sa belle-mère et tante, Madame Raquin et le fils de cette dernière, Camille, qui est aussi son mari. Il faut dire que Thérèse a été élevée par sa tante puisque son père, aventurier, l’a confiée à sa sœur qui a décidé seule du mariage de ses deux enfants.

Thérèse a un tempérament emporté et nerveux qu’elle cache sous une apparence très calme : il faut dire que la vie est bien tranquille pour elle qui la passe entre un mari maladif et une poignée de connaissances poussiéreuses qui viennent dans le petit appartement pour jouer aux dominos tous les jeudis. Et puis, un jour, Camille amène à la maison un ami d’enfance : Laurent. L’homme est en tous points l’opposé de Camille : viril, puissant et sanguin, il ne tarde pas à susciter la sensualité de Thérèse. Très vite, ils deviennent amants et ne peuvent plus se passer l’un de l’autre. Camille devient alors un époux embarrassant et l’idée de le supprimer germe bientôt dans l’esprit des deux amants. La chose se produira lors d’une promenade en barque, sur la Seine, du côté de Saint-Ouen. Après une période de deuil de deux années, pendant laquelle Laurent et Thérèse ont paradoxalement très bien su se passer l’un de l’autre, voilà qu’il faut songer au mariage. Bizarrement l’affaire gène Laurent et Thérèse. Pourtant, ils arrivent à faire germer l’idée de ce remariage dans l’esprit de la mère du défunt Camille. Mais cette union ne sera pas du tout heureuse : Thérèse et Laurent sont rongés par le remords et la culpabilité et se supportent mal : la terreur, l’insomnie est le lot quotidien de leur vie de couple. Lorsque madame Raquin est victime d’une attaque qui la laisse paralysée, Thérèse et Laurent se retrouvent en face à face. Un face à face qui dégénère en violence et bientôt, madame Raquin comprend qu’elle vit avec les assassins de son fils mais, désormais impotente, elle ne peut que subir la situation. Et puis, c’est la déchéance : Thérèse et Laurent se débauchent pour oublier. Mais rien n’y fait, et chacun dans son coin décide de tuer l’autre pour se libérer. Ainsi, lorsqu’ils se retrouvent face à face, c’est naturellement qu’ils boivent, l’un après l’autre, un verre empoisonné sous les yeux de la muette madame Raquin.

 

                Dans sa préface, Emile Zola expose ses intentions qui sont celles d’un écrivain naturaliste et qu’il continuera d’observer par la suite :

 

          «Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entrainés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. J’ai cherché à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l’instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d’une crise nerveuse. »

 

          Le problème, c’est que le roman est un peu trop démonstratif et ramène tout à ce qui est dit ci-dessus. Ainsi, de nombreux chapitres sont consacrés à l’exposition des tourments qui envahissent les deux personnages ; Thérèse est d’un tempérament nerveux tandis que Laurent est d’un tempérament sanguin : comment vont-ils évoluer alors qu’ils sont aussi l’objet de remords et de culpabilité ? Cependant, Zola nous fatigue un peu avec tous ces flux d’humeurs qui vont et viennent à travers les corps des personnages et les brisent. Car c’est bien là que se loge la souffrance : elle est physique avant d’être psychologique. On reconnait bien là les bases scientifiques de l’œuvre de Zola : il s’agit de tout expliquer par la matière. Mais je ne suis pas sûre qu’on puisse faire abstraction du libre-arbitre. Voilà pourquoi toute la théorie naturaliste de Zola me parait limitée et dans une certaine mesure contestable.

           Zola a subi de nombreuses attaques lorsqu’il a fait paraitre ce roman : il a même été taxé de pornographe. Certes, les critiques sont ici excessives car le talent de Zola est déjà plus que palpable dans Thérèse Raquin ; cependant, on a quand même parfois l’impression que l’auteur se complait dans l’excès et le trash : lorsque Camille meurt, son cadavre n’est pas immédiatement retrouvé. Alors Laurent se rend à la morgue, tous les jours… et Zola de décrire avec force détails horribles les effets de la putréfaction sur les corps. Et ce n’est qu’un exemple ! On aura droit, aussi, dans Thérèse Raquin, à des scènes de violence qu’elles soient physiques ou morales : ainsi, Madame Raquin un jour, comprend, à l’occasion de scènes de ménage de plus en plus violentes et bruyantes, qu’elle vit avec les deux assassins de son fils… et de plus en plus, la vieille dame, paralysée, doit subir des détails du meurtres et les caresses de Thérèse qui cherche le pardon.

          Bien évidemment, on sera sensible à la force du drame, mais l’aspect expérimental du roman l’alourdit. On a finalement du mal à comprendre pourquoi les crises se déclenchent surtout lorsque les deux meurtriers sont au contact l’un de l’autre et qu’ils sont apaisés dans leurs moments de solitude ; on a du mal à comprendre pourquoi, dans ce cas, ils ne se séparent pas : car finalement, la vénalité de Laurent n’est pas suffisamment mise en avant pour justifier ce saccage total de deux vies, saccage qui aboutit à la mort.

         Finalement, ce que j’ai préféré dans Thérèse Raquin, ce sont les personnages secondaires, beaucoup plus crédibles et traités avec plus de naturel : tous les jeudis soir, chez les Raquin, c’est soirée domino avec de petits fonctionnaires collègues de Camille ; leur aspect égoïste, étriqué et médiocre sont soulignés avec la férocité qu’on connaît chez Zola.

          Ainsi, si on aime Zola et la littérature, Thérèse Raquin est un incontournable pour saisir la dimension naturaliste de l’écrivain. Ô sainte Thérèse Raquin qui rend hommage à la pensée de Zola ! Cependant, si on veut lire un chef d’œuvre, ce n’est peut-être pas là qu’il faut piocher.    



07/10/2019
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