Kazuo Ishiguro : L’inconsolé/Pour se consoler…
Depuis plusieurs mois, question lecture, c’est plutôt le chagrin… pas beaucoup de bonnes pioches. Inutile de dire à quel point j’attends de Kazuo Ishiguro la consolation qui me comblera ! C’est possible si on songe de Kazuo Ishiguro est l’auteur de l’excellent roman adapté au cinéma par James Ivory : Les vestiges du jour. Alors, qu’en est-il de L’inconsolé, roman écrit par Kazuo Ishiguro et paru en 1997 aux éditions Calmann-Lévy ?
Ryder, pianiste à la réputation mondiale s’installe pour quelques jours dans une petite ville dont le nom reste inconnu - il s’agirait plutôt d’une ville située dans un pays de l’est. Là, il doit donner une prestation musicale à l’occasion d’une soirée prestigieuse. Il descend à l’hôtel de la ville et c’est alors que commence une succession de rencontres avec les habitants de la petite ville.
Chacun a quelque chose à confier ou à demander au grand Ryder ! Et c’est ainsi que notre héros se retrouve brinquebalé entre des rendez-vous successifs, des promenades hasardeuses… jusqu’à la fameuse soirée… un désastre au cours duquel Ryder n’aura pas l’occasion de se produire.
L’inconsolé est un roman étrange qui pourrait s’apparenter à ceux de Kafka tant on a l’impression que notre personnage principal se trouve perdu dans une ville aux allures de labyrinthe, entre autant de rencontres inopportunes que de discussions saugrenues à l’occasion desquelles nait le sentiment du côté dérisoire et absurde de l’existence.
En effet, tout d’abord, ce qui surprend et décontenance le lecteur, c’est la topographie de la ville dans laquelle se perd Ryder. Car cette ville est étendue, gigantesque et comporte de vastes landes désertiques qu’il faut traverser pour aller d’un endroit à l’autre. Et les moyens de transport ne sont pas forcément très pratiques et ajoutent au sentiment qu’on est perdu, que tout est difficilement accessible. De la même manière, les pièces dans lesquelles séjourne notre héros sont aussi étranges : pour répéter son morceau, il se rend dans une sorte de cabane de bois perchée au sommet d’une colline dans laquelle se trouve un piano. De la même manière, la salle du concert est composée d’endroits étranges, escamotables : on est comme sur une scène de théâtre où la machinerie permettrait de modifier l’espace en un tour de main.
C’est dans ce décor étrange, peu avenant, et quelque peu artificiel que vont se dérouler la succession de rencontres qui vont tantôt distraire, tantôt flatter, tantôt accabler notre héros. En effet, Ryder est un pianiste de renommée internationale et chacun s’empresse auprès de lui, chacun a quelque chose à lui confier ou à lui demander, chacun cherche à s’accaparer de son oreille pour y déverser son petit ego dérisoire. Toutes ces rencontres l’entrainent dans une succession de rendez-vous qui bouleversent son emploi du temps d’origine : Ryder se voit donc dépossédé de son temps par tous ces individus qui le poussent à aller à droite, à gauche, en avant, en arrière. La plupart des discussions entre Ryder et les habitants de la petite ville sont dérisoires et insignifiantes. Parmi les personnages les plus significatifs, on compte Stephan et son père, Hoffman, mais aussi le chef d’orchestre Brodsky qui doit, lui aussi, intervenir lors de la fameuse soirée musicale. Le vieil homme revient de loin : il fut alcoolique, il cherche à reconquérir son grand amour, Mlle Collins. A Ryder, il confie ses malheurs, notamment ses problèmes d’érection.
Cependant, Ryder est, lui aussi, un homme comme les autres et ne fait rien de bien passionnant, dans cette petite ville, sauf à écouter les doléances des uns et des autres et à se laisser totalement phagocyter par toutes ces rencontres. Dans cette ville, il retrouve son épouse, Sophie, et son fils, Boris. Ryder n’a que très peu de rapports avec eux et leurs vies sont étrangères les unes aux autres, car le pianiste voyage beaucoup. D’ailleurs, la plupart du temps, notre héros les rencontre de manière fortuite dans la ville, comme tous les autres. Certes, il envisage un avenir plus stable avec eux, mais somme toute, il n’a pas beaucoup de temps à leur consacrer. C’est aussi chose étrange que dans cette petite ville qu’il ne connait pas se retrouvent des connaissances qui datent de sa jeunesse, ou encore sa famille.
Enfin, les êtres humains, dans L’inconsolé, semblent être des marionnettes dérisoires qui ne suscitent aucune empathie de la part des autres : on est bien seul, dans la vie, face à nos problèmes qui ennuient les autres lorsque nous voulons les leur confier ; Brodsky par exemple, se fait renverser par une voiture et aussitôt, un médecin se rue sur lui pour l’amputer de sa jambe que ce dernier se presse de remplacer par une table à repasser ! Ryder, témoin de l’affaire, s’empresse de lui tourner le dos car il a à faire ailleurs.
Ainsi, L’inconsolé se présente comme un roman kafkaïen plutôt déroutant qui nous met face à l’absurdité dérisoire de la vie. Le roman illustre également la maxime de Sartre : « L’enfer, c’est les autres » : Ryder, en effet, se trouve dépossédé de son temps, mais aussi de son intériorité car il est sans cesse happé par les autres qui le prennent à témoin de leurs problèmes. C’est un roman fleuve plutôt répétitif mais on se laisse facilement prendre par cette succession d’histoires drôles, tragiques, déconcertantes, décalées… qui se multiplient sans jamais aboutir.
L’Inconsolé m’a donc quelque peu consolée du néant livresque dans lequel je suis plongée depuis quelques mois, tout comme Ryder se trouve plongé dans le labyrinthe désespérant d’une petite ville peu ouverte et plutôt confinée sur ses petits problèmes.
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