J.R Ackerley : Ma chienne Tulip / la planète des chiens !
Cette semaine, je vous propose de découvrir un roman totalement iconoclaste, un vrai OVNI littéraire, du jamais lu ! Je veux parler du livre écrit par James Richard Ackerley : Ma chienne Tulip, paru en France en 1993 aux éditions Salvy.
J.R Ackerley voue une véritable passion pour sa chienne Tulip, une femelle de berger allemand. A travers ce roman, il raconte leur vie commune, leur cohabitation, mais aussi les rapports que sa chienne entretient avec le monde extérieur. L'auteur commence par faire le portrait de Tulip, puis se lance dans sa biographie en deux grands volets : ses sorties quotidiennes destinées à faire popo dans la rue, ses diverses tribulations sexuelles.
Commençons par le portrait de la belle : R.J Ackerley brosse le portrait physique et moral de sa chienne. Il détourne, par-là, les codes du roman traditionnel en faisant d'un animal le personnage principal, personnage qu'il traite comme s'il s'agissait d'un être humain. Description physique méticuleuse, portrait moral en action, à travers quelques anecdotes se déroulant dans divers cabinets vétérinaires. Tulip est une chienne assez exclusive : elle se montre plutôt sauvage avec tout être humain autre que son maître, ce qui occasionne quelques désagréments.
Ensuite, le roman déroule plusieurs anecdotes souvent cocasses qui traduisent les difficultés pour les chiens de vivre en ville, particulièrement pour y faire leurs besoins. Difficile aussi de mener une vie sexuelle épanouissante : c'est le maître qui décide du partenaire, qui impose l'endroit, le moment : divers mâles de berger allemand vont se succéder auprès de Tulip, sans jamais parvenir à leurs fins, jusqu'au jour où un bâtard lui propose ses services : Tulip devient maman. Après le sevrage, il faut placer les petits : nouvelle galère en perspective. Et puis, la vie reprend, émaillée par les chaleurs, désormais contrariées par le maître Ackerley qui ne veut plus de chiots à la maison.
Derrière toutes les anecdotes, J.R. Ackerley fait également un autoportrait du maître qu'il est : à l'écoute de sa chienne, il se plie souvent à ses caprices, se laisse facilement mener par le bout du nez. Son amour pour Tulip est tel que lorsqu'elle a ses chaleurs, il l'emmène faire sa promenade en pleine nature, quitte à se taper un long trajet : à ce sujet, J.R Ackerley nous livre quelques belles pages enflammées, un véritable hymne à la nature, à sa beauté, à son génie.
Mais le véritable intérêt du livre tient au double point de vue qu'il porte sur le rapport des chiens au monde : celui des humains, mais aussi celui des chiens eux-mêmes. Les humains ? Ils sont plutôt intolérants et agressifs vis-à-vis de nos compagnons à quatre pattes : ils ne supportent pas l'image animale d'eux-mêmes que les chiens leur renvoient ; ils s'offusquent lorsqu'ils voient un chien lever la patte, ou flairer le derrière d'un de ses comparses. Les chiens ? Ils sont dénaturés par les humains : ils subissent un monde pour lequel ils sont inadaptés mais auquel ils doivent tant bien que mal s'adapter. Par ailleurs, leur vie animale est perpétuellement contrariée par l'homme, notamment en ce qui concerne la reproduction.
Cependant, plus on avance dans la lecture de Ma chienne Tulip, plus on a l'impression de lire un traité sur la vie sexuelle des chiens : les anecdotes sont de plus en plus émaillées par des considérations générales sur la sexualité canine et la manière dont cette dernière est contrariée par l'homme. L'humour se teinte de sérieux et on se demande, à certains moments si J.R Ackerley n'est pas un peu frappadingue avec son amour des chiens tant ses propos deviennent extrémistes : on finit par penser que l'homme doit respecter la nature des chiens au point de les laisser faire ce qu'ils veulent.
Même si je comprends tout à fait le message de tolérance de J.R. Ackerley vis-à-vis d'une nature trop domestiquée par l'homme qui se comporte en véritable dictateur à son vis-à-vis, je ne le partage pas tout à fait : il est clair que, même si j'adore ma chienne, il est hors de question de la laisser mener la barque et de m'apitoyer sur son pauvre sort d'animal innocent dont je mâte les envies. D'ailleurs, elle l'accepte et cette acceptation ne la rend pas malheureuse, car J.R Ackerley oublie une chose : c'est que le chien place son maître plus haut que tout - et c'est pour cela qu'on aime tant les chiens : on est tellement exceptionnel pour eux ! - plus haut que ses propres envies qu'il considère comme quantité négligeable à côté de celles de son maître. Il est évident que R.J Ackerley renverse totalement cet état de fait qui fait partie de la nature du chien pour en faire un état de fait qu'il souhaite pour les humains alors qu'il n'est pas dans leur nature. Alors, tant pis si je suis une vilaine femme égoïste et dictatoriale, qui n'écoute pas sa chienne - quoique ! Beh si, je communique beaucoup avec elle - qui refuse de vivre en symbiose avec elle - quoique ! Quand je fais "ouah !!", elle fait "ouah !". Eh non ! Je ne l'ai pas adoptée pour en faire mon épousée, contrairement à J.R Ackerley dont le rêve semble bien de fusionner avec sa chienne. Second degré ? Je ne suis pas convaincue que ce soit toujours le cas !
Ainsi, Ma chienne Tulip est un roman étonnant, souvent cocasse, mais dont le propos finit par être ambigu car J.R Ackerley s'amuse à brouiller le jeu en modifiant les places respectives des hommes et des chiens dans le monde… la planète des chiens, se dit-on finalement, c'est ce dont rêve J.R. Ackerley. Ouah ! On va se promener ? Ouah, me répond Fuzza. Et on y va.
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