LECTURES VAGABONDES

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Jean Teulé : Rainbow pour Rimbaud : hommage en demi-teinte à Arthur Rimbaud.


Voici une œuvre assez déconcertante et très spéciale, à mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles, à mi-chemin entre l’esprit de Rimbaud et celui de Boris Vian : Rainbow pour Rimbaud écrit par Jean Teulé et paru en 1991 aux éditions Julliard.

Robert a 36 ans, il est encore puceau, vit encore chez ses parents et mesure 2 mètres 10. Sa particularité ? Il est fou de la poésie de Rimbaud et passe son temps enfermé dans une armoire sur la porte de laquelle il a gravé le mot « bateau ». Son père en a assez de ce fils si particulier. Un jour, il détruit l’armoire de Robert qui décide de quitter la demeure familiale ; direction : l’Afrique. Sur son chemin, il rencontre Isabelle, standardiste à la SNCF : la jeune fille décide d’accompagner Robert dans son périple africain. Les deux jeunes gens larguent donc les amarres. S’ensuit une errance de plusieurs mois à travers l’Egypte, l’île Maurice, le Sénégal et le Cap Vert.

Au fil du temps, Robert se transforme : il commence par tatouer partout sur son corps et son visage des vers d’Arthur Rimbaud, il se blesse volontairement le genou pour souffrir de la jambe comme son héros…. Peu à peu, le silence s’installe entre Robert et Isabelle qui n’arrive pas à partager le monde de celui qu’elle aime.

Cependant, une graine de talipot éclot dans le genou de Robert qui finit par se transformer en arbre. Isabelle, désespérée, tue Robert, qui désormais vit dans un caddie sur lequel il a écrit « bateau », et contre lequel elle-même se fracassera la tête. Cent ans plus tard, les passants s’étonnent de voir, à côté de la tombe de Robert, un talipot géant autour duquel s’agrippe un buisson d’aubépines.

L’œuvre, écrite en prose, se découpe en plusieurs petits chapitres que Teulé nomme strophes (au total : 12), et entre lesquels s’intercalent d’autres textes qui mettent en scène des personnages croisés de manière lointaine par Robert et Isabelle et qu’on ne rencontre qu’une seule fois dans le récit : voilà pourquoi on peut parler, en ce qui concerne cette œuvre, de recueil de nouvelles, mais aussi de recueil poétique en prose ou de roman, tout simplement : œuvre inclassable s’il en est que Rainbow pour Rimbaud de Jean Teulé !

Œuvre également très influencée par l’esprit potache et poétique de Boris Vian. Lorsque la graine de talipot éclot dans le genou de Robert, que les racines se développent dans sa jambe qui finit par ressembler à celle de Rimbaud lorsqu’à la fin de sa vie ce dernier a souffert de varices et de rhumatismes, on pense immédiatement à l’écume des jours de Vian et au nénuphar qui pousse dans le poumon de Chloé. D’une manière générale, il y a dans ce livre un humour surprenant, fait de poésie à la fois loufoque et sensible. Par exemple, j’ai beaucoup aimé l’histoire de Souad, croisée à Dakar. Souad va être emprisonnée pour avoir tué son enfant. Avant que la police ne vienne la chercher, elle rencontre un maître conférencier qui souhaite rester célibataire. La jeune femme lui propose un mariage très spécial : elle dessine son propre visage dans la main de l’homme et lui offre un gant de soie noire qu’il devra porter constamment - afin que jamais le dessin ne s’efface - et une bague : un solitaire en diamant. En échange, il devra se masturber tous les soirs en pensant à elle et en tenant son sexe dans la main où se trouve le dessin du visage. Bien sûr, en filigrane, il y a la mère de Rimbaud qui peut être, par l’amour étouffant qu’elle lui a porté, a fait de lui un homosexuel, bien sûr, en filigrane, il y a Paul Verlaine, l’amant du jeune poète, emprisonné après avoir tenté de tuer ce dernier.

Car dans l’œuvre, il est vrai que Rimbaud est partout : les références et les allusions à sa vie d’homme sont nombreuses : elles se trouvent un peu partout, dans chaque personnage. Rimbaud-Verlaine, Rimbaud en Afrique, Rimbaud et sa mère, Rimbaud et sa jambe variqueuse. Cependant, je ne pense pas que ce soit là que se situe l’hommage que Teulé rend au poète. En effet, Robert, le héros du livre, est un personnage bien pathétique : grotesque, bien souvent. Il fait plus pitié qu’envie. D’ailleurs, qu’y a-t-il d’enviable dans la vie de Rimbaud, homosexuel halluciné, parfois violent, se livrant au trafic d’armes en Afrique ? Loin de moi l’idée de juger cet homme à travers la morale bourgeoise, mais je dois avouer que cette vie de patachon ne me fascine pas, et que sans parler de bonheur, l’équilibre-même en est absent. Voilà pourquoi l’arc en ciel pour Rimbaud dessiné par Jean Teulé est en demi-teinte : à la fois sombre et lumineux.

En réalité, je pense que l’hommage rendu au poète se situe davantage dans les références et les allusions à son œuvre. « Je suis l’homme aux semelles de vent ». « A, noir, E blanc, I rouge». A travers le roman, souffle un esprit libertaire et anti-conventionnel. Les couleurs sont omniprésentes ; tout un réseau de correspondances entre l’homme et la nature est tissé et là se trouve le principe fondamental de la poésie rimbaldienne.

Alors, quoi de plus significatif que la transformation finale de Robert en arbre africain qui s’élève très haut dans le ciel ? Quant à Isabelle, elle se réincarne dans l’aubépinier, fleur sauvage, à l’opposé de la rose, fleur domestique et symbole quelque peu bourgeois.

Et puis moi, j’ai envie de dire que peu importe l’homme que fut Rimbaud, ce qui compte, ce qui vit encore, c’est son œuvre, véritable monument de la poésie. Que le monument que Teulé veuille ériger à la mémoire de la poésie rimbaldienne soit un arbre géant, quoi de plus juste ? Car je crois que Rimbaud lui-même aurait aimé ce livre. Car je crois que le bateau ivre, ou encore les illuminations…. font figure de baobabs dans le paysage de la poésie des hommes.



10/01/2011
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