Louis Aragon : Aurélien / Un lien difficile à établir
Si j’adore la poésie d’Aragon, au niveau des romans qu’il a publiés, j’avoue avoir un peu de mal. Aurélien me semble l’opus le plus accessible ; voilà pourquoi j’ai décidé de le lire. Et puis, ce prénom est tellement beau ! Aurélien est un roman écrit par Louis Aragon en 1944 et parait aux éditions Gallimard. Il fait partie du cycle Le monde réel.
Nous sommes en 1921 à Paris. Aurélien Leurtillois, qui fut capitaine durant la guerre 14-18, est désormais oisif : il vit de ses confortables rentes. Lors d’une soirée donnée par Mary de Perseval, il rencontre Bérénice, cousine de son camarade de guerre Edmond Barbentane. Au départ, il la trouve laide, mais peu à peu, son image l’obsède et le poursuit ; cependant Bérénice est mariée à un pharmacien, Lucien Morel, et habite en province, à R… . Lors d’une soirée - où les mêmes se retrouvent – il invite la jeune femme à danser. Lorsqu’elle ferme les yeux, il a l’impression de voir une autre femme et désormais, il ressent pour elle un sentiment exclusif et douloureux. D’ailleurs, Aurélien possède un masque de plâtre qui représente le visage d’une noyée et qui ressemble au visage de Bérénice. Il achète le portrait de Bérénice que le peintre Zamora vient de dessiner (une œuvre abstraite). Il revoit Bérénice qui semble partager les sentiments d’Aurélien. Cependant, la femme d’Edmond Barbentane, Blanchette – qu’Edmond trompe avec Rose Melrose, une actrice de théâtre – est amoureuse d’Aurélien et jalouse de Bérénice. Elle tente de mettre fin à ses jours. Et puis, son mari, Lucien, a débarqué chez les Barbentane. Pour toutes ces raisons, Bérénice est souvent aux abonnés absents. D’ailleurs, le soir du nouvel an, Aurélien le passe au Lulli’s – là où il a fait danser Bérénice aux yeux fermés – en compagnie d’anciens combattants, puis termine la soirée, ivre, avec une prostituée : Simone. Lorsqu’il rentre chez lui, Bérénice l’attend. Mais devant le spectacle de cet homme qui vient de coucher avec une autre, elle repart ; puis disparait. Plus tard, Aurélien apprend que Bérénice est partie sur un coup de tête avec le poète Paul Denis. Cependant, cette dernière conçoit que cette relation ne la mène à rien, alors, elle disparait définitivement. Un soir, Aurélien et Paul Denis, qui se sont rencontrés fortuitement, passent ensemble la soirée à palabrer sur Bérénice. Lors d’une altercation entre des matelots, Paul est tué. Cette tragédie scelle le destin d’Aurélien qui apprend qu’il est ruiné. En effet, il a placé sa fortune dans les affaires crapuleuses de son ami Edmond. Le collaborateur de ce dernier, Adrien Arnaud, a pris sa place auprès de Blanchette qui a demandé le divorce et récupéré sa fortune. Par ailleurs, les malversations d’Edmond ont été révélées. Nous retrouvons Aurélien pendant la débâcle de 1940. Désormais, il est marié, père de famille et travaille dans l’usine d’Edmond. Son chemin l’amène à R… . C’est là qu’habitent Bérénice et son époux. Les retrouvailles sont décevantes. Bérénice a vieilli. Elle ne partage pas les idées d’Aurélien sur la guerre : elle voudrait que la France se batte alors qu’il n’a pas envie de sacrifier des vies. Sur la route, la voiture dans laquelle se trouvent Aurélien, Bérénice et d’autres, est mitraillée. Bérénice meurt, touchée par plusieurs balles.
Selon moi, Aurélien est une œuvre difficile.
D’abord, l’écriture. Certes, on retrouve la pâte poétique d’Aragon qui flirte avec le surréalisme – la poésie surréaliste n’est pas forcément caractérisée par une clarté absolue. Il faut se laisser aller aux impressions produite par l’attelage des mots que le poète fait fusionner. En outre, on trouve également beaucoup de discours indirect libre avec de l‘argot parisien, ainsi que beaucoup de phrases tronquées, inachevées… au lecteur de compléter les ellipses qu’il peut çà et là, trouver.
