Armistead Maupin : Maybe the moon… Maupin décroche la lune.
Sans doute avez-vous déjà entendu parler des célèbres Chroniques de San Francisco, écrites par Armistead Maupin dans les années 70-80, regroupées et publiées en 6 tomes dans la collection 10/18.
En 1992, Maupin écrit un roman sensiblement différent : Maybe the moon. Nous ne sommes plus à San Francisco dans les années 70, mais à Los Angeles, dans les années 80-90 : Cadence Roth, du haut de ses 79 centimètres rêve de gloire à Hollywood. Quelques années auparavant, elle a connu le succès dans un film réalisé par le célèbre metteur en scène Philip Blenheim : elle incarnait alors Mr Wood, un elfe perdu dans les bois et recueilli par un timide écolier de 11 ans. Le film a fait le tour du monde ; des poupées et autres gadgets à l'effigie de Mr Wood se sont vendus par millions… malheureusement, personne ne sait que sous le costume du malicieux lutin se cache une personne de petite taille nommée Cadence Roth. Depuis, notre Cady galère pour trouver un rôle taillé sur mesure. Ne s'offrent à elle que des piges minables : apparition dans des films d'horreur de seconde zone, publicités pour crème amincissante dans lesquelles elle incarne… le pot !
Sous forme de journal intime, destiné à devenir peut-être un jour un script pour scénariste en quête d'un projet de film original, Cadence nous raconte ses heurs et malheurs sur un ton où l'humour parvient bien mal à cacher la souffrance et les blessures intimes.
A travers ce roman assez original, Armistead Maupin aborde avec délicatesse et sensibilité le thème de la difficulté à inscrire sa différence dans une société normalisée, thème cher - et pour cause - à l'auteur des Chroniques de San Francisco, figure emblématique de la littérature « gay and lesbians ». Il est clair qu'à travers Maybe the moon, Maupin frappe un grand coup, puisqu'il associe, par une mise en parallèle constante, la cause des nains (marre des euphémismes bien-pensants !), et celle des gays. En effet, le meilleur ami de Cady, Jeff, est un romancier homosexuel… et ce personnage est étroitement lié à notre héroïne par une sorte de fraternité spirituelle : le petit ami de Jeff, Callum, acteur à Hollywood, refuse de révéler son homosexualité. Ainsi, à l'instar de Cady, dont le public ne connait pas le vrai visage, puisqu'elle n'apparait que costumée, Jeff, pourtant militant à act-up, se voit forcé de vivre son amour clandestinement. Quant à Callum, il vit dans le faux-semblant. Le jour, il s'affiche avec des starlettes lesbiennes - fort contentes, elles aussi, de passer aux yeux des journalistes pour des croqueuses d'hommes - et la nuit, il part chasser l'animal à grosse queue dans les jardins publics réputés pour les rencontres homosexuelles. A ce tarif-là, son idylle avec Jeff parait bien compromise, tout comme celle de Cady et de Neil, le beau black qui – quelle aubaine pour notre héroïne qui n'a connu que des types désireux de faire l'expérience de la baise avec une naine – tombe amoureux d'elle. Malheureusement, Neil a un fils assez intolérant. Aussi faut-il bien vivre l'amour dans l'ombre.
Maupin n'a de cesse de faire s'entrecroiser ces deux personnages – Jeff et Cady – qui souffrent du regard des autres. Il les plonge dans des situations où leurs problématiques se rejoignent… Peut-être pourra-t-on trouver, à certains moments, qu'Armistead Maupin exagère… particulièrement en 2009 où faire son coming out devient un acte de plus en plus banal, voire très tendance - tant chez les artistes, que chez les hommes politiques – tandis que les nains restent assez peu visibles dans notre société… à l'exception de Mimi Mathy que l'on peut considérer comme un alibi.
Cependant, il faut bien se rappeler que l'œuvre a été écrite en 1992, par un militant de la cause homosexuelle, soucieux de faire évoluer le regard et l'opinion du public à l'égard de ceux qui, pour une part, s'inscrivent en dehors des normes.
Pour renforcer son message, Armistead Maupin a choisi de jouer sur l'effet de réel à travers la forme du journal intime, à travers les lettres finales (qui paraissent véridiques) que s'échangent Philip Blenheim, le réalisateur de Mr Wood, et la scénariste chargée de remanier le journal intime de Cadence Roth afin d'en faire un nouveau film (car peut-être, Cady deviendra-t-elle une star, à la fin du roman ? Je vous laisse apprécier cette probabilité), mais aussi à travers de nombreuses allusions au monde réel d'Hollywood : ne pense-t-on pas à ET l'extraterrestre lorsque Cady évoque le rôle qui l'a propulsée au rang de star ?
Bref, Armistead Maupin nous offre encore ici un roman hors-norme, vraiment original et truculent : on y retrouve le mélange doux-amer d'humour et de gravité qui illumine la lecture des Chroniques de San Francisco même si, ici, la sauce a un goût sensiblement plus amer que doux !
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