LECTURES VAGABONDES

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David Foenkinos : le potentiel érotique de ma femme… un pouvoir de séduction non potentiel !



Il est des romans que j'hésite à classer dans la catégorie « perles rares » : c'est de cas de cette œuvre de David Foenkinos, extrêmement drôle qui a paru en 2004 sous ce titre farfelu : le potentiel érotique de ma femme.

S'il se retrouve dans la catégorie des romans vivement conseillés, c'est sans doute à cause  de sa minceur ; car même s'il est évident que la quantité n'est pas gage de qualité, je suis toujours un peu agacée par cette mode pisse-petit des romans de 120 pages imprimées de lettres à la taille faramineuse, de ces romans qu'on prend et qu'on quitte en l'espace d'une heure sans avoir l'impression de s'être véritablement immergé dans une histoire, de ces romans qu'on oublie en deux temps trois mouvements tant le brin de causette qu'on a entretenu avec eux fut bref, et ce, même s'ils détiennent d'incontestables qualités.

J'ose espérer que ce ne sera pas le cas de ce roman qui capture dès la première page le lecteur dans les mailles d'une écriture surprenante et terriblement drôle.

Hector est un collectionneur atavique de tout et n'importe quoi : je cite page 20 :

« Il avait collectionné les timbres, les diplômes, les peintures de bateaux à quai, les tickets de métro, les premières pages des livres, les touilleurs et piques apéritif en plastique, les bouchons, les moments avec toi, les dictons croates, les jouets Kinder, les serviettes en papier, les fèves, les pellicules photo, les souvenirs, les boutons de manchette, les thermomètres, les pieds de lapin, les registres de naissance, les coquillages de l'océan Indien, les bruits à cinq heures du matin, les étiquettes de fromage, bref, il avait tout collectionné, et, à chaque fois, avec la même excitation ».

…. Jusqu'au jour où Hector décide de se suicider, puis de se sevrer, puis de se marier avec Brigitte, rencontrée dans une bibliothèque. Il mène dès lors une vie heureuse et équilibrée. Mais un jour, sa manie de collectionneur le reprend : alors que sa femme lave les vitres de l'appartement, juchée sur un escabeau, Hector a une érection et décide de collectionner ces moments d'un érotisme torride qui mettent en scène Brigitte et sa bouteille d'Ajax nettoyant surpuissant.

Un roman au thème apparemment original mais qui n'est pas sans rappeler celui du mari de la coiffeuse, film de Patrice Leconte : on fait vite le parallèle entre notre Hector obsédé par les mollets de son épouse qui se contractent lorsqu'elle grimpe sur l'escabeau et le fameux mari de la coiffeuse qui passe son temps à s'extasier sur les mains de sa femme plongées dans la chevelure des hommes.

Cependant, je pense qu'il ne faut réduire ce roman ni à ce seul thème du fantasme masculin incongru, ni à la question de l'érotisme et de ses bizarreries. Car personnellement, j'ai eu plutôt envie de lire ce roman comme une parabole sur l'amour et le désir fous : que se passe-t-il lorsque la possession physique ne suffit pas à rassasier cette faim qu'on a de l'autre quand on est amoureux ?... on se met à désirer ce qui ne se possède pas, ce qui ne peut pas véritablement se donner : une ride, un mouvement de la main, un instant fugace et unique dérobé à l'intimité de l'autre.

Présenté ainsi, l'ensemble aurait fort bien pu se révéler être d'une mièvrerie à faire peur ! Ce n'est absolument pas le cas ici, car ce qui m'a littéralement conquise, c'est l'écriture féroce, tendre, décapante et extrêmement drôle de David Foenkinos. Une écriture qui dans un subtil mouvement de va-et-vient entre l'intérieur et l'extérieur des êtres sait traduire en même temps la beauté et le grotesque du sentiment amoureux. Une écriture qui n'est pas sans rappeler celle de l'inégalable Milan Kundera !!! (en voilà, un sacré compliment, David !)

Ainsi, il me paraît indispensable de vous faire goûter quelques lignes de cette écriture, quelques lignes qui me plaisent particulièrement, quelques lignes qui analysent en même temps un malaise, une incompréhension et une comédie familiale :

« Cette attitude qui consistait à ne pas casser le mythe du fils épanoui impliquait des difficultés et un travail redoutable sur soi. Ces choses sont plus simples à imaginer qu'à accomplir. Faire croire qu'on est heureux est quasiment plus difficile que de l'être réellement. Plus il souriait, plus ses parents se détendaient ; ils étaient fiers d'avoir un fils heureux et gentil. Ils se sentaient aussi bien qu'avec un  appareil électroménager humiliant la date limite de garantie en prenant des poses d'éternel viager. Aux yeux de ses parents, Hector était une marque allemande. Aujourd'hui, c'est plus dur que jamais, la confidence du suicide est au bord des ses lèvres semi-bleues, pour une fois, il aimerait ne plus jouer la comédie, être un fils devant ses parents, pleurer des larmes si grosses qu'elles emporteraient dans un torrent, la douleur. »     

Il est donc bien vrai que David Foenkinos a un talent étourdissant pour décoder toutes les comédies humaines : celle du travail également :

« Dans un contexte professionnel hyper-compétitif et vissé sur l'apparence, la faiblesse d'un employé (précisons, employé sans danger dans la hiérarchie) unissait les aigreurs dans un même élan. Hector était comme une nouvelle machine à café dans une entreprise de pneus. Autour de lui, on rétablissait un tissu social. Et, pour tout dire, ce qui se passait là n'échappait pas aux yeux du directeur des ressources humaines qui, bientôt, allait prêcher ce qu'il considérait comme une méthode radicale. Pour la rentabilité d'une entreprise, rien ne valait mieux que d'embaucher un dépressif à un poste de sous-fifre. »

C'est donc bien l'écriture et le formidable sens de l'humour de David Foenkinos qui portent Hector au rang des antihéros loufoques et incongrus les plus marquants de la littérature.

Il est fort dommage que l'auteur ait sacrifié à la mode du roman light : défaut majeur de cette œuvre qui s'essouffle un peu sur la fin, je dois le dire ; à partir du moment où Hector avoue son fantasme à sa femme, le roman se termine très vite, de manière malicieuse, mais assez artificielle.

Quoiqu'il en soit, David Foenkinos est un jeune écrivain (né en 1974) bourré de talent, et si Le potentiel érotique de ma femme est la première de ses œuvres que je lis, ce n'est certainement pas la dernière !



19/04/2009
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