Robert James Waller : Sur la route de Madison/On the road again
Sur la route de Madison, c’est d’abord pour moi un film que j’ai vu dix fois sans jamais me lasser, que je connais par cœur, et qui me fait pleurer immanquablement à partir du moment où Meryl Streep regarde la voiture de Clint Eastwood disparaître dans la nuit de l’Iowa, et ce, jusqu’à la fin (et il reste encore au moins 20 minutes). J’ai donc lu le roman qui a inspiré Clint Eastwood lorsqu’il a mis en scène Sur la route de Madison. L’œuvre a été écrite par Robert James Waller en 1995 et est publiée en France aux éditions Albin Michel.
Nous sommes en 1991. Un romancier est à la recherche d’informations sur le photographe Robert Kindcaid. Il souhaite raconter l’exceptionnelle histoire d’amour qu’il a vécue pendant 4 jours (mais bien plus) avec Francesca Johnson. Nous sommes en août 1965. Le photographe Robert Kindcaid travaille pour le journal du national géographic et se rend dans le comté de Madison, en Iowa, pour y photographier les vieux ponts couverts. Il s’arrête devant la maison de Francesca Johnson et lui demande le chemin pour se rendre au pont Roseman. La jeune femme, seule à la maison pour la semaine – son mari et ses deux enfants sont à une quelconque foire aux bestiaux dans l’Illinois – se propose de l’accompagner. C’est alors que se noue une idylle passionnée entre ces deux personnes tellement différentes. En effet, Robert Kindcaid n’a aucune attache : il est divorcé, sans enfants, il passe à vie à photographier les 4 coins du monde. Il est farouchement opposé à la société robotisée, mercantile, consumériste, qui voit son essor dans les années 60. Robert Kindcaid est un homme libre qui entend bien exercer librement l’art de la photographie. Francesca, de son côté, est née à Naples. Après la guerre, elle fait la connaissance de Richard Johnson, l’épouse et part s’installer dans l’Iowa. Elle a un fils, Michaël, et une fille, Carolyn. Mais elle s’ennuie dans ce coin perdu d’Amérique où il n’y a que des bouseux car Francesca est une intellectuelle et était professeure de littérature avant de devenir mère au foyer. Elle communique peu avec son mari et passe son temps à effectuer des tâches ménagères ou agricoles. Sa rencontre avec Robert fait souffler un vent de liberté sur sa vie : enfin, elle rencontre un homme qui sait l’aimer, qui lui fait découvrir le plaisir, qui a une âme de poète. Cependant, l’idylle ne peut durer ainsi. Il faut prendre une décision. Francesca ne peut se résoudre à quitter un foyer dont elle est responsable. Certes, il suffirait de pas grand chose pour qu’elle suive Robert, mais ce dernier est trop délicat pour tenter de l’emporter contre elle. Il accepte sa décision sans tenter quoique ce soit. Cet amour n’aura duré que 4 jours, mais il remplit désormais la vie de Francesca qui ne quittera jamais cette maison où elle a aimé cet homme et où tout lui parle de lui. A la mort de son mari, elle tente en vain de retrouver la trace de Robert. En 1982, elle reçoit un colis contenant ses effets personnels, récemment décédé. Ce dernier a voulu être incinéré et ses cendres ont été jetées dans la rivière, depuis le pont Roseman. Chaque année, à son anniversaire, Francesca relit les lettres, regarde les photos, se rend sur les lieux qui ont vu naître cet amour fou. A sa mort, elle lègue à ses enfants, à travers un journal, l’histoire de cet amour afin qu’ils comprennent pourquoi elle veut être incinérée, pourquoi elle veut que ses cendres soit jetées du pont Roseman.
Décidément, Sur la route de Madison, c’est et restera pour moi, avant tout un film. Celui de Clint Eastwood qui interprète le rôle de Robert Kindcaid, avec Meryl Streep dans le rôle de Francesca. Pourtant, le roman est loin d’être mauvais. Mais il est bien court (114 pages) et ne prend pas suffisamment le temps d’installer les problématiques dans lesquelles s’inscrivent les personnages, contrairement au film (qui dure plus longtemps que la lecture du roman).
D’abord, Clint Eastwood a pris le temps d’insérer l’histoire d’amour de Robert et de Francesca dans celle des enfants de cette dernière, ce que le livre ne fait qu’à moitié. Certes, à la fin du roman, ils découvrent la vie cachée de leur mère et en sont bouleversés : « c’est incroyable » en gros nous dit Robert James Waller. Le film, quant à lui, est construit sur un flash-back : les enfants lisent les journaux intimes de leur mère. D’abord réticents à ses vœux d’incinération, ils vont évoluer et finiront par tirer les leçons de cette histoire d’amour car ils sont eux-mêmes dans une impasse sentimentale. On voit déjà toute la densité supplémentaire apportée par le film aux personnages des enfants.
