Maxence Van Der Meersch : L’empreinte du dieu / Une empreinte trop légère
Le saviez-vous ? Maxence Van Der Meersch a reçu, en 1936, le prix Goncourt pour le roman que je vais examiner aujourd’hui. Il s’intitule L’empreinte du dieu et parait aux éditions Albin Michel en 1936.
Nous sommes dans les Flandres belges, dans les années 30. Après la mort de sa mère, Karelina a reçu une promesse de son oncle, Domitien Van Bergen, écrivain : toujours, il veillera sur elle, et lui viendra en aide, si besoin est. Cette promesse n’empêche pas Karelina de faire un très mauvais mariage. En effet, elle épouse Gomar T’Joens, un homme violent, grossier, alcoolique. Ensemble, ils tiennent un bistrot mal famé à la frontière entre la France et la Belgique. Par ailleurs, Gomar arrondit ses fins de mois en organisant des combats de coqs et en faisant de la contrebande de tabac. Un jour, alors qu’il convoie une cargaison, il se fait prendre par la police et écope de trois mois de prison. Seule, Karelina se réfugie chez son oncle Domitien et découvre la paix et l’amour au sein de ce ménage bourgeois. Mais, à sa sortie de prison, Gomar vient récupérer sa femme et promet à l’oncle que jamais plus, il ne lèvera la main sur elle. Dès le premier soir, la promesse est rompue. Alors, Karelina, désespérée, s’enfuit et retourne auprès de son oncle Domitien et de son épouse Wilfrieda. C’est sur l’île de Walcheren, à Windhuis, que l’oncle travaille à son grand projet d’écriture. Cependant, très vite, la jeune fille décide de partir ; motif : elle est amoureuse de son oncle. Nous la retrouvons quelques mois plus tard, toujours chez l’oncle Domitien, enceinte de ses œuvres. Elle accouche d’une petite fille qu’elle prénomme Domitienne. Cependant, Gomar guette dans l’ombre car il veut récupérer sa femme, encore une fois. Un jour, alors qu’il rode sur l’île de Walcheren, il tombe sur l’oncle Domitien et le tue. Traqué par la police, il sera, lui aussi, tué alors qu’il tentait d’échapper à son sort. La vie continue. Désormais Karelina travaille à Anvers dans une usine textile. Elle est courtisée par un certain Jan Vervliet mais le repousse : l’empreinte du dieu Domitien est encore trop profonde en elle. Sa petite fille, elle l’a placée en nourrice sur l’île de Wacheren, à la ferme des Smellebeek. Elle sait qu’une bourgeoise souhaiterait adopter la petite. Un jour, elle découvre que cette bienfaitrice n’est autre que Wilfrieda, l’épouse de l’oncle Domitien ; pour elle aussi, l’empreinte du dieu est restée profonde. Les deux femmes, sans doute, s’allieront pour éduquer la petite Domitienne.
Il est bien étrange que ce roman de Maxence Van Der Meersch ait obtenu le prix Goncourt en 1936. En effet, selon moi, L’empreinte du dieu est loin d’être la meilleure œuvre de l’auteur.
Tout d’abord, le roman est assez court ce qui ne permet pas de donner de la profondeur aux personnages. Il se dégage de l’ensemble une impression de superficialité. L’histoire et les personnages auraient mérités d’être davantage creusés, approfondis. Bref, on reste sur sa faim. Prenons, par exemple le cas de l’héroïne : Karelina. C’est une fille pauvre au destin tragique ; elle est mal mariée. Son caractère est pétri de douceur et de soumission. Il n’y a pas grand-chose d’autre à ajouter. Quant aux autres personnages, il n’y a que peu à dire sur eux. Ils sont encore plus rapidement dépeints. Surtout le « dieu » de l’histoire : l’oncle Domitien ! Ce personnage est bien léger et ne laisse guère d’empreinte dans l’esprit du lecteur.
Le roman prend ancrage dans le nord de la France, comme souvent chez Van Der Meersch. Nous pénétrons, ici, dans les Flandres belges, près de Menin, mais aussi en Hollande à Anvers, ainsi que dans l’île de Walcheren. L’auteur décrit les paysages du nord, l’ambiance sur le port d’Anvers ; la mer qui vient lécher les rivages de l’île de Walcheren ; ou encore le coucher du soleil qui nimbe les terres. Et puis, il y a la grosse rivière qui sépare la France et la Belgique : la Lys et ses eaux grasses et grises.
L’empreinte du dieu nous fait aussi découvrir les coutumes de cette région plutôt agricole. L’endroit est jonché de fermes et est gangréné par l’activité de contrebande du tabac - qu’on retrouve dans La maison dans la dune de manière plus développée. Une des distractions des habitants de cette région, ce sont les combats de coq. Le roman développe une scène de combat de coq particulièrement forte, où on voit les volatiles se battre jusqu’au bout, dans la violence et la cruauté. Un vrai carnage !
Quelques mots à propos de Domitien l’écrivain. Par son ambition littéraire, il ressemble à Zola. En effet Domitien veut écrire « un roman cyclique à la fois historique et social, embrassant dix siècles d’Histoire, toutes les classes, (…) toutes les activités humaines, toutes les passions, belles ou vilaines, qui agitent l’homme dans la bataille qu’il mène pour vivre et se perpétuer ». On sent ici la référence à Zola et à sa grande série des Rougon-Macquart, Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire même si, visiblement, Domitien voit encore plus large.
Mais que penser de cette histoire d’amour que présente L’empreinte du dieu ? Un oncle et sa nièce amoureux l’un de l’autre ? Ne verse-t-on pas dans la consanguinité, voire même l’inceste, puisque l’oncle Domitien prend paternellement Karelina sous son aile ? Cependant, l’auteur aborde cet amour avec pudeur, soit en utilisant la technique de l’ellipse, soit celle du demi-mot. Quant au rapprochement final entre Karelina et Wilfrieda, il est aussi évoqué à demi-mot car en fait, c’est l’amour pour le même homme qui les rapproche.
L’empreinte du dieu est donc un assez joli roman où le sordide affronte la grâce, où la violence s’oppose à la tendresse. C’est le jeu de ces contraires qui sont le moteur du roman. Mais finalement, ce roman ne laissera en moi qu’une légère empreinte.
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