LECTURES VAGABONDES

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Tom Rob Smith : Kolyma /La suite d’Enfant 44 qu’on lit pas.

                Après le gros succès de l’excellentissime Enfant 44, Tom Rob Smith publie en 2010 aux éditions Belfond le roman Kolyma, sorte de suite d’Enfant 44 qui peut néanmoins se lire de manière indépendante de son prédécesseur. Cette œuvre ne déroge malheureusement pas à la règle qui conseille d’éviter les suites d’un roman qui a atteint une sorte de perfection : celles-ci sont souvent moins bonnes, l’exigence de départ étant très élevée. Ainsi donc, comme beaucoup de lecteurs qui ont adoré Enfant 44, je suis très déçue par Kolyma.

                Léo Démidov, le héros d’Enfant 44 coule des jours tranquilles avec sa femme Raïssa et ses deux filles adoptées : Zoya et Eléna. Des jours tranquilles ? Pas tant que ça ! Zoya hait Léo qui fut membre du MGB, qui a contribué à la terreur stalinienne, qui porte en partie la responsabilité de la mort de ses parents.  Cependant, le plan Khrouchtchev qui règle ses comptes avec la politique de Staline en entreprenant de dénoncer ses excès vient perturber la petite famille. Léo se retrouve bientôt face à l’épouse d’un homme qu’il a contribué à envoyer au goulag de la Kolyma : Lazare. Cette femme, désormais nommée Fraera, est à la tête d’un gang de vorys : des dissidents au régime communiste qui fomentent clandestinement des troubles sociaux. Cependant, sa seule obsession, c’est la vengeance. Elle veut faire souffrir Léo comme elle a souffert lorsque, par sa faute, elle fut séparée de son mari et emprisonnée. Pour ce faire, elle enlève sa fille adoptive, Zoya : si Léo veut retrouver sa fille, il doit se débrouiller pour faire sortir Lazare du goulag de la Kolyma. Après maintes aventures, Léo parvient à remplir sa mission… mais, lorsqu’elle est face à son mari, Fraera le tue de sang-froid ! Reste à récupérer Zoya ! Fraera ne tient pas sa parole et tue Zoya sous les yeux de ses parents adoptifs. La seconde partie du roman se déroule à Budapest : nous retrouvons Fraera et… Zoya – dont la mort était un simulacre - en train de manigancer une révolution destinée à libérer la Hongrie de l’étau soviétique. Léo, averti du fait que sa fille adoptive est en vie, se rend à Budapest pour récupérer Zoya, endoctrinée par Fraera. Après moultes péripéties, toute la petite famille se retrouve réunie dans l’amour désormais affirmé entre tous ses membres.

                Ah ça, y a pas à dire ! L’intrigue de Kolyma est nettement moins dense et moins inspirée que celle d’Enfant 44. En effet, le fil directeur de Kolyma, c’est la haine de Fraera pour Léo qu’elle juge responsable de tous ses malheurs sous l’ère Staline. A l’ère Khrouchtchev, elle se venge à la fois de Léo en s’en prenant à sa fille et en lui infligeant une mission quasi impossible qui devrait le faire souffrir, puis, dans la seconde partie, sa haine s’étale contre le régime communiste en général et nous voilà embarqués dans une histoire de révolution vite réprimée par les chars soviétiques. Bien évidemment, une grande partie du roman est consacrée à la mission de Léo : retrouver Lazare et le faire sortir du goulag de la Kolyma. Pour ce faire, notre héros doit pénétrer le goulag incognito, en endossant le rôle d’un condamné. C’est alors que Tom Rob Smith nous entraîne dans une succession d’actions spectaculaires et violentes, destinées à montrer que Léo Démidov, son héros, est toujours aussi valeureux. Le bateau qui l’amène au goulag chavire, ce qui permet aux prisonniers de se mutiner. Au goulag, Lazare reconnait Léo, celui qui l’a naguère arrêté, et décide de se venger de ce dernier en lui infligeant d’horribles tortures tous les soirs, après sa rude journée dans les mines. Bref ! Ensuite, il y a l’évasion du goulag… etc. Et on remet le couvert pour la deuxième partie : succession de scènes d’actions violentes dans un Budapest à feu et à sang.