Par ailleurs, le film insiste beaucoup sur la lourdeur des mentalités rurales dans l’Amérique profonde. Ce thème est également présent dans le roman, mais il est, encore une fois, survolé. Il évoque, au détour d’une phrase, les cancans dont pourrait faire l’objet une femme qui invite un homme à diner chez elle alors qu’elle est seule. Le film, quant à lui, met en scène une femme adultère, Lucy, rejetée par tout le monde parce qu’elle a fauté. Et il ne faudra pas beaucoup plus qu’une scène ou deux à Clint Eastwood pour dire l’insatisfaction et l’ennui qui accablent Francesca dans sa vie de mère au foyer ; je pense ici aux scènes de repas familial qui se déroulent dans un silence écrasant. Cependant, la manière de filmer de Clint Eastwood sublime aussi ce coin d’Amérique profonde, lumineux mais aussi parfois poisseux sous le torride été 1965. Les prises de vue sur le pont Roseman sont éminemment poétiques et riches de symboles. Meryl Streep se baladant sous le pont couvert qui ressemble au tunnel sombre qu’est sa vie tandis que dehors, Clint Eastwood prépare son matériel photographique sous la lumière éclatante de l’été ! C’est tout simplement poignant. Rien de tout cela dans le roman qui ne décrit que très superficiellement cet environnement dans lequel s’inscrit l’histoire d’amour.
Reste donc cette fameuse histoire d’amour qui insiste fortement sur l’opposition des deux personnages. L’un est libre, sans attache, l’autre traine à ses guêtres le boulet d’une vie de famille confinée. Mais je dois dire que Robert James Waller en fait un peu trop sur ce point. Il insiste fortement sur le personnage de Kindcaid et l’associe lourdement à un léopard, à un chaman (!), au dernier cow-boy existant sur terre. Toutes ces métaphores et comparaisons exagérées sont un tantinet grotesques et lourdingues. Je cite :
« D’une certaine façon, il n’appartenait pas à cette terre. Je ne peux pas mieux l’exprimer. J’ai toujours pensé qu’il ressemblait à un léopard qui aurait voyagé sur la queue d’une comète »
Le film met davantage en valeur le personnage de Francesca qui embellit et se transfigure au fur et à mesure que se révèle à elle le grand mystère de l’amour. Je dois dire également que parfois, le roman n’évite pas les écueils d’une histoire d’amour qui se veut exceptionnelle, marquant à jamais les personnages. On sombre parfois dans le lyrisme excessif, dans le pathos ou dans la mièvrerie. Ce qui n’arrive jamais dans ce film où tout est parfaitement dosé, juste et plein de sensibilité. Saluons le jeu tout en émotion de Meryl Streep qui arrive à me faire pleurer pour de bon, chose très rare : la scène de la voiture sous la pluie avec le clignotant qui indique la direction qu’elle ne prendra pas est d’une rare intensité. Si certaines phrases prononcées dans le film dont directement tirées du roman, on sait gré à Clint Eastwood d’avoir su faire le tri et de nous avoir évité des trucs pseudo poétiques du style :
« A un moment que je lui murmurais cela, il m’a répondu seulement : « je suis la grand-route et le pèlerin et toutes les voiles qui ont pris la mer ».
Reste que le roman tente de rendre hommage à l’art de la photographie qui sait capter la magie de la lumière. On a donc droit à toutes les marques de pellicule-photo et celles des différents appareils qu’utilise Robert Kindcaid. Bof !
On l’aura compris, je n’ai apprécié qu’à moitié ce roman de Robert James Waller qui a pour principal intérêt d’être le support d’un des plus beaux films jamais réalisés sur une histoire d’amour intense et profonde. Si le film peut paraitre longuet au départ, c’est pour mieux camper les personnages et faire monter progressivement l’émotion qui finit par submerger le spectateur, là où le roman n’arrive à rien.
On l’aura aussi compris, pour moi, Sur la route de Madison n’est pas une œuvre seulement passagère. Elle me marque profondément et me fait réfléchir à ce que peut-être l’amour entre ses flamboyances mais aussi la tendresse qu’on peut encore éprouver pour un compagnon de longue date. Elle rend palpables la peur et le bouleversement qu’on peut éprouver quand on est à la croisée des chemins et qu’on sait que dans un sens comme de l’autre, on va souffrir et faire souffrir. Reste à savoir quelle direction le clignotant indiquera.
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