LECTURES VAGABONDES

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Laura Kasischke : Un oiseau blanc dans le blizzard/Petit oiseau frissonne de plaisir

       

         Laura Kasischke est une écrivaine renommée aux Etats-Unis. Cependant, selon mon humble avis et ce que je connaissais d’elle, cette réputation restait à prouver ; je n’ai, en effet, pas du tout aimé Rêves de garçons… mais depuis, il y a eu A moi pour toujours que j’ai apprécié. Aujourd’hui, c’est un chef-d’œuvre que je vous propose de découvrir : Un oiseau blanc dans le blizzard de Laura Kasischke parait en 2000 en France aux éditions Christian Bourgeois éditeur.

 

          Le roman se découpe en quatre parties ; chacune correspond au mois de Janvier de quatre années successives : janvier 1986, janvier 1987, janvier 1988, et enfin, janvier 1989. C’est en janvier 1986 que Kat perd sa mère, disparue ; sans doute a-t-elle quitté sa famille qui lui était devenue pesante pour une nouvelle vie ailleurs, peut-être avec un amant. En effet, l’existence dans la petite banlieue résidentielle de Garden Heights, dans l’Ohio, est ennuyeuse à mourir. Femme au foyer, Eve s’ennuie derrière ses fourneaux. Elle méprise son mari qu’elle trouve grossier, surtout lorsqu’il lâche de gros pets lents et bruyants ; elle peut se montrer aussi cruelle avec sa fille dont il semble qu’elle envie le petit ami : Phil. En tout cas, son mari - et donc le père de Kat – annonce un beau jour à sa fille que sa mère a téléphoné, qu’elle ne reviendra pas. Sans doute y a-t-il eu quelques éléments dissonants dans l’ennuyeuse routine de cette vie de famille sans histoire : un jour, Eve a servi à son mari et à sa fille de la viande avariée issue du congélateur, débranché. Et puis, un autre jour, Eve est revenue avec un canari que son mari n’aimera pas tandis qu’elle refusera de l’abandonner. C’est le lendemain de la mort de l’oiseau qu’Eve disparait pour toujours… Eve, telle l’oiseau en cage, s’est enfuie de la cage familiale qui l’étouffait. De son côté, Kat fait des cauchemars : elle rêve de sa mère dans des paysages glacés, blancs ; ces rêves peuvent parfois être violents et morbides. Cependant, une enquête s’ouvre sur la disparition d’Eve : l’inspecteur Scieziesciez s’en charge et Kat n’est pas indifférente à son charme d’autant plus que ses relations avec Phil se dégradent et se refroidissent ; il faut dire que le jeune homme est totalement aliéné par une mère aveugle qui a sans cesse besoin de lui et le lui fait savoir rudement. Cependant Kat continue à faire des cauchemars qu’elle confie au docteur Phaler. Elle cherche à percer le mystère de sa mère, du couple qu’elle formait avec son père : Eve était promise à un tout autre destin que celui qu’elle a embrassé puisqu’elle a fait des études à l’université et qu’elle était plutôt brillante ! A son tour, Kat part pour l’université. Là elle rencontre Aaron qui lui plait et fait le ménage dans ses relation masculines : exit Phil et l’inspecteur Scieziesciez. Avec la distance, mystérieusement, ses rêves se précisent et les langues se délient :  l’inspecteur Scieziesciez avoue qu’il soupçonne le père de Kate du meurtre de sa femme. La mère de Phil, aveugle, déclare qu’Eve avait un amant et qu’elle en aurait averti son mari. L’intuition de Kat la mène vers le congélateur où elle découvre… sa mère.

 

          Un oiseau blanc dans le blizzard est un magnifique roman très dense. Il dresse le portrait d’une femme meurtrie par le mariage, l’ennui, le sentiment d’échec, le désir d’autre chose, de l’amour, de l’orgasme. Et sa fille, Kat, la narratrice, ne se rend pas compte qu’elle suit le même chemin qu’elle avec son petit ami Phil, morose et taciturne jeune homme… jusqu’au jour où tout comme sa mère, elle part faire ses études loin de Garden Heights, à l’université : là, sa vie prend alors un autre chemin que celui de sa mère car elle Kat sait rompre les liens avec le petit trou perdu d’Amérique où elle a grandi : elle largue Phil et prend un petit ami plus intello et ouvert sur le monde : Aaron.

          Le roman, en contrepoint, dresse aussi le portrait du mari de Kat, un homme qui parait lisse et insignifiant en apparence, vulgaire et creux dans l’intimité, mais qui, dans le fond, est violent et tumultueux. Ce n’est qu’à la fin du roman qu’apparait cette partie cachée de l’iceberg.

Par ailleurs, un oiseau blanc dans le blizzard propose une dénonciation sans concession de l’American way of life. Le roman se déroule dans une banlieue bien lisse et uniformisée : Garden Heights. Toutes les maisons se ressemblent ; elles sont blanches avec un petit jardin devant et un garage attenant. Derrière les fenêtres, rien ne se passe apparemment. Tout est étouffé. Tout le monde semble vivre la même existence réglée par une morale étriquée et petite bourgeoise : un homme qui part au travail tous les matins à neuf heures, la femme qui reste à la maison et s’occupe du foyer : ménage, cuisine, jardinage. Sauf que derrière cette apparente tranquillité routinière se cache le malaise de familles qui ne tournent pas si rond que ça et dont les membres nourrissent des névroses qui finissent par éclater.

          Enfin, Un oiseau blanc dans le blizzard, c’est aussi un thriller qui repose sur un véritable  suspense : qu’est-il arrivé à la mère de Kat ? Presque malgré elle et parce qu’elle est torturée par des cauchemars qui lui prennent la tête, Kat se trouve plongée au cœur d’une enquête sur sa mère, sur sa vie intime à la recherche de la vérité sur sa disparition. Les cauchemars de Kat nous mènent aux frontières du fantastique car ils sont évoqués dans des passages en italique et se détachent de l’ensemble du roman comme autant de petits diamants coupants et glacés noyés dans la blancheur du blizzard.

          Et puis, l’horreur éclate… à la dernière ligne. Un oiseau blanc dans le blizzard nous aura fait frissonner jusqu’au bout, jusqu’au dernier mot. Sublime !  



13/02/2022
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