LECTURES VAGABONDES

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Edith Wharton : Le temps de l’innocence/Un bon temps !

   

    Cette semaine, nous allons nous plonger dans un classique de la littérature américaine qui a donné lieu à un film non moins célèbre de Martin Scorsese : Le temps de l’innocence est écrit par Edith Wharton en 1920 et parait aux éditions Flammarion en 1985.

 

          Nous sommes à New-York dans les dernières décennies du XIXème siècle. Le jeune Newland Archer annonce ses fiançailles avec la jeune et belle May Welland. Mais ce qui devait être pour lui un long fleuve tranquille va être bouleversé par l’arrivée d’une cousine de sa future épouse : Ellen Olenska. Celle-ci est entourée d’un parfum de scandale : elle veut divorcer de son époux et des rumeurs courent sur une liaison qu’elle aurait eue avec le secrétaire de ce dernier. Archer est quasiment obligé de se rapprocher de la belle jeune femme car sa famille lui confie la mission de convaincre Ellen de renoncer au divorce, ce qu’elle finit par accepter d’autant plus qu’elle finit par être acceptée dans la haute société newyorkaise : elle est en odeur de sainteté auprès des Van der Luyden, chantres du bon ton dans ce milieu. Si Ellen est acceptée par eux, alors elle le sera par toutes les autres familles. Peu à peu, Ellen et Newland tombent amoureux l’un de l’autre : Ellen est tellement anti-conventionnelle ! Elle ose affirmer son ennui lorsqu’elle est invitée à tel ou tel bal guindé ; elle aime les artistes ; elle se lie d’amitié avec le scandaleux Julius Beaufort ! Tout cela est très attrayant pour Newlland Archer qui vit depuis toujours dans le carcan du beau monde, effrayé par la liberté et adepte du bon ton. Cependant, rien de charnel ne se passe entre Ellen et lui : Ellen est trop attachée à sa cousine – et fiancée à Newland - May, pour lui infliger pareille trahison. Elle officie pour qu’il épouse celle qui lui est destinée. C’est ainsi que Newland Archer propose à May d’avancer le mariage. Cette dernière hésite car, d’une part, la chose lui fait peur, d’autre part, elle se demande quelles sont les raisons de cet empressement. Alors qu’Archer commence à désirer fortement rompre avec May et à imaginer sa vie future avec Ellen, il reçoit un télégramme de May : le mariage sera avancé ; ses parents sont d’accord ; les épousailles auront lieu après Pâques. Comme il le redoutait, Archer se sent malheureux auprès de sa jeune épouse : May. Même si Ellen voyage beaucoup, même si ‘elle est rarement à New York et qu’Archer ne la voit que très peu, il pense toujours à elle et s’ennuie auprès de May, toute pétrie qu’elle est du « bon ton » newyorkais. Cependant, la famille Welland est de nouveau frappée par la peur du scandale : il faut qu’Ellen retourne auprès de son mari ; une désastreuse opération financière fomentée par le scandaleux débauché Julius Beaufort met à mal sa fortune. Mais Archer rencontre le fameux secrétaire d’Ellen – M. Rivière – qui lui déconseille d’agir en ce sens car un retour à la vie commune d’Ellen avec son mari serait source de grand malheur pour celle-ci. Archer suivra ce conseil tandis que sa jeune épouse, May, lui laisse entendre toute sa désapprobation : elle tient avec sa famille qui œuvre pour qu’Ellen quitte définitivement les Etats-Unis ; la grand-mère de May met donc à l’abri du besoin Ellen qui décide de partir pour l’Europe. Au bord du précipice, Archer ne sait plus que faire : ne jamais plus voir Ellen lui est insupportable ; de nouveau, il songe à quitter son épouse pour suivre Ellen. C’est alors que May lui annonce qu’elle est enceinte. Nous retrouvons Archer de nombreuses années plus tard. May est morte et elle lui a donné trois enfants qui n’obéissent plus aux règles strictes du bon goût newyorkais ; d’ailleurs, son fils, Dallas, va épouser la fille du sulfureux Julius Beaufort. C’est alors qu’Archer apprend qu’Ellen est à New York ; son fils le pousse à la revoir car il sait combien son père l’a aimée. Mais alors qu’il se trouve au pied de l’appartement de sa bien-aimée, il hésite et attend. Lorsque la lumière s’éteint, il rentre tranquillement chez lui, seul.

