LECTURES VAGABONDES

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Jean-Pierre Gattégno : mon âme au diable / diablement assassin.


Eh voilà ! A l’heure où j’écris cet article, c’est bientôt Noël, et je me sens un peu flemmarde : ça doit se ressentir un peu dans le titre que j’ai choisi pour présenter ce roman de Jean-Pierre Gattégno : Mon âme au diable paru en 2010 aux éditions Calmann-Lévy ; ceux qui sont fidèles à ce blog remarqueront que c’est le même que pour le roman d’Amélie Nothomb : Hygiène de l’assassin : après tout… c’est bien Jean-Pierre Gattégno qui voulait la tuer en 2009 !

Allons donc, c’est parti pour la présentation de ce thriller totalement décalé et plein de dérision.

Théodore Simonsky est un obscur professeur vacataire, abonné aux lycées et collèges pourris où les postes de remplaçants sont légions. Cependant, depuis six mois, le voilà au chômage, à tirer le diable par la queue pour boucler les fins de mois : aucun poste n’est à pourvoir. Un jour, au rectorat, il rencontre Thomas Guérini, un haut fonctionnaire du ministère de l’Education Nationale : ce dernier lui propose une place de professeur d’Espagnol et d’Anglais au collège Verdi, collège classé « ambition et réussite ». Or, Théodore Simonsky est diplômé de lettres ! Peu importe ! En réalité, Thomas Guérini n’attend nullement de notre héros qu’il enseigne : s’il tue la principale du collège, Madame Raskolnikov, il aura droit à un magnifique poste dans un lycée bourgeois du IVème arrondissement de Paris. Simonsky accepte de devenir un assassin en contrepartie d’une vie plus respirable dans l’éducation nationale.

Autant le dire tout de suite, on n’est pas ici devant le thriller du siècle, loin de là… cependant, j’ai vraiment adoré ce livre que j’ai lu d’une traite, dans mon lit, devant mon sapin de Noël… Du masochisme, vous dis-je… M’enfiler un bouquin à l’ambiance éducation nationale alors que je suis en vacances !

Mais bon, je dois dire que le collège Verdi est un établissement scolaire un peu exotique, qui n’a pas grand-chose à voir avec le lycée où je travaille. Là-bas, il y a des détecteurs de métaux à l’entrée, les élèves font ce qu’ils veulent : ils vont en cours quand ça leur chante, ils organisent des chahuts ; c’est Tarek, le caïd, qui fait la loi dans l’établissement. La nuit, le collège devient un casino clandestin où drogue, alcool et prostitution sont de rigueur. Tarek décide aussi des professeurs qu’il faut harceler pour les faire craquer : la paix en échange d’une collaboration dans le trafic de drogue à l’extérieur de l’établissement. Simonsky se laissera facilement corrompre par Tarek : après tout, il n’est pas là pour enseigner mais pour tuer la principale ! Et puis, il se rend très vite compte qu’il lui suffit de ne mentionner aucune absence dans les classes, d’inventer des devoirs, des notes, des appréciations pour avoir beaucoup de temps libre ! Les élèves ne viennent plus dans sa salle ! Il a une paix royale ! Je ne travaille pas dans un établissement « ambition et réussite », mais je suis bien certaine que les choses ne se passent guère ainsi, dans aucune école française ! Bref ! Gattégno pousse volontairement l’exagération pour plonger le lecteur dans un monde incongru, inquiétant, un monde de non-droit qui fait peur… et qui parfois fait écho à une certaine réalité : tout le monde a déjà entendu parler de problèmes de drogue, de racket, de viol, de violence dans les écoles… Jean-Pierre Gattégno ne fait que pousser à l’extrême l’acceptation d’une réalité que l’école s’efforce de combattre au quotidien.

