Marie Cardinal : Les mots pour le dire / Des mots salvateurs
Aujourd’hui, nous allons faire un petit bond dans le passé et s’intéresser au témoignage de Marie Cardinal à propose de la psychanalyse qu’elle a suivie pendant des années. Cet ouvrage a fait son petit effet à l’époque et le livre Les mots pour le dire a reçu le prix Littré en 1976. C’est en 1975 que ce témoignage paraît aux éditions Grasset.
Marie Cardinal – sans doute personnage-narrateur de ce roman – raconte la psychanalyse qu’elle a entreprise pour se libérer d’un mal qu’elle nomme « la chose ». Jusqu’alors, elle est la proie d’écoulements vaginaux, même en dehors de ses règles. Ce phénomène inexplicable la plonge dans un état qu’elle qualifie de « folie ». Peu à peu, elle se confie au psychanalyste. Elle raconte le manque de père. Ses parents sont divorcés et son père est décédé peu après. Sa mère, elle l’aime et l’admire pendant toute son enfance et son adolescence pour ensuite la haïr. Profondément marquée par la religion, elle passe les premières années de sa vie en Algérie, terre qu’elle adore pour ses senteurs, ses couleurs, ses habitants. Le jour où tout bascule pour la narratrice, c’est lorsque sa mère tente de lui expliquer ce que c’est que d’être une femme… Elle lui révèle alors qu’elle est une enfant indésirée et qu’en se sachent enceinte, elle a tout fait pour perdre l’enfant qu’elle portait. Et puis, elle s’est résignée à le mettre au monde, alors qu’elle était séparée du père. Cette révélation est totalement traumatisante pour la jeune adolescente qu’est alors la narratrice. Et puis, au fil des séances, elle met à jour une scène qui, elle aussi, fut traumatisante et qui déclenche des cauchemars et des hallucinations. Lorsqu’elle était enfant, son père l’a filmée alors qu’elle faisait pipi. Depuis, elle a la sensation d’être sans cesse épiée, mais c’est l’œil de sa mère qui la suit. Certes, la psychanalyse fut libératrice mais elle aura duré sept longues années pendant lesquelles la narratrice ira de mieux en mal, puis de mal en mieux. La guérison ne s’est pas faite sans souffrances. Le couple qu’elle forme avec son mari, Jean-Pierre, est mis à mal. Mais lorsqu’elle a commencé à écrire, Jean-Pierre s’est rapproché d’elle et depuis, elle forme avec lui un couple uni. Bien après sa guérison, il lui a fallu vivre le dégoût de sa mère vieillissante, alcoolique, qu’elle a refusé de prendre chez elle depuis qu’elle l’a vue nue sur son lit au milieu de ses déjections. Quelques jours plus tard, elle décédera. C’est une femme épanouie qui nait au début de mai 68.
Avec Les mots pour le dire, le lecteur plonge d’emblée dans les psychoses et les névroses d’une femme qu’on peut qualifier d’hystérique. Notre Marie Cardinal aurait constitué la parfaite cliente pour le docteur Freud qui s’intéressait à des cas cliniques. Le sujet, Marie Cardinal, s’immisce jusque dans les détails les plus intimes de sa vie et de son corps. Elle explique, par exemple, ce qu’elle a ressenti lorsque son père l’a vue uriner et qu’il a pris une photo d’elle alors qu’elle sacrifiait à cette activité. Elle rentre également dans les détails de ses saignements vaginaux. Je ne conseille pas cette lecture aux hommes qui pourraient bien être écœurés des femmes après de telles révélations.
Il faut cependant replacer les choses dans leur contexte, les années 70. A cette époque, la libération de la femme prend de l’ampleur et par conséquent, leur parole également. Certes, cette prise de parole est indispensable à l’évolution et à l’amélioration de la condition féminine. Cependant, trop de paroles tuent la parole parce que quand on parle trop, sur tous les sujets, il y a à boire et à manger. Le bon grain et l’ivraie. Bref, elles disent parfois n’importe quoi. Et même si les hommes le font depuis la nuit des temps, ce n’est pas une raison pour que les femmes leur emboîtent le pas sur ce coup-là.
Ainsi, je suis restée indifférente à cette histoire ; elle ne m’a pas intéressée. Je pense que ce témoignage n’est vraiment intéressant que pour celle qui l’écrit car c’est un acte libérateur et Marie Cardinal évoque cette libération par l’écriture. Mais en ce qui concerne le lecteur, l’intérêt de lire ce témoignage reste à prouver. Ce récit le place en position de voyeur et ce dernier peut même ressentir un certain malaise face à cette femme qui aime utiliser des mots crus pour dire sa féminité ; il peut aussi être agacé par le ton parfois un peu pleurnichard de Marie Cardinal qui place systématiquement les femmes dans une position de victime.
Cependant, on peut aussi saluer Les mots pour le dire qui montre l’importance de l’éducation dans la construction de la personnalité d’une fille, origine de bien des névroses. Ce témoignage fustige également l’éducation pré-soixante-huitarde, basée sur un paternalisme qui brime, inhibe et infériorise les femmes. Une manière de dire le poids trop lourd d’un passé collectif qui pèse sur les femmes, et pas seulement sur celles qui sont nées avant mai 1968.
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