LECTURES VAGABONDES

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Jean-Louis Costes : Grand-Père / le grand trash




Jean-Louis Costes, figure de l’underground, est connu pour ses opéras pornos-sociaux, des performances crues et violentes qui ne respectent aucun tabou.  C’est dire si on s’attend à un roman qui ne fasse pas dans la dentelle avec Grand-Père, écrit en 2006 et paru aux éditions Fayard. Jean-Louis Garnick Philippe Costes est le petit-fils de Garnick Sarkissian, un grand-père qu’il déteste parce qu’il boit, fume, bat sa femme et vit comme un clodo. Pourtant, la vie de ce vieil arménien ne fut pas un long fleuve tranquille ! Voyons voir : page 139, Costes fait un bref récapitulatif de cette vie que je recopie ici :

« Récapitulons : Garnick Sarkissian est le fils d’un marchand de chevaux arménien réfugié en Ukraine après les pogroms en Turquie. En 1917, Garnick a dix-sept ans et la révolution survient. Sa famille est massacrée par les bolcheviks.

Garnick, qui a survécu par chance, s’engage dans les Cosaques blancs qui luttent contre le communisme et pour le rétablissement du tsar. Avec ses compagnons sanguinaires, il fait pendant trois ans mille coups d’éclats et massacres en la Mer noire et Moscou. Mais, finalement, les Rouges gagnent.

En 1920, Garnick, avec quelques autres survivants de l’armée des Blancs, est récupéré in extremis par les bateaux de la flotte française venus à leur secours. Il arrive à Marseille sans fric et sans papiers. Dans la merde, il accepte de s’engager dans la Légion étrangère contre la promesse d’obtenir la nationalité française après cinq ans. Il combat dans le Rif marocain les rebelles d’Abdel-Krim qui refusent la colonisation française. Au bout de cinq ans, les Français refusent de lui donner la nationalité et le forcent à repartir cinq ans combattre dans le Rif, où il massacre les rebelles jusqu’au dernier. »

Ensuite, retour en France où Grand-Père assassine l’amant de sa femme avant d’être condamné à 20 ans de bagne, en Guyane. Et puis, il parvient à s’évader et rentre en France en pleine débâcle : les années de guerre seront fructueuses pour Papi qui vole les biens dans les appartements des juifs. Après la guerre, c’est la déchéance dans l’alcoolisme et la clochardisation.

Tout d’abord, il faut souligner l’originalité de l’écriture de Costes : du Céline revu et corrigé à l’acide sulfurique… Ah ben oui, tonton Céline parait bien être un enfant de chœur lorsqu’on lit des choses comme :

« Bon-Papa grosse trique lui pistonne l’anus jusqu’au caca, puis l’encule en la forçant à sucer ses doigts. »

Ou encore :

« Le spahi sort triomphalement la main de l’anus qui pisse le chiotte et le charnier. Putain, faut pas être dégoûté, tout excité brandit une longue crotte sanglante sous les yeux de Bon-Papa qui dégueule pas. »

-          Le plan ! Le plan !

Le spahi frotte la crotte sur le cul défoncé qui chie lentement du sang. Y a un truc qui brille dans le caca. »

D’aucuns pourront dire qu’on est dans du mauvais Céline, dans de la provocation, dans l’extrême de l’extrême de la vulgarité... et que répondre à cela sinon que oui… L’écriture trash peut se heurter à la critique : on aime ou non,  ça saoule ou non. Chez moi, je dois dire que ça a marché. Peut-être ai-je gardé un côté pipi-caca malsain ? A ceux qui resteraient dubitatifs, je ne saurais trop conseiller de faire quand même un tour entre les pages de ce livre, car ce qu’on y lit est vraiment atypique et ne ressemble à rien de ce qu’on peut lire aujourd’hui à droite ou à gauche, même chez les écrivains les plus trashs. Non content d’utiliser un vocabulaire plus qu’ordurier, Costes s’offre également le luxe d’égratigner joyeusement la grammaire et la syntaxe de la langue française. Phrases tronquées, disséquées, désarticulées, désossées… rien de trop beau, de trop leste, etc… pour arriver à une seule fin : provoquer le lecteur jusqu’à susciter chez lui un certain malaise.  

A une écriture violente correspond des thèmes violents : sexe, mort, déchéance… On peut apprécier la chose dans les deux extraits proposés un peu plus haut.  La vie de papi est une succession de meurtres, d’assassinats, de viols d’une cruauté extrême que papi exécute comme Mami ferait la soupe. Bref, on est face ici à un tel débordement de violence qu’une certaine banalisation s’installe : « tiens donc, il fait beau aujourd’hui… et si j’allais me taper une petite pucelle, l’étriper, manger son caca, etc… », à tel point qu’on se demande si Jean-Louis Costes n’éprouve pas une certaine fascination pour le trash du trash, pour la violence, la merde et le sang. Au fond, on peut se demander si ce livre a vraiment pour but de dénoncer la guerre et la violence… A une âme déglinguée par le massacre de sa famille et de sa bien-aimée correspond un être qui aura perdu tout repère moral face à la violence ; pire : elle lui est nécessaire pour expurger sa haine et sa soif de vengeance.

Reste qu’un tel débordement de violence est assez peu concevable… et Jean-Louis Costes évite l’écueil du grotesque en semant le doute dans l’esprit de son lecteur : car Grand-père, c’est la vie de Garnick vue du côté du petit-fils, de ce qu’il imagine, de ses fantasmes, de ce qu’on lui a raconté. A partir de là, le rêve fait le reste. Alors voilà : on a tous, dans un coin de la tête, un Grand-père qui serait un héros, qui aurait fait la guerre, qui aurait vécu les événements extraordinaires de l’Histoire tandis que nous vivons péniblement le quotidien qui, un jour, deviendra l’objet des fantasmes de nos propres petits-enfants.  C’est ainsi que Jean-Louis Costes imagine son papi : un pervers pépère sanguinaire… Eh bien ! Ça le regarde, dirai-je ! Ce n’est pas ainsi que j’aurais rendu hommage au mien… et là est peut-être le véritable trash de l’œuvre : Jean-Louis Costes s’est emparé de son propre grand-père pour en faire un épouvantail, là où tout le monde considère comme tabou le manque de respect à ses origines, à ses racines, à sa famille.

Reste un récit truculent, dans la veine picaresque où le vocabulaire pipi-caca de l’enfance se mêle au vocabulaire ordurier de l’adolescence… On ne s’ennuie pas une seconde malgré la répétition des scènes de violence. Je conseille donc cette lecture assez provocante, mais qui a le courage d’explorer sans complaisance tous les fantasmes violents qui habitent l’âme humaine. Je vais de ce pas me défouler façon amazon.com : je soustrais un beau mâle à la civilisation ch’ti, je l’enferme dans une cave… et là…. Coupez ! 



25/11/2011
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