LECTURES VAGABONDES

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Jonas Gardell : N’essuie jamais de larmes sans gants/Larmes gay

            

   Voilà un titre bien énigmatique mais, lorsqu’on le comprend – il s’agit des précautions prises par les équipes médicales chargées de soigner les malades du SIDA au moment de sa mystérieuse apparition – il fait froid dans le dos. N’essuie jamais de larmes sans gants est écrit par le romancier suédois et militant LGBT Jonas Gardell et paraît en France aux éditions Gaïa en 2016.

 

                Nous sommes en Suède au début des années 80. Le jeune Rasmus vit dans un trou perdu de la province du Varmland et se sent bien mal dans sa peau malgré l’affection inconditionnelle que lui voue sa mère. Durant toute sa scolarité, il a subi les quolibets de ses camarades de classe ; il faut dire qu’il est très attiré par les garçons et non par les filles. Aussi, ses études supérieures, il veut les poursuivre à Stockholm. Là, il découvre son homosexualité et la pratique assiduement. Mais un soir, lors d’un réveillon de Noël chez un ami nommé Paul, il rencontre Benjamin et c’est presque le coup de foudre réciproque. Benjamin vit à Stockholm. C’est un ancien témoin de Jéhovah et lorsqu’il a décidé de vivre son homosexualité, il a dû rompre avec sa famille et avec sa religion particulièrement rigoriste. Entre Benjamin et Rasmus, l’amour est fort et réciproque. Cependant, cette forte relation n’empêche pas Rasmus d’avoir des tas d’amants de passage. C’est à l’occasion d’une de ces relations éphémères et rapides qu’il contracte le SIDA. Comme tant d’autres de ses amis et/ou amants. Il décédera de cette maladie après une affreuse agonie qui l’aura quand même rapproché de ses parents qu’il avait perdu de vue pendant plusieurs années après son coming-out. Benjamin aura aussi le SIDA, mais plus tard et alors, les médicaments seront là pour le sauver de la déchéance et lui permettront de continuer à vivre. Cependant, il n’oubliera jamais son grand amour : Rasmus.

 

                N’essuie jamais de larmes sans gants est un ample roman de plus de 500 pages sur un sujet à la mode, mais encore quelque peu tabou : le SIDA et ses ravages dans la communauté gay. On retourne donc au début des années 80, à une époque où les homosexuels commencent à sortir de l’ombre et à se faire connaître et accepter par la société. C’est en plein milieu de ce combat que le SIDA fait son apparition, jetant à nouveau l’opprobre sur la communauté gay. Non seulement, celle-ci est décimée par ce qu’on appelle communément le cancer gay, mais elle est aussi victime à nouveau d’un rejet total de la part de la société bien-pensante.

                De manière connexe, le roman parle aussi de la difficulté de vivre son homosexualité. Ces difficultés sont à la fois personnelles – accepter cette différence en soi est difficile ; il faut s’accepter tel qu’on est et pas tel qu’on souhaiterait être – familiales – faire son coming-out peut s’avérer tragique et générateur de rejet de la part de la famille – et sociale – inutile de s’attarder sur les discriminations sociales et les moqueries qui frappent les homosexuels.

                Le roman raconte aussi une histoire d’amour : celle de Benjamin et de Rasmus. Histoire d’amour singulière mais apparemment banale chez les homosexuels, cette relation fusionnelle n’empêche pas les rapports extra-conjugaux. Ces derniers sont d’ailleurs très fréquents et se font avec n’importe qui. Rasmus est particulièrement friand de ce genre de pratique. 

 

                C’est aussi une histoire d’amitié et de famille qui est donnée à lire. Les membres de la communauté gay nouent entre eux des relations très fortes au point que ces dernières comblent la faille familiale bien souvent ouverte à l’occasion d’un coming-out. Certes, on peut déplorer cette autarcie qui caractérise la communauté gay, au point qu’on peut presque parler de clan homosexuel. Ils vivent entre eux et ne se mêlent pas aux hétérosexuels qu’ils rejettent. Par mimétisme, pourrait-on dire, les homosexuels rejettent les hétérosexuels qui les ont au départ, rejetés. Comment faire pour se faire accepter si le rejet des uns par les autres est le modus vivendi des uns et des autres ? Nonobstant, nous suivons les aventures de Paul, Benjamin, Rasmus, Reine et les autres qui partagent tout, les joies comme les peines.

                Et des peines, c’est qu’il y en a dans la communauté gay du début des années 80. L’horreur physique qui découle du SIDA est évoquée sans que l’auteur prenne de gants, de manière brute et brutale. Mais l’horreur, elle est aussi morale car le malade meurt dans la solitude. Même les soignants se barricadent derrière des combinaisons et des gants pour ne pas entrer en contact avec le malade. Par ailleurs, l’opprobre est aussi sociale : on accable les homosexuels de la responsabilité de cette maladie et on développe l’idée que c’est « bien fait pour eux ». 

                Par ailleurs, Jonas Gardell nous emmène au cœur de la communauté gay et il évoque les pratiques sexuelles communément répandues dans cette communauté. Il faut bien dire que cette sexualité est très particulière : certes, elle se pratique entre personnes de même sexe, et on le comprend dès lors qu’on admet que cette orientation est naturelle et non voulue. Mais quid de cette manie d’aller roder dans des endroits glauques : des pissotières, des endroits pas très recommandables sous les ponts ou un peu à l’écart de la ville, pour se faire prendre par n’importe qui – qu’on peut même trouver répugnant - et n’importe comment, pour une relation de quelques minutes : les « amants » ne savent même pas comment s’appelle leur partenaire. Avec de telles pratiques communément répandues, qui font partie de ce qu’on appelle « la culture gay », il ne faut pas s’étonner qu’on traite les homos d’« obsédés sexuels ».

                Enfin, Jonas Gardell imbrique, dans l’histoire particulière de Rasmus, Benjamin, Paul, Reine et les autres, l’histoire de tous les homosexuels du monde. En effet, certains passages de son roman ont une apparence didactique : Jonas Gardell, s’appuyant sur des articles de journaux principalement, expose les différents progrès accomplis par la communauté gay pour se faire accepter par la société et les difficultés et le rejet qu’elle rencontre encore.

                Je reconnais les qualités de romancier de Jonas Gardell : ce roman est dense et peut-être un des meilleurs jamais écrits sur la communauté gay. Cependant, je l’ai trouvé long et il m’a par moments, ennuyée car il est assez redondant. Certes, N’essuie jamais de larmes sans gants n’est pas un roman destiné à la communauté LGBT, mais bien à tous. Cependant, je pense que les homosexuels se sentiront davantage concernés par ces considérations et ces histoires dans lesquelles ils se retrouveront.



20/05/2024
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