                 Il est vrai que le contexte politique qui constituait le ressort d’Enfant 44, est ici relégué en arrière-plan pour laisser place à des histoires de ressentiments individuels, nettement moins intéressants, nettement moins inquiétants car bien moins implacables : on ne peut comparer en termes d’efficacité et de tension narrative la haine d’une femme, si intense soit-elle et l’effroyable étau d’un régime totalitaire et paranoïaque susceptible de broyer n’importe qui ! Voilà pourquoi, indéniablement, Kolyma est un roman faible qui ne satisfera que les amateurs de scènes d’action qui déménagent… Et on est servi dans Kolyma, sur ce point ! Face à Léo Démidov, Bruce Willis n’a qu’à bien se tenir !

             Tout comme Enfant 44, Kolyma déroule également une intrigue sentimentale, mais là encore, cette dernière est nettement moins intéressante. De manière classique, Zoya tombe amoureuse d’un jeune vory dénommé Malish. Elle le suivra jusqu’à Budapest où… snif ! Il trouve la mort. Cependant, je dois dire que puisque le roman gravite autour de Léo, le couple Zoya-Malish passe par conséquent au second plan et n’intéresse que moyennement le lecteur.

                   Et je passe sur l’aberration que constitue l’assassinat de Lazare par sa femme, Fraera ! Pourquoi avoir envoyé Léo le libérer du goulag de la Kolyma si c’est pour lui mettre une balle dans la tête deux minutes après les retrouvailles ! Certes, ce qui domine chez Fraera, c’est sa haine pour Léo et le communisme, mais cela ne justifie en rien l’assassinat de Lazare que Tom Rob Smith explique par un vague :

              « Elle le voyait comme quelqu’un de son ancienne vie, rien de plus. Il n’était qu’un prétexte. Elle voulait vous envoyer au goulag pour vous punir, vous obliger à voir de vos propres yeux dans quel monde vous aviez expédié tant de gens. »

                  Moi, je pense bien plus logiquement que cette scène sert juste à en rajouter une couche dans la peinture d’une femme habitée par une telle haine qu’elle est en proie à une violence qui n’a plus de limites. Et puis, un mort de plus ou de moins dans un roman qui en compte déjà tant, ce n’est pas bien grave surtout si ce dernier permet d’offrir au lecteur un petit événement imprévu !

              Pour terminer, comme dans Enfant 44, Léo Démidov aura aussi des douleurs morales à surmonter : la mort de son ami Timur, notamment. Là encore, rien à voir avec le doute qui s’insinue en Léo – doute portant sur sa mission de membre du MGB, police secrète du régime stalinien - dans Enfant 44, et qui constitue un véritable ressort narratif qui irradie l’ensemble du roman. Ici, la mort de Timur ne constitue qu’un événement ponctuel qui finit par disparaître lorsqu’on avance dans l’histoire.

                 Je pense donc que Tom Rob Smith aurait dû s’abstenir de prendre la plume si c’était pour pondre cet insignifiant roman : Kolyma. Mais bien évidemment, il est difficile de résister aux sirènes de l’argent facile qui consiste à surfer sur le succès d’une première œuvre en proposant une saison 2, souvent bien moins inspirée ; « mais tant pis ! » se dit-on. « Les lecteurs enthousiastes du premier opus ne résisteront pas à l’envie de retrouver les héros qui les ont tant emballés dans la merdouille que je vais leur donner en pâture ». Eh oui, les lecteurs ne sont finalement que des consommateurs comme les autres ! Des gogos auxquels il faut réussir à fourguer sa came ! 

 



27/11/2013
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