LECTURES VAGABONDES

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Graeme Aitken : 50 façons de dire fabuleux / absolutely fabulous.


Absolutely fabulous, c’est le titre d’une série que je ne connais pas et qu’il n’a rien à voir avec ce très beau roman de Graeme Aitken : 50 façons de dire fabuleux, écrit en 1995 et paru en France en 2001 aux éditions Stock… sauf celui de comporter les mots « fabuleux-fabulous ». Très mauvaise entrée en matière, je le conçois… Bof, tant pis.

Nous sommes en pleine cambrousse néo-zélandaise, à Mawera. Billy-Boy a douze ans et découvre peu à peu qu’il est « un garçon pas comme les autres ». Il est attiré par les vêtements féminins, les longs cheveux, mais aussi par les corps d’hommes nus qu’il regarde en cachette dans les magazines interdits auxquels sa mère est abonnée. Il découvrira le plaisir auprès d’un camarade de classe très laid, Roy Schluter, pour lequel il éprouve des sentiments ambigus, de dégout et d’attirance mêlés. Il découvrira l’amour en la personne de Jamie, un très beau garçon de ferme employé par son père… malheureusement pour lui, le jeune homme est hétérosexuel, et finira par partir en lui collant une sacrée humiliation.

Pas très drôle, donc, cette fin d’enfance marquée par la découverte d’une homosexualité difficile à assumer dans un monde machiste, pétri de préjugés et de haine de la différence.

J’ai beaucoup aimé ce roman sensible et drôle qui comporte, certes, quelques longueurs, mais qui offre l’intérêt d’aborder de manière franche et lucide un sujet désormais très à la mode, mais souvent mal traité dans la littérature : l’homosexualité.

Sans s’apitoyer, sans larmoyer, 50 façons de dire fabuleux traite du mal-être d’un enfant qui découvre sa marginalité.

Première façon de dire fabuleux : la culpabilité… c’est ce qu’éprouve Billy-Boy lorsqu’il découvre son attirance pour le corps des hommes. C’est ce qu’éprouve Billy-Boy lorsqu’il découvre le plaisir, tous les vendredis, dans une prison désaffectée, en compagnie du très laid Roy Schluter.

Deuxième façon de dire fabuleux : l’addiction à la nourriture. Pour conjurer l’angoisse et le mal être, Billy-Boy mange trop et grossit : il est obèse. Il a honte de son corps.

Troisième façon de dire fabuleux : la solitude. Billy-Boy cache la queue de vache qu’il peigne et qu’il aime se mettre dans les cheveux, il cache son secret… personne ne sait. La rançon du silence, c’est qu’il ne sait rien de la sexualité, rien de son corps. La première fois qu’il éjacule, il croit qu’il est malade, que c’est du pus qui s’écoule de son corps, que Dieu se venge de lui… mais en même temps, c’est tellement bon… qu’il continue ses petits jeux de touche-pipi avec Roy. Il découvre son corps, sa sexualité, tout seul, à tâtons…

Troisième façon de dire fabuleux : la frustration. Billy-Boy tombe amoureux de Jamie, un hétérosexuel qu’il ne pourra jamais toucher. Il l’aime dans le silence et la honte. Il se cache pour tenter d’apercevoir les fesses, le sexe du jeune homme. Par ailleurs, Jamie est amoureux d’une fille facile, Belinda… et Billy-Boy découvre la jalousie, un sentiment très cuisant, très douloureux.

Quatrième façon de dire fabuleux : le rejet. Même s’il le cache, Billy-Boy est une « tarlouze » qui ne dupe personne. Par ailleurs, il est trop gros. Moqueries, et même violences, s’abattent sur lui. Dans les vestiaires du club de rugby, Billy-Boy se fait passer à tabac.

Il y a sans doute bien d’autres manières de dire fabuleux… mais je m’arrêterai là en ce qui concerne le compte-rendu de ce roman. 

