LECTURES VAGABONDES

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Hwang Sok-Yong : Shim Chong, fille vendue/On achète !

 

 

              Retour en Corée du Sud – après le fastidieux Une famille à l’ancienne de Ch’on Myonggwan - et de manière plus large, dans l’Asie du sud-est avec ce roman de Hwang Sok-Yong intitulé Shim Chong, fille vendue, paru en 2010 aux éditions Zulma.  

 

          Nous sommes à la fin du XIXème siècle, sur un navire marchand coréen qui emmène la jeune Chong à Jinjiang, chez maître Chen, riche patriarche d’une famille mafieuse, auquel elle a été vendue. A la mort de ce dernier, elle est récupérée par le fils de ce dernier, Guan, qui la prostitue ; en effet, cet homme tient une maison close à Jinjiang. Le jour où les britanniques attaquent la ville, la maison des plaisirs est mise à sac et incendiée. Chong s’enfuie avec Dongyu, jeune homme dont elle est éprise et qu’elle épouse sur le bateau. Mais l’idylle est de courte durée car Chong va être enlevée et emmenée à Keelung où elle sera vendue pour se prostituer dans un bordel bas-de-gamme fréquenté par des travailleurs du coin et des hommes venus de partout qui cherchent là, dans ce port en pleine effervescence commerciale, bonne fortune. Un jour, Chong et quelques amies sont louées pour une mission à Tamsui. Là, elle rencontre madame Shang qui tient un bar de geishas. Chong y apprend à danser, à chanter, à perfectionner ses talents de musicienne. Cependant, son amie, Lingling est enceinte et l’accouchement se passe mal : la jeune femme meurt en donnant le jour à la petite Yuzao que Chong adopte aussitôt. Mais son rôle de mère sera de courte durée : Monsieur James, un occidental riche qui vit à Singapour, s’entiche de Chong et la prend pour concubine. Pendant, plusieurs années, elle vivra dans le luxe et l’opulence. Cependant, lorsque Monsieur James demande à Chong sa main, elle refuse. Elle veut vivre libre et ne dépendre de personne. C’est alors qu’elle retourne à Tamsui où elle retrouve ses amies. Avec sa tante Fumiko, elle décide de poser ses bagages dans les îles du Ryukyu où elle ouvre une maison de geishas et un foyer d’accueil pour les enfants nés de prostituées. Bientôt, elle rencontre Kazutoshi, prince de Miyako dont elle tombe amoureuse et qu’elle épouse. Malheureusement, son bonheur est de courte durée : sous influence japonaise, le gouverneur du Ryukyu n’accepte pas le soutien du prince de Miyako pour développer le commerce avec les occidentaux (le japon étant partisan de la fermeture des frontières). Kazutoshi est condamné à mort. Après l’exécution de son époux, Chong s’installe à Nagasaki et reprend sa vie de mamasan dans son établissement de geishas tout en continuant ses actions bénévoles auprès des enfants défavorisés. Elle accueillera Shenshim, jeune rebelle de l’insurrection Yonaoshi ; il est blessé. Elle le soigne, vit une histoire d’amour avec lui, puis, il disparait, assassiné par la police. Le reste de la vie de Chong est rapidement résumé dans une sorte de postface : elle revient mourir dans son pays natal, le Joseon, et décède à l’âge de 90 ans.

 

          Il faut savoir que le roman Shim Chong, fille vendue vient d’une légende coréenne remaniée de telle sorte qu’elle vienne s’ancrer dans la réalité de l’Asie du sud-est au début du XXème siècle. Ainsi, le roman propose une vision de la Chine, du Japon, de Singapour et de la Corée à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Cette zone est écartelée entre le protectionnisme du Japon et l’effervescence des marchands de toutes origines : chinois et occidentaux - surtout les Hollandais et les Britanniques – qui tiennent les ports de commerce nombreux dans la région. Cette distorsion entre le Japon et les autres pays provoque des drames comme celui de la mort de Kazutoshi, le mari de Chong, condamné par le Japon pour avoir voulu favoriser le commerce avec d’autres pays.  

          Par ailleurs, le roman offre une vision de la femme asiatique de l’époque : Chong sera  esclave, vendue, prostituée, geisha. On pénètre ainsi dans le système très normé et très hiérarchisé du monde des geishas. Certes, il est difficile, pour un européen du XXIème siècle de comprendre tous les enjeux qui agitent cette région. En effet, l’auteure passe très vite sur les aspects historiques et politiques qui agitent le sud-est asiatique. Trop vite ! Il faut dire que le roman privilégie l’action à la vision sociale et économique de cette zone très complexe au niveau des mutations et des enjeux commerciaux et financiers. Bref, le lecteur s’y perd un peu, ce qui n’est jamais très agréable.

          Mais Shim Chong, fille vendue, c’est aussi un roman picaresque. Chong voyage beaucoup et à chacune des étapes qu’elle franchit, elle vit de nouvelles aventures, de nouvelles situations et rencontre d’autres personnages de tous acabits ; des plus pauvres aux plus riches. Au fil de tous ces voyages, nous suivons l’ascension de l’héroïne. Partie de très bas, obligée de se prostituer dans une maison close miteuse, elle va peu à peu s’élever en raison de sa grande beauté et de son pouvoir de séduction sur les hommes. Au début du roman, elle est ballotée de maison close en maison close, puis, dès lors qu’elle deviendra la concubine de monsieur James, elle décide de prendre en main son destin et d’ouvrir elle-même des maisons de geishas ou de se lancer dans l’assistance aux enfants de prostituées déshérités.

          Enfin, Shim Chong, fille vendue, c’est aussi un roman désabusé et beaucoup plus noir que le traditionnel roman picaresque. La fin est pathétique et Chong fait un bilan bien amer de sa vie. Solitaire, elle ne fait plus confiance aux hommes et décide de ne compter que sur elle-même.

          Ainsi, même si Shim Chong, fille vendue, n’est pas le roman du siècle, il reste un livre agréable à lire, de bien meilleure tenue qu’Une famille à l’ancienne de Ch’on Myonggwan.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



13/12/2020
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