LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

James Hannaham : Delicious food / Pas toujours délicieux

       

     Voici un roman qui a obtenu de nombreux prix Outre-Atlantique (Pen/FaulknerPrize). Les mérite-t-il ? En tout cas, le titre nous promet de nombreux délices : Delicious Foods a été écrit par James Hannaham en 2020 et parait aux éditions Globe.

 

          Un jeune homme – Eddie – est au volant d’une voiture qui trace la route ; visiblement, il fuit quelque chose ou quelqu’un. Petite particularité : Eddie n’a plus de mains et conduit avec ses avant-bras ensanglantés. Mais que s’est-il donc passé pour que le jeune homme soit dans cet état ? Petit retour en arrière, plusieurs années auparavant. Eddie vit avec sa mère, Charlene qui ne se remet pas de la mort de son mari, Nat. Militant pour la cause noire, il a vraisemblablement été assassiné par des blancs qui ne seront jamais jugés. Charlene vit une véritable descente aux enfers qui l’emmène jusqu’à la prostitution et la drogue. Un jour, en compagnie de son proxénète Scotty – en réalité, personnification de la drogue -  Charlene signe un contrat de travail et se retrouve en Louisiane, dans une entreprise qui produit des fruits et légumes : Delicious Foods. Là, les conditions de travail sont terribles et impitoyables et pour les supporter, Charlene se drogue, ce qui génère une dette qui la retient sur le domaine. Bientôt, Eddie – accompagné de Tuck, un clochard – débarque à Delicious Foods : il est en quête de sa mère. Cependant, il assiste au naufrage de celle-ci. Prisonnière de Delicious Foods, droguée, sous emprise, les différentes tentatives d’évasion sont des échecs. Cependant, bientôt, le directeur de l’entreprise, Sextus Fusillier, remarque Eddie, son sens de la débrouillardise et l’engage pour réparer ses appareils électriques… Et pour faire d’une pierre deux coups, il devient l’amant de Darlene. Cependant, Eddie et Darlene sont dans le collimateur des deux surveillants du domaine de Delicious Foods : Jackie et How ; ce dernier est particulièrement cruel et est à l’origine de la mutilation d’Eddie. En effet, Sirius, un ancien de Delicious Foods qui a réussi à s’échapper, est revenu pour délivrer Darlene (avec laquelle il fut très lié) et ses amis – dont son fils, Eddie. Mis au courant de l’affaire, How s’en prend à la mère et au fils qu’il ligote dans un hangar. Lorsque Sirius débarque pour libérer la petite troupe, Eddie doit accepter de sacrifier ses mains pour pouvoir s’échapper. Il sera, d’ailleurs, le seul à s’échapper car les autres restent sur le domaine, arrêtés par How ; dans la confusion, Sextus, le directeur de Delicious Foods, est grièvement blessé et restera handicapé des suites de cette blessure. Darlene devient responsable de Delicious Foods et met Sextus sous emprise. Cependant, quelques années plus tard, l’entreprise s’apprête à être démantelée – car gérée de manière crapuleuse - et les conditions de vie des ouvriers, dévoilées par la presse à l’opinion publique, font l’objet d’un procès au cours duquel Eddie - désormais marié et père d’un petit Nat – revoit sa mère et fait la paix avec elle.

 

           On ne peut pas dire : difficile de frapper plus fort que les premières pages de Delicious Foods : un jeune homme conduit à folle allure une voiture… petite singularité : il n’a plus que des moignons ensanglantés à la place des mains ; que lui est-il arrivé ? que fait-il là ? où va-t-il ? Mais ces questions, on se les posera fort peu de temps, car très vite, on retourne en arrière, dans un passé qui n’a sans doute rien de bien reluisant.

          Il faut dire que le roman se déroule selon une sorte de descente aux enfers, après des années de bonheur. Nat et Darlene s’aiment, ils ont un enfant, tiennent une petite épicerie. Bonheur simple, certes, mais bien fragile : Nat milite pour la cause noire et cet engagement lui vaudra la mort… une mort qui ne sera jamais punie. C’est alors que débute la descente aux enfers de Darlene : d’abord elle quitte les lieux où elle vivait heureuse avec son mari, supporte mal l’absence de ce dernier, commence à se droguer, à se prostituer. jusqu’au jour où c’est sa liberté qu’elle perd : elle signe un contrat avec une entreprise qui la retiendra prisonnière – dettes à rembourser oblige – la fera travailler jusqu’au bout de ses forces tout en la maltraitant. Et son fils, sorte d’Orphée, descendra aux enfers pour en libérer sa mère : mais la chose n’est pas gagnée et le jeune homme restera prisonnier de Delicious Foods des années durant.

          Pour raconter cette histoire, l’auteur utilise deux voix : la première est celle d’un narrateur extradiégétique : il raconte, comme un témoin omniscient, l’itinéraire d’Eddie pour retrouver puis sauver sa mère. L’autre voix est celle de Scotty, le souteneur de Darlene – il s’agit, en fait, de la drogue, représentée sous les traits d’un maquereau … mais il m’a fallu longtemps pour le comprendre. Il parle un immonde patois nègre et ce qu’il raconte n’est pas toujours facile à suivre. On se demande pourquoi un tel parti-pris narratif ? En effet, il n’apporte rien à l’histoire. Le résultat, c’est que jamais le lecteur n’entre véritablement dans la tête et le cœur de Darlene qui parait surtout être une droguée totalement paumée. Quant à Eddie, il est un simple personnage de roman classique : attaché à sa mère, il ira jusqu’en enfer pour tenter de la sauver. Malin et débrouillard, il ne se laisse, par ailleurs, pas corrompre par la drogue.

           Cependant, Delicious Foods se veut être un roman engagé. En effet, ce roman s’essaye à la dénonciation de l’esclavage moderne et de l’éternelle traite des noirs. Il plonge le lecteur dans une société de production de fruits et légumes – Delicious Foods – qui ressemble étrangement aux pires exploitations esclavagistes du Sud de l’Amérique. Les ouvriers y sont malmenés : mal logés (dans un poulailler), mal nourris, parfois maltraités… et même traités avec sadisme. How, le surveillant, torture parfois les ouvriers : Eddie et Darlene feront partie de ses victimes. Cependant, on peine à croire à l’existence d’un tel lieu et s’il existe vraiment, on se dit que le cas est isolé et les noirs en question, peu représentatifs de leur communauté. Reste le problème de la drogue : la quatrième de couverture indique que le livre adopte, à ce sujet, un point de vue jamais envisagé. Promesse bien mal tenue : de la drogue, de l’engrenage dans lequel elle entraine ses consommateurs, de la dépendance qu’elle suscite, de tous ses effets directs ou indirects sur la vie de celui ou de celle qui en prend… on n’apprend strictement rien car le roman se borne à évoquer des pipes en verre qui tournent entre divers consommateurs. Quand enfin, on comprend que le personnage de Scotty est une incarnation métaphorique de la drogue, la chose devient un peu plus intéressante et profonde car alors, on se rend compte de l’emprise que cette dernière exerce sur celui qui tombe entre ses bras. Scotty, c’est le maître de Darlene, il est un être malfaisant sous des dehors familiers, complices ; à ses heures, il est aussi narquois et regarde avec un certain détachement sa victime faire n’importe quoi.  

           Delicious Foods est donc un roman qui n’est peut-être pas désagréable à lire… quoique… Parfois, un vague ennui gagne le lecteur. C’est par conséquent un roman à intérêt variable et qui n’est pas vraiment délicieux.



16/04/2023
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