En réalité, ce qu’il y a de fabuleux, dans ce roman, c’est qu’il ne s’arrête pas véritablement, à mon sens, à l’homosexualité, car le mal être lié au début de l’adolescence, c’est un état largement partagé, par tout le monde … le mal être, à l’adolescence, c’est normal. Le corps se transforme, dans un total désordre hormonal, et il est terriblement angoissant de devenir quelqu’un d’autre que l’enfant qu’on a toujours été : un homme ou une femme qui entame son émancipation familiale. Par ailleurs, tout le monde a connu des amours impossibles, pas seulement les homosexuels. La culpabilité, beaucoup la connaissent, surtout les femmes lorsqu’elles sont élevées dans une famille quelque peu puritaine, où il est de bon ton d’arriver vierge au mariage, où il faut taire le désir naissant pour les hommes sous peine de se faire traiter de salope, où la découverte de son corps se fait aussi en bricolant à droite et à gauche. Quand au bonheur du déguisement, il fait partie de l’enfance… Toutes les petites filles ont à la fois chaussé les talons aiguilles de leur mère, mais aussi se sont dessinées des moustaches de suie sous le nez, histoire de voir quelle gueule elles pouvaient bien avoir, en garçon. Pourquoi les garçons n’essaierait-ils pas l’inverse ? Rien que pour voir ce que ça fait d’être un peu une fille ?

Finalement là la seule différence, la seule chose qui échappe à l’hétérosexuelle que je suis, c’est que pour moi, ce qui est attirant, c’est le corps de l’autre, le corps inconnu, celui qui révèle la féminité ou la virilité, selon qu’on est une femme ou un homme… Ceci dit, Billy-Boy éprouve de la curiosité pour le corps des femmes, même s’ils le laissent froid en dessous de la ceinture. Bref, ce qui est assez exceptionnel pour un roman « culture-gay », c’est qu’il n’est pas replié sur la seule différence… il concerne tout le monde, et c’est une lecture vivement conseillée pour tout ado – homo, bi ou hétéro - qui se découvre.

En outre, ce roman aborde aussi le thème de l’homosexualité féminine, car Billy-Boy a un alter-ego fille : sa cousine Lou, vrai garçon manquée… mais sur ce coup-là, le roman reste assez superficiel.

Mais, me direz-vous, un garçon qui se fringue en fille en cachette, qui est l’objet de moqueries, etc… c’est assez stéréotypé, non ? Peut-être… En tout cas, ce roman n’est en aucun cas caricatural. Je suis la première à détester les trucs style cage aux folles qui ne me font pas rire, les piailleries de Benoît et de Thomas de secret story qui n’ont aucun talent, sinon celui d’être des homos et d’en jouer de manière outrancière pour bien ancrer dans la tête des hétéros des mots comme « mate un peu ces tarlouzes ». (Mais on est sur TF1… Je préfère regarder France 2…. Laurent Ruquier, par exemple…. des gens qui ont un vrai talent professionnel).  Non, dans 50 façons de dire fabuleux, le travestissement est abordé de manière drôle et sensible… pas du tout grotesque : on est dans le jeu d’enfant, même si on sent qu’il y a derrière ce désir d’être fille, quelque chose de lourd et de douloureux à porter pour l’avenir… Le travestissement n’est guère ici, un spectacle grotesque et surfait destiné à faire rire les gogos dans les fêtes de fin d’année de lycée ou dans les repas de communion bien arrosés.   

Enfin, j’ai aussi envie de souligner le talent avec lequel Graeme Aitken brosse de portrait de la campagne néo-zléandaise : les préjugés, la lourdeur de l’atmosphère, la dureté physique et morale des travaux de ferme… là est la toile de fond d’un fabuleux roman, tout en finesse, qui n’est pas sans rappeler le magnifique film de Ang Lee, le secret de Brokeback Mountain.



29/04/2011
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