Kate Atkinson : Dans les replis du temps / Des replis parfois grossiers
A peine ai-je eu fini le fabuleux roman de Kate Atkinson : Dans les coulisses du musée que je me suis précipitée sur un roman un peu plus récent, reprenant la même thématique du voyage dans le temps : Dans les replis du temps – dont l’auteur est toujours la talentueuse mais irrégulière Kate Atkinson – parait en 1998 aux éditions de Fallois.
Le roman commence par planter un panorama général de l’endroit où l’action va se situer : quelque part sur la terre encore en formation, recouverte d’épaisses forêts de fougères ; des millions d’années plus tard, l’endroit sera devenu une bourgade appelée Glebelands, en Angleterre. Au début des années 60, c’est là que grandi Isobel Fairfax, descendante d’une lignée aristocratique anglaise de l’époque de Shakespeare, mais qui désormais – au XXème siècle - vit du commerce dans une petite épicerie. Elle grandit entre son frère Charles, son père, Gordon, la nouvelle épouse de ce dernier, Debbie, et sa vieille fille de sœur, l’acariâtre tante Vinny. Isobel et Charles sont tourmentés par la disparition de leur mère, Eliza. Ils créent autour de son souvenir toute une mythologie qui fait intervenir jusqu’aux extraterrestres pour expliquer sa disparition. Cependant, Isobel est amoureuse du beau jeune étudiant en médecine Malcolm Lovat et a également trois amies avec lesquelles elle va à l’école et qui sont aussi ses voisines de quartier : Audrey, mystérieuse et renfermée ; c’est la fille de l’horrible Mr Baxter, un homme violent qui est aussi leur instituteur/l’ennuyeuse Eunice qui sait toujours tout sur tout/ la délurée Carmen. Cependant, des phénomènes étranges surviennent : Isobel se retrouve souvent plongée pour quelques instants dans le passé. D’ailleurs, le récit emmène régulièrement le lecteur dans le passé récent de Charles et d’Isobel : leur enfance. Ils grandissent alors entre leur père Gordon, leur mère, Eliza, la tante Vinnie et Charlotte Fairfax surnommée La Veuve, la mère de Gordon. Dans cette famille plus ou moins bien composée, les tensions sont fortes. Eliza ne plait à aucune des deux femmes et se comporte de manière insolente envers son époux. Un jour, le couple, Vinny et les deux enfants s’en vont pique-niquer dans la forêt. C’est alors qu’Eliza et Gordon disparaissent. En parcourant la forêt pour retrouver leurs parents, Charles et Isobel découvrent leur mère, le crâne fracassé, au pied d’un arbre. Ils s’enfuient et sont bientôt retrouvés par leur père qui leur déclare que leur mère est à l’hôpital et qu’elle ne va guère tarder à revenir auprès d’eux. Mais il n’en est rien et bientôt, on leur apprend qu’elle est partie loin et ne reviendra jamais. Et puis, c’est au tour de Gordon de disparaitre. Les enfants sont désormais élevés par La Veuve qui ne tarde pas à mourir en tombant dans les escaliers après avoir trébuché sur des jouets trainant par terre. Vinny prend donc le relai et la vie devient très difficile auprès de cette femme avare, aride et acariâtre qui songe même à se débarrasser des enfants… jusqu’au jour où Gordon réapparait avec une nouvelle femme : Debbie. En mal d’enfant, un jour, elle découvre un bébé abandonné sur le pas de la porte et décide de le garder : elle appellera cette petite fille Jody. Cependant, après cet étrange événement, d’autres événements étranges vont se produire, évènements qui conduisent plusieurs personnages du roman à la mort : Malcolm se tue dans un accident de voiture en voulant éviter une biche, Mr Baxter est assassiné par sa fille Audrey duquel elle a eu un enfant et qui bat sa mère, la très bienveillante Mrs Baxter ; elle-même, Isobel… se retrouve d’un seul coup entourée de toute sa famille, y compris d’Eliza, dans une ambiance aimante. Et puis, soudain, Isobel se réveille sur un lit d’hôpital où elle apprend qu’elle vient de sortir d’un long coma provoqué par la chute d’un arbre sur elle. Bien évidemment, le bébé trouvé n’est autre que celui que Gordon a conçu avec sa nouvelle femme, Debbie. Malcolm, quant à lui, a quitté Glebelands tandis que Mr Baxter s’est suicidé… sans doute un peu aidé par sa femme, usé par la violence de son époux ; elle lui a donné à manger une fricassée de champignons des bois pas tous comestibles. Quant à Eliza, Gordon raconte comment il l’a sauvée des flammes pendant la guerre, comment la passion les a bientôt unis pour le meilleur et pour le pire puisque très vite, la jeune femme a pris un amant ; comment, entre eux, dans la forêt, une dispute a mal tourné, et comment Eliza a perdu ainsi la vie. Plus tard, Gordon s’est enfui à l’étranger, poussé par sa mère qui craint pour lui le pire s’il reste en Angleterre… Voilà donc là toute la vérité ? Mais qui est véritablement Eliza ? Elle n’est autre que la fille de Sir Edward de Breville, enlevée par un couple en mal d’enfant, les Potter, abandonnée par eux car impossible à vivre – mais ayant subi les assauts d’Herbert Potter - recueillie par un proxénète qui la soumet à la prostitution… elle rencontre enfin le beau Gordon Fairfax, pilote de chasse à la RAF. Sauf que Sir Edward de Breville avait en réalité trouvé l’enfant…Sauf que… à la Renaissance, Sir Francis a épousé une très belle jeune femme qui a pris un amant, Mr Kavanagh, un garde-forestier dont elle a eu un enfant… Sauf que Eliza n’était pas morte quand Gordon l’a laissée dans la forêt et qu’un certain Peter, son amant, est apparu devant elle. Mais finissons par faire un saut dans le futur et découvrir ce que sont devenus les personnages…. Plus loin, plus loin « comment le monde finit-il ? ». Après que la dernière feuille a tombé, il y a le silence.