Bien entendu, Gattégno ne pousse pas le bouchon jusqu’à nous faire croire que le collège Verdi est représentatif de l’école en France ! En effet, n’oublions pas que notre professeur est envoyé là pour tuer la principale ! On ne va pas dire que c’est là un mode de recrutement banal dans l’éducation nationale ! C’est dire si ce collège est dirigé par une femme un peu particulière… Simonsky mène l’enquête car il veut savoir qui est la personne qu’il doit assassiner… On ne commandite pas le meurtre d’une obscure fonctionnaire s’il n’y a pas quelques casseroles qui traînent quelque part. Il découvre assez vite que la principale, Madame Raskolnikov, se livre à toutes sortes de trafic : détournement d’argent au sein même de son lycée, connivence avec l’élève Tarek et ses tripots clandestins sur lesquels elle touche une commission, trafic d’objets d’art, trafic de biens immobiliers… De sombres affaires la lient avec le haut-fonctionnaire Guérini dont elle fut longtemps l’associée au sein d’un parti d’extrême-droite : aujourd’hui, ce dernier souhaite se débarrasser de cette collaboratrice encombrante et un peu trop gourmande. Bref, une principale bien exotique, elle aussi ! En effet, s’il y a des magouilles au sein d’un établissement scolaire, ça reste à un niveau minable de petit fonctionnaire miteux : un appartement de fonction qu’un intendant octroie à sa fille, par exemple. Une caisse noire pour que les administratifs aient du café bien chaud toute la journée, un proviseur qui à peine installé refait à neuf son bureau (qui avait déjà été refait deux ans auparavant par son prédécesseur) tandis que les profs croupissent dans les mêmes meubles depuis les années 60, des collègues agrégés sur liste d’aptitude, un truc bizarre et nébuleux pour la pauvre petite merdeuse que je suis, isolée et sans aucun réseau de relations… d’autres petits trucs minables et sans intérêt… Bref, ce genre de connerie qui énervent localement, mais qui n’empêchent guère le monde de tourner (d’ailleurs, rien ne l’arrête). De la vraie corruption, du vrai trafic de la part d’un fonctionnaire de l’éducation nationale qui travaille sur le terrain… je n’en ai jamais entendu parler.

Bien évidemment, le collège Verdi et sa principale sont de pures fictions car dans la réalité, heureusement, il y a des garde-fous. Pourtant, sur le fond, je ne suis pas loin de partager l’opinion très cynique de Gattégno sur la société : une société cloisonnée, avec des écoles pour élites et des écoles pour pauvres qui devront consommer et la fermer… et puis il y a aussi toutes les situations intermédiaires : car entre les riches et les pauvres, il faut des courroies de transmission, des passeurs : sinon, c’est la révolution… tout ça : on ne le dit pas clairement : on se cache derrière le fabuleux miroir aux alouettes de l’école de la république garante de l’égalité devant la réussite.

« Nous représentons l’avenir, répéta-t-il en frappant du poing sur la table. Nos clients n’ont aucune idée de ce qui se passe ailleurs. Quelques-uns pourront aller jusqu’au BTS. A leurs yeux et à ceux de leur entourage, ce sera le summum de la réussite, mais ils ignoreront toujours ce que sont les enseignements d’excellence, les prépas, les grandes écoles où se forment les élites. C’est pareil avec la richesse : l’idée qu’ils s’en font est suggérée par les paillettes des stars à la télé. Mais la véritable richesse, avec ses codes, ses réseaux fermés, le silence et les secrets de ses lieux jalousement gardés, ils n’en savent rien. Elle n’a pas plus de réalité que n’en ont les grandes écoles pour eux. Nos clients de Verdi sont des ignares. Notre boulot, c’est de les aider à le rester. Pour ce travail, on aura de plus en plus besoin de profs comme nous. Bien plus que ces profs qui croupissent dans les établissements d’excellence. »

