LECTURES VAGABONDES

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Joël Dicker : La vérité sur l’affaire Harry Quebert / En vérité, tellement bien !

           

           Voici le premier roman de Joël Dicker que je lis et ce n’est sans doute pas le dernier. La vérité sur l’affaire Harry Quebert est sans doute l’œuvre la plus connue de cet auteur. Celle-ci parait en 2012 aux éditions Fallois-L’âge d’homme et a obtenu le grand prix de l’académie française et le prix Goncourt des lycéens en cette même année.

 

           Après un premier roman au succès fulgurant, Marcus Goldman est victime du syndrome de la page blanche, raison pour laquelle il se rend dans le New Hampshire, chez le grand écrivain Harry Quebert qui est aussi son ami. Ce dernier a connu un succès fulgurant après la parution, en 1975, d’un roman intitulé Les origines du mal. Cependant, une vieille affaire qui a secoué le pays cette même année refait surface et vient bouleverser l’existence de Harry : on a retrouvé le cadavre de Nola Kellergan, une jeune fille disparue le 30 août 1975. Son squelette git dans le jardin d’Harry Quebert. Auprès de cette dépouille se trouve le manuscrit dactylographié du roman de Harry, Les origines du mal. Aussitôt, les soupçons portent sur l’écrivain qui avoue avoir eu une liaison avec la jeune Nola, 15 ans, alors qu’il en avait lui-même 34. Le soir du 30 août, ils devaient s’enfuir ensemble au Canada pour y vivre librement leur passion. Or, ce soir-là, une vieille femme, Deborah Cooper, qui avait alerté la police après avoir vu la jeune Nola poursuivie par un homme, avait également été retrouvée morte, tuée d’une balle en pleine tête. Harry est donc arrêté et emprisonné tandis que le scandale éclate autour de cet amour interdit. Cependant, Marcus est convaincu de l’innocence de son vieil ami et avec l’aide du policier Gahalowood, il mène l’enquête. Ses recherches l’amènent à rencontrer la famille Quinn, qui tient le restaurant à hamburger – qu’en Amérique, on appelle « diner » - d’Aurora, dans le New Hampshire, là où Nola travaillait. En 1975, Jenny Quinn, la fille de Tamara et de Robert Quinn, fréquentait Harry dont elle était éperdument amoureuse ; mais, comme on le sait, l’écrivain n'avait d’yeux que pour Nola. De ce fait, très dépitée pour sa fille Jenny, Tamara Quinn avait, à l’époque, révélé la liaison secrète d’Harry et de Nola à la police. Mais les preuves qu’elle détenait avaient mystérieusement disparu. Marcus et Gahalowood sont également amenés à rencontrer le pasteur Kellergan, père de Nola. C’est en 1969 que la famille Kellergan s’était installée à Aurora, fuyant pour une raison obscure la ville de Jackson où elle vivait auparavant. Par ailleurs, il semblerait que la jeune Nola subissait des sévices infligés par sa mère. Cependant, plusieurs révélations vont venir tout bouleverser. En effet, Marcus découvre que Nola n’était peut-être pas la jeune fille pure décrite par Harry dans son livre. Elle entretenait des liens mystérieux avec un très riche homme d’affaires : Elijah Stern, propriétaire à l’époque de Goose Cove, la maison occupée par Harry. Par ailleurs, il semblerait qu’elle faisait régulièrement des fellations au chef de la police d’Aurora de l’époque : le chef Pratt. Enfin, on découvre également que Nola a posé nue pour le chauffeur employé par Elijah Stern : Luther Caleb, peintre à ses heures perdues. Cet homme s’avère être assez mystérieux ; il a été défiguré par un passage à tabac subi au moment de son adolescence ; il peut se montrer violent parfois, si l’on en croit Jenny qui a porté plainte contre lui suite à une empoignade un peu rude. Cependant, Luther Caleb a été retrouvé mort dans la voiture qui fut prise en chasse au moment des dramatiques événements. Il semblerait alors que la vérité sur l’affaire Harry Quebert soit résolue : Luther Caleb a tué Nola avant de s’enfuir en voiture, d’être poursuivi sur quelques kilomètres par la police, puis de périr accidentellement dans ladite voiture qu’on a retrouvée, fracassée dans un ravin, un mois après la disparition de Nola. C’était bien Luther Caleb qui était au volant : son cadavre a été retrouvé dans le véhicule accidenté. C’est ainsi que Marcus écrit un roman qui fait la lumière sur l’affaire Harry Quebert. Le succès est fulgurant et bouleverse toute l’Amérique. Cependant, quelques jours après la sortie du roman et la libération d’Harry Quebert, un rebondissement dans l'affaire vient tout remettre en question et ouvre de nouveau l’enquête. En effet, le chef Pratt – le chef de la police d’Aurora qui avait mené l’enquête de manière peu investie à l’époque de la disparition de Nola – est retrouvé assassiné tandis qu’on découvre que Nola était atteinte de graves troubles mentaux qui l’ont conduite à assassiner sa mère en 1969, en mettant le feu à la maison. Par ailleurs, si la jeune fille s’est compromise avec Elijah Stern, Luther Caleb et le chef Pratt, c’est par amour pour Harry, pour qu’il puisse écrire tranquillement son roman dans cette somptueuse demeure de Goose Cove car ces personnes, si elles le voulaient, pouvaient compromettre et ennuyer Harry. Bientôt, Luther Caleb, le meurtrier présumé de Nola, est innocenté. Qui donc avait intérêt à tuer Nola ? Les révélations vont se succéder… jusqu’à ce que la vérité sur Harry Quebert soit dévoilée.

