LECTURES VAGABONDES

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Hans Fallada : Seul dans Berlin… Pour que je ne sois pas la seule lectrice !


En voici un de ces chefs d'œuvre comme on en lit rarement. Primo LEVI disait de ce roman - Seul dans Berlin, écrit par Hans FALLADA en 1947 et paru pour la première fois en France seulement en 1967 - qu'il était « l'un des plus beaux livre sur la résistance allemande antinazie ». Oui… mais pas seulement.

Par où commencer ? Comme d'habitude : petite présentation générale.

L'œuvre se divise en quatre parties, elles-mêmes subdivisées en petits chapitres d'une dizaine de pages pour un équilibre parfait.  Chacun de ces derniers porte un titre qui le résume, si bien qu'à la seule lecture de la table des matières, on se fait une assez bonne idée de la trame générale du roman. Il serait pourtant tellement dommage de s'arrêter là !

Première partie : Les Quangel. Une partie assez lente. Hans FALLADA semble en effet construire son roman selon la bonne vieille méthode balzacienne, avec un départ assez statique pour une présentation bien maillée et bien ficelée du contexte et des personnages, ce qui permet la mise en place de la dynamique romanesque qui va crescendo par la suite.  

Le lieu, tout d'abord : un immeuble modeste de la rue Jablonski, à Berlin. L'époque : mai 1940 – IIIème Reich – règne de la terreur partout en Europe, et aussi en Allemagne. Les personnages : ils sont multiples. Il y a les Quangel, bien sûr. Otto et Anna. Lui, modeste contremaître dans une fabrique de meubles. Elle, femme au foyer. Eva Kluge, la postière, vient de leur apporter une terrible nouvelle : leur fils unique est tombé au front.

Au fil des pages, les portes s'ouvrent sur les appartements et les personnages : ici, la famille Persicke, qui milite pour le parti nazi et travaille pour la Gestapo. Là, la vieille juive Rosenthal, persécutée, volée, effrayée. Là encore, Enno Kluge et Borckman, deux minables, deux coureurs de jupons égoïstes, qui n'hésitent pas à dénoncer les gens pour quelques marks… D'autres encore. Mais ce n'est qu'à la fin de la partie, après avoir bien présenté et positionné ses personnages les uns par rapport aux autres, que FALLADA lance la dynamique romanesque : les Quangel, désespérés par la mort de leur fils unique, décident de se lancer dans la lutte contre le führer, contre le nazisme, contre la guerre. Ils écrivent donc des cartes postales de contre-propagande qu'ils abandonnent en toute discrétion dans les cages d'escalier des immeubles de Berlin.

La seconde partie (la Gestapo) se lit comme une véritable enquête policière pleine de suspense et de fausses pistes. Le commissaire Escherich est chargé de retrouver celui qui a l'impudence de disséminer dans Berlin des messages qui insultent le IIIème Reich et son führer. Cette partie, outre son intérêt dramatique, dissèque avec une précision impressionnante les méthodes de la Gestapo : corruption, chantage, violence… le tout dans un cadre parfaitement normalisé et hiérarchisé. Un univers dans lequel le mot « administrer » prend tout son sens. Mais ce n'est pas tout : à cet aspect historique s'ajoute un aspect moral : la mise à nue de l'âme humaine. Quel comportement adopter lorsque la terreur nous ronge en permanence ? Cette terreur, elle frappe autant la population que les nazis qui n'hésitent pas à employer entre eux les mêmes méthodes que celles qu'ils appliquent au simple quidam qui leur passe entre les mains. La plupart du temps, c'est l'égoïsme qui prime : sauver sa peau à tout prix et tant pis pour celle des autres. FALLADA a parfaitement su rendre compte de la folie dont l'Allemagne toute entière fut la proie durant plus d'une dizaine d'année. Une folie normalisée, érigée en système implacable par rapport auquel chacun est bien forcé de trouver sa place. Parasite, résistant actif ou passif, profiteur, militant… il n'y a cependant personne qui échappe vraiment à la peur. La peur pour soi et pour ses proches. La peur de dire, de lâcher un mot, un nom de trop lors d'un banal interrogatoire de routine.  Car, de fait, le principe de l'effet papillon est au cœur de l'enquête d'Escherich qui lance sa traque sur toutes les pistes qui s'ouvrent à lui, des pistes qui s'avèrent être totalement fausses mais qui occasionnent déjà un beau petit carnage. En toute discrétion, bien sûr !

Cependant, un jour, le pur hasard, une faute commise par les époux Quangel, et l'étau se resserre d'un seul coup autour d'eux. Le roman  bascule ainsi en troisième et en quatrième partie dans un mécanisme tragique parfaitement maîtrisé qui érige progressivement le petit couple terne des Quangel en véritables héros de la résistance antinazie.

Pourtant, qui sont les véritables héros de ce roman ? les Quangel ? En réalité, les cartes postales qu'ils ont abandonnées dans les cages d'escalier ont quasiment toutes atterri à la Gestapo sans même avoir été lues par ceux qui les ont ramassées, tant la terreur qu'elles inspiraient était forte… Un acte de résistance inutile, donc, et qui aura provoqué, au cours de l'enquête insensément sensée d'Escherich et de son successeur, Laub, la mort de plusieurs personnes innocentes…. Par ailleurs, autour des Quangel gravitent d'autres types de résistants : le conseiller honoraire Fromm qui héberge des juifs, Grivoleit qui appartient à un réseau clandestin communiste, Eva Kluge qui adopte le fils abandonné de Borkmann, un gamin sans éducation dont elle fera un homme honnête, digne et propre. C'est d'ailleurs sur le personnage d'Eva Kluge que s'ouvre et se referme le roman, comme un magnifique message d'espoir lancé par FALLADA à l'humanité. Car je pense que si, effectivement, ce sont les Quangel qui sont les héros de ce roman, c'est que la résistance antinazie n'est peut-être pas au cœur de l'œuvre, mais bien plus simplement deux êtres qui, en pleine tourmente ont su trouver le chemin qui leur permettait de rester propres, face à leur glace… de rester des hommes dignes de ce nom. Etre un homme digne sous le IIIème Reich… voilà l'héroïsme que FALLADA a  voulu souligner à travers des gens qui, en temps normal, seraient complètement insignifiants et qui, en temps de troubles ont choisi de résister, certes, mais sans efficacité et même… bien pire ! Que de tourments n'auront-ils pas causés pour d'innocentes personnes !   

J'aurais encore beaucoup à dire sur ce roman qui me parait assez incontournable : des réflexions à mener sur la place du bien et du mal dans le monde, sur la densité de l'écriture de FALLADA qui, tout en restant sobre, sait parfaitement distiller chez son lecteur à la fois l'horreur et l'émotion… mais je pense que je vais arrêter là cet article qui sinon, n'en serait plus un !

Alors, simplement, lisez Seul dans Berlin d'Hans FALLADA.



17/08/2009
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