Elizabeth Ross : Belle époque/Un joli moment de lecture
C’est une nouvelle méconnue de Zola intitulée Les repoussoirs qui a donné à Elizabeth Ross l’idée de ce roman intitulé Belle époque, paru en 2013 aux éditions Robert Laffont.
Nous sommes à Paris, à la fin du XIXème siècle. Maude Pichon, fraichement débarquée de Bretagne, tente sa chance dans l’effervescence de la capitale. Elle pousse la porte d’un cabinet tenu par un certain Durandeau. L’homme recherche en effet des jeunes filles plutôt laides pour un travail facile et bien rémunéré. On pense aussitôt à la prostitution ! Eh bien non, pas tout à fait. L’homme est en effet, en train de lancer une nouvelle mode dans le beau monde parisien : l’offre de repoussoirs. Il s’agit de louer une jeune fille laide comme chaperon afin de faire ressortir la beauté de la cliente. Maude trouve très vite une place chez la comtesse Dubern. Sa fille, Isabelle, doit faire son entrée dans le tout Paris et sa mère cherche le beau mariage. Au départ, les relations entre les deux jeunes filles sont houleuses, d’autant plus qu’Isabelle ignore que Maude est un repoussoir engagé par sa mère. Sa mission de notre laideron est de faciliter les fiançailles entre la jeune aristocrate et le duc d’Avaray. Cependant, la chose s’avère délicate : Isabelle est une fille éprise de liberté ; elle veut faire des études, entrer à la Sorbonne, se passionne pour la photographie et… n’a aucunement envie de mariage qu’elle considère comme un asservissement. Très vite, les deux jeunes filles deviennent amies et complices. Pour Maude, c’est la grande vie : elle va à l’opéra, participe aux diners fins, aux bals et finit par se couper de ses origines et des autres filles de l’agence Durandeau. Parallèlement, elle tombe amoureuse d’un pianiste – Paul – qui travaille dans les cabarets populaires et mène une vie de bohème. Cependant, pour Maude, les choses vont tourner vinaigre. Le duc, ruiné, décide d’épouser une riche lady anglaise et le nouveau prétendant choisi par la comtesse pour sa fille, c’est Xavier de Rochefort qui trousse les bonnes entre deux portes. Tiraillée entre sa mission d’entremetteuse et son amitié pour Isabelle, Maude décide de tout révéler aux deux femmes. Retour à la case départ pour notre repoussoir. Pas tout à fait, cependant, car notre héroïne a pris de l’assurance et dénonce les pratiques de Durandeau aux journalistes. L’affaire fait scandale et l’agence est disqualifiée. Un happy-end attend nos personnages : Isabelle renoue avec Maude, s’oriente vers les études et rompt ses fiançailles avec Xavier, tandis que Maude fréquente Paul et s’oriente vers la photographie dont Isabelle lui a transmis le goût.
A la fin du roman est proposée la nouvelle de Zola – Les repoussoirs – qui a inspiré l’histoire de Belle époque. C’est loin d’être le meilleur texte du grand écrivain : nouvelle satirique, elle expose l’idée de Durandeau qui consiste à embaucher des jeunes filles laides pour mettre en valeur celles qui les emploient. Zola exploite cette idée pour fustiger la société bourgeoise de son époque, basée sur l’argent et le paraître. Zola ne raconte rien, il dénonce et son texte se présente comme un apologue, une fable dont la morale serait : « aujourd’hui, tout se vend, tout s’achète, sans aucune morale ».
Elizabeth Ross imagine un personnage – Maude – pour incarner un repoussoir, et propose, à partir de la nouvelle de Zola, un roman « pour nous les filles » de bonne facture.
En effet, tous les stéréotypes du genre sont présents dans Belle époque. L’héroïne est une sorte de Cendrillon du XIXème siècle : Maude n’a rien qui fasse envie ; elle est physiquement banale, pauvre, obligée de se plier à des taches peu reluisantes pour s’en sortir. Mais telle Cendrillon, elle va connaître le bal en fréquentant l’aristocratie, son luxe et ses paillettes. Mais lorsque minuit sonne, la princesse retrouve le réel le plus cruel : Maude retourne à l’agence de repoussoirs. Mais bien sûr, un happy end l’attend. Si elle ne devient pas princesse, elle se lance dans un art naissant à la fin du XIXème siècle : la photographie ; et bien sûr, elle rencontre l’amour avec le pianiste Paul.
Les idées féministes basiques sont également exploitées dans Belle époque. Dans une société bourgeoise où une jeune fille se doit de faire un beau mariage, Isabelle est une femme de tête, passionnée par les études. Elle considère le mariage comme une prison, un asservissement. Et bien sûr, elle aussi verra ses rêves se réaliser puisqu’elle rompt ses fiançailles et entre à la Sorbonne.
Enfin, le roman propose – de manière plutôt superficielle - une image de Paris au XIXème siècle. La tour Eiffel est en construction, les cabarets font salle comble et l’alcool y coule à flots, les bals des bourgeois font étalage du luxe le plus ostentatoire, les rues de Paris n’ont pas la même odeur selon qu’on se trouve rive droite ou rive gauche.
Belle époque est donc un roman tout à fait plaisant qui sans être un chef d’œuvre offre des moments de lecture agréable. Cependant, je me demande si cette agence de repoussoir a vraiment existé ou s’il s’agit d’une extrapolation de Zola qui pose la question : jusqu’où la société bourgeoise peut-elle aller dans l’immoralité ? Je n’ai pas la réponse. Mais dans le cas où l’idée serait de la science-fiction, alors, le roman Belle époque serait basé sur un hiatus : sa volonté réaliste jurerait, en effet, avec le thème exploité qui, lui, ne le serait pas du tout.
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