 

          Fichtre ! Voici un bien long résumé et encore ! Je ne suis pas entrée dans tous les méandres de l’intrigue et j’ai veillé à ne pas dévoiler la fin afin de ne pas révéler le nom du coupable et les innombrables retournements de situation qui accompagnent cette révélation.

          Certes, l’intrigue du roman est complexe et tortueuse et La vérité sur l’affaire Harry Quebert s’avère être un thriller haletant et passionnant.

          Tout d’abord, la construction de l’œuvre est plutôt complexe et bien ciselée ; elle combine plusieurs périodes. Tout démarre en 2008 avec l’enquête sur l’affaire Harry Quebert qui ressurgit 33 ans après la disparition de la jeune Nola dont on vient de retrouver le cadavre dans le jardin de ce dernier. De manière régulière, le récit revient en 1975, à l’époque qui précède la disparition de Nola ; alors, la jeune fille a vécu quelques mois de passion avec l’écrivain Harry Quebert avant de s’envoler pour toujours. Pour instaurer ce va-et-vient entre les deux périodes, le roman adopte des modes narratifs divers : tantôt c’est le présent qui regarde le passé, tantôt le passé ressurgit et se donne à lire comme s’il était présent. Ça et là s’intercalent des extraits de journaux ou encore des extraits de Les origines du mal, le roman que Harry Quebert était en train d’écrire au moment de sa liaison avec Nola.

          Par ailleurs, entre les différents chapitres, viennent s’insérer les conseils qu’Harry a pu donner à Marcus quant à la rédaction d’un bon roman. La création littéraire est alors associée à la passion pour la boxe que les deux hommes ont en commun. Ces conseils sont d’ailleurs appliqués par Joël Dicker lui-même qui s’évertue, dans La vérité sur l’affaire Harry Quebert, à décrocher coups de poing et uppercuts à son lecteur qu’il prend pour un véritable punching-ball. Ainsi, l’histoire commence-t-elle lentement, avant de s’emballer et d’égrener les révélations finales sur un rythme effréné.

          Certes, on ne se s’ennuie pas une minute lorsqu’on lit La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Pourtant, c’est toujours la même histoire qui est racontée, c’est toujours le même canevas qui est sans cesse mis et remis sur le métier à tisser. Cependant, à chaque fois qu’il reprend les événements du passé, le récit propose une vision différente des choses et finit par modifier totalement l’éclairage initialement donné sur l’affaire. C’est ainsi qu’un jeu de miroir s’installe progressivement entre les différents personnages, entre les différentes péripéties, raison pour laquelle celui qui était noir au départ, devient blanc à la fin, après être parfois passé par le gris. Même la jeune et passionnée Nola est soupçonnée de dévergondage, à un moment de l’enquête, avant d'être blanchie, puis à nouveau salie par des révélations sur sa responsabilité dans l'incendie qui a ravagé sa demeure de Jackson et tué sa mère. Quant à Harry, il est d’abord considéré comme un psychopathe et un pervers avant d’être innocenté. Pourtant, il n’est pas tout à fait innocent lorsqu’à la fin la, vérité éclate.

          De plus, le roman offre aussi une peinture des passions humaines : tous les personnages sont malheureux en amour, soit parce que leurs sentiments sont contraires aux bonnes mœurs qui les contraignent, soit parce que l’aimé n’aime pas celui qui aime. Ainsi, le flic Travis Dawn aime Jenny Quinn qui aime Harry Quebert qui aime Nola Kellergan. C’est un véritable scénario à la Andromaque qui est donné à lire et cette cascade d’amours sans retour est une véritable poudrière qui finit par exploser. Quant à Luther Caleb, il aime Nola et passe son temps à l’espionner et à lui voler les lettres qu’elle écrit et qu’elle reçoit.    

          Enfin, La vérité sur l’affaire Harry Quebert, ce n’est pas seulement une enquête sur une disparition et un meurtre ; c’est aussi une enquête sur la création littéraire et ses vérités. Ainsi, le roman comporte-t-il une satire du monde des livres qui s’accompagne de coups de publicité et de coups marketing. On met en lumière l’opportunisme des maisons d’édition qui sont des épiciers et qui n’hésitent pas à mettre en œuvre des supercheries qui accompagnent parfois la publication d’un livre.  Les écrivains-fantômes – autrement dit les nègres – peuvent intervenir, les révélations peuvent être mensongères et donner lieu à des suites.

          Ainsi, La vérité sur l’affaire Harry Quebert, c’est à la fois un excellent thriller, semé d’embûches, de pistes et de fausses pistes dans lesquelles on se perd pour mieux se retrouver. Alors, cette fameuse vérité peut finalement paraître invraisemblable, mais comme le dit Boileau dans sa Poétique, « Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable ». 



05/02/2023
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