Joyce Carol Oates : Viol / là où se conjuguent toutes les violences.
Avec quel brio Joyce Carol Oates a su, encore une fois, traiter d'un sujet difficile : le viol d'une femme. Sujet difficile car racoleur, et on serait vite tenté de tomber dans le pathos ou la vulgarité. Joyce Carol Oates a su éviter ces écueils et nous propose ici un roman très court : Viol/une histoire d'amour (176 pages), mais en même temps terriblement dense.
Niagara Falls, 4 Juillet 1996 : c'est jour de fête nationale aux Etats-Unis. Mais c'est aussi jour de tous les excès. Tina Maguire et sa petite fille Bethie, 12 ans, ont eu le tort de couper court à travers le parc pour rentrer chez elles plus rapidement. Cinq garçons, ivres, camés, les entrainent dans un hangar à bateaux. C'est là que se produit la chose. L'effroyable chose. Bethie ne sera pas violée. Cachée sous une barque, elle assistera au viol de sa mère.
Ensuite, il y a le procès : un avocat de haut vol engagé pour défendre les accusés. Face à lui, une procureure incompétente. Et puis, il y a des ragots dans la ville : « c'était une pute, elle l'a bien cherché ».
Visiblement, justice ne sera pas rendue à la pauvre Tina, à peine remise des coups et blessures qui lui ont été portés. Mais c'est sans compter sur Dromoor, policier mystérieux (sans doute amoureux de Tina) qui n'a pas peur de tuer un homme de sang-froid.
Le roman se découpe en petits chapitres, aux titres laconiques, qui alternent les scènes dont Dromoor est le héros et celles où Bethie et sa mère tiennent le premier rôle. Dans les premières, le narrateur s'efface et tient son personnage à distance. Dans les secondes, il utilise mystérieusement un « tu » adressé à la petite Bethie : qui est-il donc ? La réponse n'est apportée qu'à la toute dernière phrase du roman. L'écriture d'Oates, pour ce roman, se fait particulièrement crue et dépouillée, violente… à la hauteur de la violence de l'acte subi par Tina. Ainsi, ai-je bien envie de proposer ici un extrait du viol de la jeune femme, afin que vous puissiez juger vous-même de la puissance de cette écriture :
« Ils avaient déchiré les vêtements de ta mère comme si les vêtements de cette femme les exaspéraient. Ils crachèrent sur le visage de ta mère comme si sa beauté les exaspérait. Ils tirèrent sur les cheveux de ta mère avec la volonté de les arracher. L'un d'eux plongerait à plusieurs reprises son pouce dan son œil droit avec la volonté de l'aveugler. Tu ne pouvais pas savoir qu'il y avait une folie rayonnante sur leurs visages, que leurs yeux de loup étincelaient, que leurs dents humides luisaient. Tu ne pouvais pas savoir que leurs yeux se révulsaient. Que leurs corps étaient couverts d'une sueur huileuse. Qu'ils chevauchaient le corps inerte de ta mère et enfonçaient leurs pénis dans sa bouche en sang et dans son vagin en sang et dans son rectum en sang. Tu entendrais les bruits de ce viol sans avoir entièrement conscience que ce que tu entendais était un viol. »
Cependant, il me faut également évoquer le cas du policier : Dromoor, car le titre du livre Viol, comporte un petit sous-titre discret : une histoire d'amour. Ce personnage est quasiment inexistant : il reste mystérieux, impalpable, si bien que le lecteur ne sent pas vraiment l'amour qu'il porte à Tina. On comprend certes pourquoi ce personnage est ainsi construit lorsqu'on découvre, à la fin du livre, qui est le narrateur. Le personnage de Dromoor est donc traité dans la logique de la narration. Aussi ne puis-je pas parler de bémol pour ce roman : tout s'emboîte parfaitement, mais le lecteur sera finalement bien peu concerné par l'ange vengeur de cette histoire.
Un roman qui n'est pas sans rappeler le thème de L'été meurtrier : traité d'une toute autre manière, mais avec un brio presque aussi grand.
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