Pour nous, devant nos yeux éberlués, Dans les replis du temps déploie la carte du temps depuis la nuit des temps et jusqu’au dernier moment de la vie de la planète Terre ; en effet, Kate Atkinson raconte la terre quand elle n’était rien et fait focus sur la famille Fairfax depuis ses origines à maintenant, et de son apogée à sa décadence ; puis le roman s’envole enfin et se referme sur l’évocation de la fin des temps. Dans les replis de ce temps qui n’est pas humain, il y a les tout petits Fairfax et notamment Isobel, notre héroïne qui a la capacité de voyager dans le temps.
Mais Dans les replis du temps, c’est avant tout une chronique familiale féroce et très amusante basée sur la question : comment pourrir la vie de son entourage quand on se déteste aussi cordialement qu’au sein de la famille Fairfax ? Ainsi, au sein de la famille Fairfax, je demande la mère qui en veut à son époux de n’être pas le prince charment dont elle rêvait et qu’elle avait cru déceler en lui ; je demande sa belle-mère, surnommée La Veuve, qui la déteste, comme à peu près toutes les belles-mères qui chérissent un peu trop leurs fils ; je demande la vieille tante Vinnie, l’acariâtre, qui a toujours quelques reproches à faire aux uns et aux autres…. Et puis, il y a les enfants, Charles et Isobel, qui savent aussi mettre leur grain de sable dans ce rouage si mal huilé qu’est la famille Fairfax.
Cependant, le roman se lit aussi comme une enquête sur la disparition d’une mère, puis d’un père entre lesquels il y aurait eu un meurtre passionnel. Et cette situation débouche sur d’autres situations similaires qui ont eu lieu dans le passé de la famille Fairfax.
Ainsi, le roman comprend-il comme personnages principaux deux enfants – Isobel et Charles – unis pour affronter la perte d’une mère, d’un père, puis l’arrivée d’une nouvelle mère qui n’est pas la leur et qui, par conséquent, ne peut être à la hauteur car rien ne remplace une vraie mère. Pour conjurer leur douleur et le manque dû à l’absence de leur mère, ils se racontent des histoires merveilleuses ou mystérieuses qui expliquent cette disparition. Cependant, à un moment, tout déraille et on comprend qu’on n’est pas forcément dans la réalité. C’est alors qu’Isobel émerge du coma : ainsi, pendant, tout ce temps, le lecteur n’a pas voyagé dans le temps, mais dans le cerveau comateux et les rêves de l’héroïne.
Alors j’avoue que cette fin ne m’a pas plu ; je l’ai trouvé tirée par les cheveux et prétexte à raconter tout et n’importe quoi, à procéder à des récits en queue de poisson, à jouer sur le farfelu à gogo, un farfelu gratuit, qui n’apporte rien et qui embrouille tout. Ainsi, entre ceux qui meurent, ceux qui revivent, le bébé trouvé qui n’a finalement pas été trouvé mais conçu normalement, le mari, l’amant et tous ceux qui surgissent du passé, on est face à un sacré galimatias auquel on ne comprend plus grand-chose et on démêle mal le réel de l’imaginaire. Ainsi se perd-on dans les origines d’Eliza qui est une enfant enlevée, mais qui n’est pas non plus fille de ses parents, puisque son père l’a achetée à ses gitans…et ainsi de suite. Certes, la chose n’a pas grande importance puisque l’essentiel est de comprendre qu’on n’est rien dans le temps et que notre petite vie et nos origines se perdent ainsi sans aucune conséquence sur la marche du temps.
Ainsi, Dans les replis du temps exploite un thème qu’on a déjà trouvé dans Dans les coulisses du musée selon une autre approche et nous soumet à la question suivante : que reste-t-il en nous du passé, de nos ancêtres, des gens qui nous ont précédés dans l’espace et le temps ? Quels sont les mystères de l’hérédité ? Sont-ils seulement physiques ? Ne revit-on pas sur un autre mode la vie de nos ascendants ? De temps se déploie-t-il de manière linéaire ou de manière circulaire ? En effet, entre les vies des Fairfax de toutes les époques, on retrouve des situations redondantes, des histoires douloureuses qu’on cache et qui ressurgissent à toutes les époques. Ainsi y a-t-il le mystère de l’enfant trouvé qui revient à différents moments de l’histoire des Fairfax ; serait-il le fruit d’un inceste ou d’un viol ?
Enfin, aux mystères des temps se joint le mystère de l’espace car de nombreux événements troubles, comme la disparition d’Eliza, ont lieu dans des forêts sombres et denses où on se perd. La forêt, c’est l’élément qui, le premier, a peuplé la terre sous la forme de fougères géantes. Et on soupçonne que dans l’histoire du mari, la femme, l’amant et la forêt, Kate Atkinson fait un clin d’œil au célèbre roman L’amant de lady Chatterley du célèbre écrivain D.H Lawrence.
J’ai certes beaucoup moins apprécié Dans les replis du temps que Dans les coulisses du musée. J’ai en effet eu l’impression que la ligne directrice de ce roman est moins nette et moins marquée – même si j’accorde le fait qu’il y a volonté de l’auteure de perdre son lecteur dans les replis infinis du temps - et que Kate Atkinson sort les choses de son chapeau comme une magicienne… sauf que la magie opère beaucoup moins, ici.
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