LECTURES VAGABONDES

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Liliane Roskopf : Un siècle dans la vie d’une femme / Quelques heures dans un très beau roman.


                Outre la passation de la vie, que doit une fille à sa mère ? Une mère à sa fille ? Maman, mamie, autant de liens magiques, étroits, vivaces, entre les femmes de différentes générations. C'est de ces liens que Liliane Roskoft a nourri son très beau roman : Un siècle dans la vie d'une femme, paru en 2009 aux éditions Belfond.

                Anaïs, Louise, Anne et Lola : quatre femmes, quatre générations qui s'enchainent. Anaïs, la plus vieille, vit au début du vingtième siècle, période tourmentée par la grande guerre qui lui ravira son mari, Eugène. Louise, sa fille, n'a pu continuer ses études car priorité revenait à son frère, inculte et paresseux. Elle se marie mais pendant la seconde guerre mondiale, elle prendra un amant. Une enfant naît : Anne, alors que jamais, avec son mari, Léon, elle n'est tombée enceinte. Léon bâtira une affaire juteuse qui mettra toute la famille à l'abri du besoin. Anne est une étudiante brillante et devient une journaliste ambitieuse, ce qui n'est pas sans poser des problèmes, aussi bien du côté de son compagnon, Maxime, que du côté de sa fille, Lola. Lola, dernier maillon générationnel, bâtit sa vie loin de la Suisse et de sa famille, en Chine.

                Le roman mélange les dates et les personnages qui se croisent et se décroisent au hasard du temps. Cette construction permet de mettre chaque héroïne face à face, de les confronter entre elles, mais aussi de confronter les décennies du 20ème siècle entre elles. Ça et là, entre les chapitres, sont insérées des pages écrites en italique, pages qui réunissent les quatre femmes en une seule qui aurait vécu leurs quatre vies, pages qui permettent de lier intimement les quatre destins les uns aux autres, de montrer leur continuité mais aussi leurs points communs et leurs différences.

                Mais parlons un peu de ces quatre héroïnes au portrait sensible et passionnant. D'abord, Anaïs. Le grand amour de sa vie, c'est son mari, Eugène, mari qui lui donnera un fils et une fille. Cependant, les époux n'auront partagé qu'une décennie de bonheur. A l'aube de leurs amours, Eugène est parti pour l'Indochine. A son retour, Anaïs l'épouse mais devra le quitter en 1914. Après la guerre, Eugène revient, mais c'est pour mourir : il a en effet été gazé dans les tranchées. Cependant, Anaïs a une passion : la cuisine. Avec son nouveau mari, elle ouvre un café-restaurant dont elle s'occupe. Elle s'occupe aussi de la mère d'Eugène, vieillissante. Louise, la fille d'Anaïs, n'aura pas fait les études dont elle rêvait, mais accèdera à une vie bourgeoise grâce à son mari, Léon, qui bâtit une affaire fructueuse de fabrication de rouge à lèvres. L'enfant qu'il n'arrive pas à lui donner, Louise l'aura avec son amant, un réfugié polonais (sans doute est-il le père naturel d'Anne). Cet amant d'un été, Louise ne l'oubliera jamais. Elle le reverra, même, plus tard. Mais sa vie est ailleurs, auprès de sa fille qu'elle pousse à étudier, auprès de son mari qui la trompe lors de ses voyages d'affaires, qui mourra d'avoir manipulé trop de colorants. Anne devient une journaliste ambitieuse. Cependant, à peine est-elle mère qu'elle confie sa fille à Louise, la grand-mère. Elle part aux USA pendant un an. Plus tard, elle revient auprès de son compagnon, Maxime, et auprès de sa fille Lola, mais s'absente si souvent que celui-ci finira par en épouser une autre tandis que Lola rêve de vivre sans attache, sans racine. Cette dernière ne bénéficie, dans le roman que d'un portrait esquissé, puisqu'elle coupe les ponts avec sa famille et avec son pays. Investie à 100% dans une entreprise de marketing, sa carrière passe avant tout : sa vie sentimentale est assez nulle.

                Bien évidemment, les liens entre ces quatre générations dressent une petite histoire du féminisme tout en nuance. Anaïs ne conçoit pas qu'une fille fasse des études, Louise aurait aimé en faire et vit ce désir frustré à travers sa fille, Anne, qui devient une journaliste pétrie d'un féminisme excessif qui la ruinera : elle ne parvient pas à trouver l'équilibre entre son travail et sa famille et perdra tout à faire les mauvais choix au mauvais moment. Quant à Lola, elle aspire à la réussite personnelle et à la totale liberté : parviendra-t-elle au bonheur ? Ainsi, Liliane Roskoft parvient-elle à dresser une vision nuancée du féminisme qui pose davantage de questions qu'il n'apporte de réponses. Comment composer l'amour, les hommes, le travail, les enfants pour réussir sa vie de femme ? Chaque héroïne avance dans la vie avec le tribut de ses origines, mais aussi celui de son temps. Aucune solution n'est parfaite. Les hommes et leur condition sont aussi pris en compte à travers les personnages masculins : Eugène est ravagé par la guerre, Léon, par son travail qui doit lui permettre de nourrir sa famille, Maxime, médecin dans l'humanitaire est très occupé, lui aussi, mais Anne est une femme indépendante et il souffre de son absence et des décisions intransigeantes qu'elle prend en ce qui concerne leur fille.

                Cependant, ces femmes et ces hommes ne sont pas vus seulement à travers l'évolution de la condition féminine. De nombreux points communs les relient. Nos quatre héroïnes ont toutes souffert, elles ont connu des désillusions amoureuses, des difficultés face à la vie. Mais elles ont aussi été heureuses, parfois, ont mené des combats, ont cherché à épanouir un talent personnel. Finalement, dans le fond, nous avons aussi un peu toutes la même histoire.

                Sans doute Liliane Roskoft a-t-elle mis beaucoup de son histoire personnelle, de celle de sa mère, de sa grand-mère dans ce roman. J'ai eu l'impression que le personnage d'Anne, c'était un peu elle : une femme écartelée par les intransigeances d'un féminisme excessif et les aspirations à un équilibre familial traditionnel. Cependant, elle a su transformer la matière vivante en une mouture absolument romanesque.

                Un siècle dans la vie d'une femme est donc un roman sensible, touchant et parfois poétique. Il met les femmes en perspective selon les générations et le temps. Et même si chaque femme n'a pas forcément eu la chance d'avoir des liens profonds et équilibrés avec sa mère, elle se sentira forcément concernée par les problématiques féminines du roman.



05/01/2013
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