Je suis bien sûre que quelques collègues pourront avoir les cheveux qui se dresseront sur la tête en lisant ces phrases très acides de Gattégno… quelques-uns… mais finalement peut-être moins que quelques-uns. Car en réalité, au boulot, les gens jouent le jeu de la comédie sociale : ils font semblant de gober des discours auxquels personne ne croit, ils les répètent comme des perroquets car il faut bien bouffer. Le comble, c’est qu’on missionne d’anciens profs qui ont passé un concours de gratte-papier ou qui ont joué sur le copinage interne pour se la jouer grand chef sans en avoir les ennuis (on n’est pas dans le privé !) – d’anciens profs. Traduction : des individus tellement motivés par le boulot de prof, très concernés par la transmission du savoir, l’avenir de la France, etc… qu’ils ont choisi d’exercer leur mission dans des bureaux, loin du regard des élèves), et de collaborer avec le pouvoir pour appliquer des trucs que je me garderai d'évoquer ici, sinon, j'en ai pour une heure... et au moins 3 jours d'insomnie... des trucs hypocrites... affreux, sales et méchants.

Alors donc : on écoute des beaux discours sur le nouveau lycée, une super idée qui va permettre aux élèves de s’épanouir à travers du personnalisé et de l’exploration. J'en passe et des meilleures... Plein de trucs qui vont remettre en route l'ascenseur social !

Bien sûr, il y a des élèves qui font exception : ils viennent de banlieue, de famille très modeste, etc…. et ils deviennent chirurgiens, avocats ou autre : des exemples isolés qu’on va mettre en valeur de manière démesurée. En réalité, l’ascenseur social fonctionne de plus en plus mal et personne n’y peut rien, en tant qu’individu perdu au sein d’un système indifférent et aveugle… et encore moins ceux qui travaillent dans les bureaux, et encore moins ceux qui travaillent dans les ministères : ceux-là, ils s’en foutent totalement, de l’ascenseur social ! Il suffit de voir comment la réforme du lycée a été menée… à chaque fois, c’est du flou pendant longtemps, et puis, tout est fait d’un seul coup, dans la précipitation… Finalement, pas grand-chose de nouveau. Sauf qu’il y a moins d’heures à faire dans une classe… donc, plus de classes à fourguer à un prof pour qu’il fasse la totalité de son service (sans être payé plus).

Mais quoi ? Qu’est-ce que vous croyez ? Que c’est mieux ailleurs ? Je pourrais bien parler de l’égalité des riches et des pauvres devant la mort, au sein même d’un hôpital public…

Autre vision du monde que je partage avec Gattégno : l’idée d’un monde totalement corrompu et corruptible. Plus nous descendons l’échelle sociale, plus la corruption se manifeste de manière minable et insignifiante en terme de répercussion sur le monde en général. Mais plus on monte l’échelle sociale, plus la corruption est grande et nuisible à la société. Ne nous faisons pas d’illusion : c’est parce que nous sommes de petites merdes insignifiantes dans la société, parce que nous n’avons aucun pouvoir, aucune réelle relation importante que nous avons l’illusion de l’honnêteté. Qu’on accède à un poste de pouvoir, et bonjour les privilèges et les passe-droits. Nous sommes tous corruptibles. Nous sommes tous des salauds en puissance. Alors, bien sûr, ce n’est pas la principale du collège de trifouilli-les oies qui a la possibilité de détourner autant d’argent ! Gattégno pousse très loin le bouchon de la corruption pour montrer que personne n’est épargné par cette caractéristique finalement bien humaine.

Alors, reste le thriller. Simonsky tuera-t-il la principale ? Comment va-t-il s’y prendre ? En réalité, ce n’est pas un tueur professionnel : c’est un prof, donc, un antihéros… Mal dégourdi, amusant… et vraiment très corruptible, car je n’accepterai pas de tuer un être humain pour un poste de prof, même dans un lycée haut de gamme… Il me faudrait sacrément plus !

Et quoi ! Je suis minablement corruptible, comme tout le monde… corruptible comme une femme… je veux bien faire l’amour pour de l’argent (oui mais beaucoup alors ! ), mais certainement pas la guerre…



03/02/2011
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