LECTURES VAGABONDES

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Henry de Montherlant : Les célibataires / Célibattant !

     

   Aujourd’hui, je vous propose de redécouvrir un auteur qui me semble oublié, peut-être à cause de ses opinions misogynes et de sa personnalité fantasque et insaisissable. Je veux parler d’Henry de Montherlant. Ce premier roman de Montherlant que je lis – et sûrement pas le dernier - s’intitule Les célibataires et parait en 1954 aux éditions Gallimard.

 

         C’est à Paris, rue Arago, que vivent ensemble deux drôles de vieux garçons : le comte Léon de Coantré et le baron Elie de Coëtquidan. Ils sont liés par la parenté : Léon est le neveu d’Elie. Certes, ils vivotent, n’ont pas le sou et ne savent pas trop quoi faire de leurs dix doigts. Il faut dire que la noblesse n’a pas pour habitude de travailler ! Par ailleurs, le père de Léon a ruiné sa famille. Lorsque la mère de Léon décède et que sa succession est ouverte, il ne reste pas grand-chose, d’autant plus qu’au passage, certains se servent et que Léon ne s’y entend guère en ce qui concerne les affaires d’argent. Alors, il va demander de l’aide à son oncle, le frère d’Elie, riche car travaillant dans une banque ; il s’agit du baron Octave de Coëtquidan. L’homme est passablement ennuyé par ce parent pauvre qui vient lui demander de lui trouver un emploi. S’il lui affirme qu’il va l’aider, il n’en fait rien, en réalité. Cependant, le temps passe, l’argent s’amenuise et rien ne bouge. Alors Elie, bien plus opportuniste et fainéant que son neveu, se rend chez son frère et réussit à obtenir de lui une place dans une pension de famille. Et puis, lorsque dans son château à Fréville, le garde décède, Octave propose à Léon d’emménager dans sa petite maison : il s’agit en réalité d’une vieille turne mal chauffée dans laquelle le pauvre Léon crève de froid. Bientôt, il n’a plus un sou et la solitude lui pèse. Il se rend compte qu’il ne manque à personne et apprend que son oncle Octave, qui ne lui prête pas un sou, donne généreusement des milliers de francs à des associations caritatives. Malade, il meut seul, dans le froid. Quelques jours plus tard, son cadavre est retrouvé. Sa mort soulage l’oncle Octave et laisse plus ou moins indifférents tous les autres. Il n’y aura personne à ses obsèques.

 

         Le roman Les célibataires dresse, comme son nom l’indique, le portrait de deux célibataires qui ont comme principale caractéristique d’être des aristocrates originaux. Ils ne travaillent pas et sont rattrapés par le manque d’argent dans une société où, de plus en plus, l’argent est roi et où on n’est rien si on n’en a pas.

         Ainsi, le comte Léon de Coantré et le baron Elie de Coëtquidan, sont des nobles désargentés. Léon est ruiné car son père a croqué tout l’argent dans des spéculations financières désastreuses. Quant à Elie, il refuse toutes les contingences sociales et n’a qu’une seule ambition, trouver une planque à l’abri de tout souci, quel qu’il soit. Et comme ni l’un ni l’autre ne savent travailler – puisque le travail ne fait pas partie, traditionnellement, du mode de vie de la noblesse (même si Léon a eu autrefois une activité dans laquelle il a échoué : l’agrandissement photo) – ils n’ont pas un sou vaillant, ils sont sales et habillés de guenilles. Cependant, - noblesse oblige ! - ils ont quand même une servante.

         Mais penchons-nous plutôt sur Léon, personnage principal du roman. Léon est un aristocrate, mais, paradoxalement, il aime le peuple et particulièrement les femmes du peuple ; ce sont elles et elles seules qui le font rêver, elles et elles seules qu’il regarde. Il y a plusieurs années, il fut amoureux de Mariette qui, un jour, a mystérieusement disparu. Depuis, il n’a guère connu d’autres femmes. Ces goûts sont bien entendu en réaction par rapport à ceux en vigueur dans sa classe sociale et par conséquent, notre Léon n’est guère apprécié par sa famille, notamment par son oncle Octave, riche banquier.

         A travers ce portrait et de manière plus générale à travers ce roman, Henry de Montherlant dresse un portrait cruel et cynique d’une certaine noblesse traditionnelle et désargentée qui n’a plus sa place dans la société des années 30 où l’argent est devenu la valeur suprême. Le riche Octave a réussi parce qu’il aime l’argent, mais tous les aristocrates ne sont pas censés l’aimer, ce qui est le cas d’Elie et de Léon. Ce dernier croit encore aux valeurs de la noblesse et va être cruellement déçu. En effet, notre héros ne sait pas gérer l’argent : il n’y comprend rien et se laisse berner car il ne sait pas dire non. En effet, Léon est timide et se laisse manger par les autres qui, par ailleurs, le méprisent profondément parce qu’il traine dans les rues comme un mendiant. Pourtant, son titre devrait susciter le respect, mais dès qu’on se rend compte qu’il n’a pas d’argent, on le méprise, et ce mépris est largement partagé par toutes les classes sociales (même le peuple).

         Léon croit profondément en la valeur de la famille. Cependant, il sera trahi par tous, même par son compagnon d’infortune Elie. Ce dernier, qui ne pense qu’à ne rien faire de sa vie, agite sous le nez de son riche frère, le banquier Octave, le spectre de la mésalliance : si ce dernier ne fait rien pour l’aider à se placer dans une pension de famille où il sera logé, nourri, blanchi gratis pro deo, il épousera – horreur ! – une roturière juive ! C’est ainsi qu’il se la joue solo pour se mettre à l’abri du besoin.

         Cependant, si, dans l’ensemble, le roman fait preuve de beaucoup de cynisme et d’ironie, la fin est particulièrement cruelle et pathétique.  En effet, Léon meurt seul, dans le froid, en rêvant aux oies sauvages qui migrent à la recherche d’un petit coin de bonheur quand celui qu’elles habitaient ne leur convient plus ; il rêve à cette liberté, à cette possibilité d’échapper à ce monde froid et cruel. Pour son enterrement, personne ne se sera déplacé ; cependant, sa tombe sera toujours fleurie par Octave qui, pour son confort et sa réputation, soigne les apparences : il faut, en effet, montrer que la famille est et reste une valeur importante de la noblesse. Quel cynisme ! Quelle hypocrisie !

          Je découvre donc Henry de Montherlant avec ce roman intitulé Les célibataires. Je pense approfondir la connaissance de cet auteur par la lecture d’autres de ses romans, notamment un des plus connus : Les jeunes filles. S’il est aussi radical que Les célibataires par son cynisme, je pense que je vais l’apprécier.



17/06/2025
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