 

          Le temps de l’innocence est un très beau roman qui a comme sujet le monde très fermé, très strict et totalement étriqué de l’aristocratie newyorkaise de la fin du XIXème siècle. Dans ce monde, il y a ceux qu’il faut fréquenter et ceux qu’il ne faut pas fréquenter ; là, le bon ton est de rigueur et il y a toujours quelqu’un pour déblatérer sur ceux qui y font entorse ; là, les cancans et les calomnies sont craints car la disgrâce est le pire des malheurs qui puisse s’abattre sur une famille.

Mais alors pourquoi ce roman s’intitule-t-il Le temps de l’innocence puisqu’à priori, d’innocence, il n’y en a pas dans ce monde aristocratique dépeint ci-dessus ? Eh bien, l’innocence, c’est d’abord celle de la jeune et fraiche May : l’amour qu’elle porte à son fiancé Newland Archer risque d’être sacrifié pour une femme scandaleuse. Finalement, on se demande si ce n’est pas elle qui a fomenté la disgrâce de sa cousine et rivale pour s’en débarrasser ; en effet, il semblerait qu’elle manipule Archer de manière à ce qu’il reste avec elle au moment où ce dernier est décidé à partir. Bref, comme on dit, May est une innocente aux mains pleines.

              Alors, l’innocente dans toute cette histoire, ce serait bien finalement Ellen, la scandaleuse, qui bien qu’elle soit séparée de son mari - ce qui est scandaleux dans ce monde impitoyable - est restée pure, car jamais elle n’a cédé à la tentation d’aimer Newland ; par ailleurs, elle affiche des sentiments sincères et honnêtes envers sa famille : il n’y a point d’hypocrisie en elle. Elle est et reste une femme libre qui sera évincée du monde aristocratique newyorkais pour pouvoir garder cette liberté.  

Entre ces deux femmes, il y a Archer : il se laisse manipuler par sa famille et par celle de May ; il est totalement prisonnier des conventions du monde étriqué auquel il appartient et est en proie à l’étouffement car au fond de lui, il désire autre chose : la liberté auprès d’une femme aimée et libre, elle aussi ; voilà pourquoi Ellen le fascine.

          Enfin, Le temps de l’innocence dresse le portrait d’un monde détestable, totalement sclérosé, dans lequel l’honneur de la famille passe avant tout. Dans ce monde, il y a des réputations établies : par exemple, Mrs Struthers et Julius Beaufort sont infréquentables. Les Van Der Luyden sont ceux qui préservent les règles du bon ton ; quant à Mr Jackson, il est la gazette de tout ce petit monde qui se divertit d’apprendre ceci ou cela sur un tel ou un tel.  

          Pour terminer, on a aimé la fin ironique et tragique du roman ; suite à une ellipse de plusieurs années, Archer se retrouve dans un monde qui a changé : ni Ellen ni Julius Beaufort ne sont plus scandaleux. Alors qu’il pourrait revoir Ellen, et peut-être vivre avec elle, sa pudeur ainsi que la fidélité à celle qu’il a épousée et avec laquelle il a fondé une famille. Au moment où il aurait pu vivre enfin libre, il ne peut bousculer toutes ces règles qui ont façonné son mode de vie et qui ont fait son malheur. Il est trop tard pour lui. Trop tard pour un bonheur à jamais impossible. De quoi méditer sur tout ce qu’on a manqué dans la vie et qui laisse malgré tout un goût amer. 



27/12/2021
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