Milan Kundera : La plaisanterie/Une belle plaisanterie.
Voici le premier roman de mon écrivain chouchou du XXème et XXIème siècle. Je ne l’avais jamais lu, contrairement aux autres titres présentés sur ce blog. Vous aurez donc droit à une critique toute fraiche, écrite sans le recul d’une seconde lecture. Milan Kundera a écrit La plaisanterie en 1967, alors qu’il vient juste de quitter son pays natal, la Tchécoslovaquie, pour la France.
Ludvik Jahn revient dans la petite ville qui l’a vu naître, en Moravie (Tchécoslovaquie). Ce retour est mystérieux. Il erre à travers la ville et rencontre un ancien ami nommé Kostka qui lui offre sa chambre pour loger pendant les quelques jours qu’il compte passer là. Il fixe rendez-vous à une certaine Hélèna qu’il avait séduite autrefois. Mais avant de découvrir de quoi le lendemain sera fait, nous plongeons dans le passé de Ludvik. Etudiant brillant, membre du parti, il a une petite amie, Marketa à laquelle il envoie une carte postale comportant une plaisanterie, alors que cette dernière passe ses vacances dans un camp de jeunesse. Lorsque la carte est découverte, Ludwik est jugé car la teneur de sa plaisanterie – « L’optimisme est l’opium du peuple ! L’esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski ! » - est considérée comme émanant d’un esprit individualiste et donc réfractaire à l’idéologie communiste. Parmi les juges se trouvent ses amis d’hier. Le plus féroce est un certain Zemanek ; décision est prise de bannir Ludvik de l’université et de l’envoyer dans un camp de travail forcé à Ostrava. Là, notre homme ressasse l’injustice de sa condamnation tout en se remettant en cause : dans quelle mesure reste-t-il dans son esprit des résidus d’individualisme ? La négation de l’individualité est-elle souhaitable ? En tout cas, les conditions de vie dans le camp sont très dures et les hommes souffrent du manque de vie affective. Certains profitent de leur permission pour aller voir des prostituées. Ludvik, de son côté rencontre Lucy, une jeune fille assez solitaire qui habite non loin du camp. Tous les jours – ou presque - elle vient observer Ludvik derrière les barbelés avec un bouquet de fleurs à la main. Ludvik est très amoureux mais la jeune fille se refuse à lui de manière violente. Un jour, Ludvik tente de la forcer ; il ne reverra jamais plus Lucy qui part sans laisser d’adresse. Retour au présent dans la petite ville de Moravie. Ludvik retrouve Kostka qui lui apprend ce qu’est devenue Lucy : pendant quelques temps, elle fut vagabonde. Mais Kostka, très croyant, a su apaiser son âme : Ludvik découvre que la jeune fille ne l’a jamais aimé, que dans sa jeunesse, elle fut victime de viols à répétition qui l’ont dévastée. Mais voici Hélèna qui arrive ! Elle est mariée à Zemanek, le juge de Ludvik. Notre héros couche avec elle pour se venger de son mari qui l’a fait jadis condamner, mais découvre ensuite que le couple Héléna-Zemanek n’existe plus vraiment, qu’entre eux, il n’y a plus d’amour, que Zemanek a une maîtresse. Ludvik n’a pas l’intention de s’engager dans une relation suivie avec Hélèna qu’il n’aime pas. Mais la jeune femme est très éprise de lui et songe à se suicider lorsque Ludvik lui apprend la vérité. Nous quittons la petite ville de Moravie alors qu’une fête folklorique bat son plein : il s’agit de La chevauchée des rois à laquelle Jaroslav, un ami de Ludvik est très attaché. Mais décidément, le communisme passe tout sous son rouleau compresseur : vidée de sa substance traditionnelle, cette fête n’est plus qu’un support destinée à la propagande et n’intéresse plus personne.
François Ricard définit La plaisanterie comme « le roman de la dévastation ». En effet, La plaisanterie présente plusieurs personnages dont les existences ont été dévastées par l’idéologie communiste pure et dure. Ludvik est le personnage principal et pour une plaisanterie de jeunesse dont il n’a su apprécier le risque et la portée, le voilà exclu de la société, mis à son ban ; voilà sa vie brisée et, l’avenir auquel il aspirait, désormais hors de portée. Pour se venger, une dizaine d’années plus tard, il deviendra l’amant d’un jour d’une femme amoureuse de lui et lui ravage le cœur. Cette liaison n’aurait jamais eu lieu si Zemanek, le mari d’Helena, n’avait pas jugé aussi durement Ludvik, lors de son procès. Lucy, la jeune fille aimée de Ludvik, est dévastée par les viols qu’elle a subis et dévastera la vie de Ludvik en l’abandonnant.
Les conséquences de la dévastation, c’est le désir de réparation. C’est alors que le roman prend toute sa saveur ironique car, selon Kundera, la réparation est un leurre
« La plupart des gens s’adonnent au mirage d’une double croyance : ils croient à la pérennité de la mémoire (des hommes, des choses, des actes, des erreurs, de péchés, des torts). L’une est aussi fausse que l’autre. La vérité se situe juste à l’opposé : tout sera oublié et rien ne sera réparé. Le rôle de la réparation (et par la vengeance, et par le pardon) sera tenu par l’oubli. Personne ne réparera les torts commis, mais tous les torts seront oubliés »
Ainsi, lorsque Ludvik croise Zemanek lors de la chevauchée des rois, il se rend compte que, non seulement, l’homme ne lui en veut pas – au contraire ! – d’avoir couché avec sa femme Helena, mais qu’entre temps, à la veille du printemps de Prague, l’idéologie communiste s’est assouplie. Désormais, Zemanek est sur la même longueur d’onde que celui qu’il a autrefois jugé. Quelle ironie ! La plaisanterie, finalement, c’est peut-être là qu’elle est la plus cruelle ! Ludvik découvre d’un seul coup que les années qu’il a passées derrière les grilles d’un camp de travail sont oubliées… Tous ses torts d'antan sont oubliés ! Il découvre la vanité et la légèreté de toutes choses, même celles qu’on croit incontournables.
Par ailleurs, à travers le personnage très croyant de Kostka, Kundera se livre à une réflexion sur les rapports de la religion et de l’idéologie communiste qui doit la remplacer dans la tête des gens. A travers le musicien Jaroslav, très attaché à la musique folklorique traditionnelle, Kundera se livre à une réflexion sur l’art et la transformation qu’il subit lorsqu’il passe par le rouleau compresseur de la propagande. Ainsi, la dévastation n’est pas seulement celle des hommes, elle est aussi celle des valeurs et de l’Histoire. Le communisme est une grande entreprise de dévastation de l’Histoire particulière d’un pays dont les traditions sont ainsi vidées de leurs sens.
Sans doute, La plaisanterie n’est-il pas le roman de Kundera que j’ai préféré, mais je l’aime car il comporte en germe des réflexions qui seront davantage creusées dans ses romans suivants. De toutes manières, La plaisanterie reste un excellent roman, intelligent et corrosif : on ne plaisante jamais avec Milan Kundera.
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