Lionel Duroy : Le chagrin/Lecture chagrine.
Voici un roman qui chagrine nettement le pauvre lecteur qui a eu le malheur de vouloir se plonger entre ses longues pages soporifiques ! Le Chagrin, écrit par Lionel Duroy et paru 2010 aux éditions Julliard porte donc bien son nom !
C’est quelques années avant la deuxième guerre mondiale que les parents du narrateur du roman – qui semble bien être Lionel Duroy lui-même, mais qui se prénommera pour l’occasion William – se rencontrent. Lui se nomme Théophile Dunoyer de Pranassac ; elle se nomme Suzanne Verbois. L’un et l’autre soutiennent Pétain, détestent De Gaulle, nourrissent un certain racisme envers les juifs puis les arabes. Ensemble ils vont fonder une famille nombreuse – une dizaine d’enfants. Pourtant, on ne peut pas dire qu’au sein de ce couple, ce soit le bonheur absolu. Théophile – surnommé Toto – tire le diable par la queue et passe sa vie à trimer comme représentant pour différentes marques de produits commerciaux et à embobiner tout le monde pour permettre à sa famille de se loger dans différents endroits de différents standings.
Cependant, la mère, Suzanne, est acariâtre et humilie sans arrêt son mari. Elle aurait tellement espéré être introduite dans le beau monde ! C’est dans cette ambiance tendue et hostile que grandissent les enfants de Théophile et de Suzanne ; notamment William, le narrateur, dont nous sommes invités à suivre le parcours. Après des études plus ou moins abouties, après une période où la moto et les voyages étaient le centre de sa vie, après un amour qui restera platonique – la fille en question s’appelle Sylvie – William devient journaliste à Libération puis à l’Evénement du Jeudi. Il épouse Agnès dont il aura deux enfants. Partagé entre sa vie de famille et sa vie professionnelle, William s’engage aussi dans l’écriture de romans. L’une de ses œuvres sèmera la zizanie au sien de la famille car il entend régler des comptes avec la mère ; il s’agit de Priez pour nous. Désormais ostracisé, William voit aussi sa vie de couple voler en éclat tandis qu’une autre femme entre dans sa vie : Blandine dont il aura deux filles… Si Le chagrin est une manière de garder un souvenir de sa vie et de dire son amour à sa famille et à Agnès, sans doute un autre roman est à venir, roman consacré à Blandine dont il cherche à saisir le mystère sans encore y parvenir.
Si Le chagrin comporte quelques beaux moments, on se demande finalement à quoi sert ce livre qui s’apparente à une autobiographie. Effectivement, Lionel Duroy a bien écrit ce fameux roman qui a semé la zizanie dans la famille : Priez pour nous. Il est bien journaliste et travaille bien à l’Evénement du Jeudi, à Libération. Il a bien effectué de reportages en Nouvelle-Calédonie ou en ex-Yougoslavie. Et puis, il y a cette propension du l’auteur à évoquer des photos de famille qu’il décrit comme pour restituer la teneur vivante d’un moment fixé sur une pellicule plastifiée ; ces photos semblent exister et être sous le nez de Lionel Duroy au moment où il écrit. Et l’auteur déclare finalement :
« J’étais bien placé pour savoir combien les livres peuvent être destructeurs, et cependant je ne connaissais pas de plus sûr moyen de garder auprès de soi ceux que nous aimons le plus. ».
Si Le chagrin s’apparente à une autobiographie, on se demande vraiment si son intérêt parvient à franchir les limites du cercle familial de Lionel Duroy. Quand je pense à quel point on peut s’ennuyer en regardant les photos de vacances d’autres qui nous sont pourtant proches, c’est dire si le roman du lointain Lionel Duroy nous passionne ! Bref, il existe, il est disponible et il est malheureusement tombé entre mes mains.
Ainsi, si l’écriture de ce roman se justifie par l’amour que l’auteur porte à ses proches, il témoigne néanmoins de la haine qu’il voue à sa mère. C’est pour expurger cette haine qu’il a écrit priez pour nous. En effet, il ne lui pardonne pas l’attitude méprisante et humiliante qu’elle a eu envers son père et donc envers lui-même qui porte sur son visage les traits marquants de la famille de Pranassac. Dans Le chagrin, Lionel Duroy exprime encore cette haine pour Suzanne de Pranassac, évoquant de manière répétitive l’attitude hystérique qu’elle a souvent adoptée à l’égard de sa famille. Bref, ce livre n’est donc qu’une sorte de répétition de Priez pour nous et ne propose qu’un portrait à charge et assez simpliste d’une femme que l’auteur n’a pas cherché à comprendre et qu’il résume à un comportement hystérique. De l’autre côté, s’il cherche à réhabiliter l’image ternie de son père, là encore, il reste superficiel et limité. Toto était un être futé, un peu escroc, débrouillard, plein de ressources. De toutes manières, Lionel Duroy éprouve de grandes difficultés à parler de quelqu’un d’autre que de lui-même.
Par ailleurs, Lionel Duroy cherche, à travers Le chagrin, à exorciser les mauvais choix politiques et idéologiques adoptés par ses parents. Pétainistes, contre de Gaulle, contre la résistance, ensuite pour l’Algérie française, ils sont racistes et c’est pour expier cette faute qu’il a partagée pendant longtemps que Lionel Duroy part en Algérie, en Nouvelle-Calédonie : partout où la France a fait œuvre de colonialisme.
Voilà donc ce qui fait la colonne vertébrale de ce roman. Pour le reste, je me suis particulièrement ennuyée dans ces longs passages où l’auteur se prend de passion pour les motos et qu’il évoque longuement toutes celles qu’il a possédées, revendues, etc… Le roman fait aussi la part belle à une certaine volonté réaliste qui se matérialise dans l’abondance des dialogues cucul-la-praline, du style « qu’est-ce que tu veux manger ce soir, mon chéri ? ». La chronique familiale qui est évoquée dans Le chagrin pourrait faire l’objet de quelques épisodes dans la veine de France 3 – Plus belle la vie.
On attendait aussi de Le chagrin qu’il restitue l’atmosphère des années 50-60. Pour le coup, certes, les événements racontés se situent dans ces années-là, en grande partie, mais Lionel Duroy ne parvient pas à évoquer l’ambiance particulière de cette période, trop occupé qu’il est à parler de lui, de ses petits bobos, de ses disputes avec Frédéric, son frère si choyé par sa mère.
Bref, c’est une déception que ce roman que j’ai choisi de lire pour la belle image des années 50 qui figure en couverture du livre. Il est ennuyeux et sans intérêt. Lecture à réserver donc, pour les seuls fans de Lionel Duroy qui ont envie de connaître les détails anodins de sa vie personnelle.
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