Ensuite, le roman accumule les scènes qui ont la particularité d’être morcelées, surtout lorsqu’il s’agit de scènes de groupe. Alors, Aragon évoque, l’un, l’autre, puis encore un autre avant de revenir à l’un. L’ensemble crée une impression de désordre. La scène, ainsi échevelée, est difficile à suivre. Là encore, il faut se laisser porter par l’impression qui se dégage de l’ensemble.
Cependant, le roman donne aussi une vision satirique du monde bourgeois de l’entre-deux guerre. Il s’agit d’un milieu dans lequel évoluent des artistes, des patrons, des rentiers et autres nantis de l’époque. Les personnages sont se retrouvent en vase clos et entre eux, ce sont toujours les mêmes discussions, disputes, ou encore intrigues. Par exemple, quand le poète Paul Denis meurt, ont lieu des règlements de compte entre écrivains modernes ou classiques, le but étant de profiter des circonstances pour se faire entendre dans les journaux. Bien évidemment, dans ce milieu, il y a l’argent, qui est important, et les magouilles sont monnaie courante. Edmond Barbentane, par exemple, sera ruiné par l’intervention de son associé et complice qui le trahit – Adrien Arnaud – et lui prend sa femme, Blanche. Mais Edmond ne s’avoue pas vaincu, retombe sur ses pattes et épouse… sa belle-mère, la richissime Carlotta !
Enfin, ce monde est aussi caractérisé par la mesquinerie et la frivolité. Il ne repose sur aucune valeur réelle. Cependant, Aurélien est différent de tous ces gens qu’il fréquente. Il rêve d’un amour absolu et croit l’avoir trouvé en Bérénice, cette femme qui l’obsède. Mais lui-même n’échappe pas aux intermittences du cœur, puisqu’il épouse Georgette et fonde une famille. De temps à autre, il a l’impression d’avoir toujours aimé Bérénice et l’instant d’avant, il a la sensation de l’avoir oubliée. En fait, on a l’impression que bien plus que la femme qu’il ne connait pas vraiment, il aime une image, un visage figé, un masque de plâtre que Bérénice a brisé avant de lui en offrir un autre, fait à partir de son propre visage.
Avec ce personnage d’Aurélien, Aragon fait le portrait d’un homme qui ne vit pas dans son temps. En effet, Aurélien a vécu la grande guerre et n’en est pas sorti. Par exemple, il aime l’art figuratif et n’aime pas Zamora, le peintre abstrait. Tout ce qui est moderne, il le rejette. Il finit par se retrouver à l’unisson dans les réunions d’anciens combattants… même s’il y règne une grande vulgarité qui ne lui correspond guère.
Mais ce qui fait également d’Aurélien une œuvre difficile, c’est qu’il s’agit d’un roman à clef. Aragon avoue s’être inspiré de lui et de son ami Pierre Drieu La Rochelle pour composer son personnage principal. D’autres personnages correspondent à des personnes réelles du monde de l’entre-deux guerre. Bérénice, quant à elle, est inspirée de Denise Lévy, amour malheureux d'Aragon, qui deviendra une militante engagée, mais aussi de son grand amour, Elsa, qui menace de le quitter pour se lancer dans la résistance, pendant la guerre. Derrière le peintre Zamora on devine Francis Picabia, et André Breton aurait prêté ses traits à Ménestrel. Cependant, nous qui sommes de 2020 ; on et bien loin de tous ces gens qui ont vécu il y a quatre-vingts ans. On ne sait ni qui ils sont, ni à qui ils renvoient. Ces références, je les ai trouvées par des recherches.
Un des grands intérêts du roman, c’est qu’il nous invite à faire une promenade dans Paris. On se balade de l’île de la Cité où Aurélien a sa garçonnière à la place blanche où Paul Denis trouve la mort, en passant par le quartier de Saint-Germain où se trouve le Lulli’s bar.
Inutile de dire que j’ai trouvé ce roman un peu longuet et que sans doute, je suis passée à côté de cette œuvre. Pour autant, avec Aurélien, j’ai entamé Le cycle du monde réel qui contient 5 romans (mais le dernier, Les communistes, contient 6 volumes !). Je poursuivrai peut-être, sans doute… Pas sûr.
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