LECTURES VAGABONDES

    Aujourd’hui, nous allons revisiter un des romans les plus célèbres de la littérature française : Bel-Ami, écrit par Guy de Maupassant et paru en 1885. L’œuvre a fait l’objet de nombreuses adaptations cinématographiques mais pas seulement…. Pour les fans de Georges Duroy, une surprise vous attend à la fin de cet article.

            Geroges Duroy est un ancien sous-officier du 6ème régiment des hussards, désormais employé aux chemins de fer à Paris pour un salaire de misère. Alors qu’il déambule dans la ville sans savoir trop quoi faire, il tombe sur un ancien camarade d’armée : Charles Forestier ; ce dernier est rédacteur au journal La vie française. Il propose à Duroy de l’engager aux échos et pour l’introniser dans la grande famille du journal et lui propose de venir dîner le lendemain : le directeur du journal, Monsieur Walter, y sera. Au dîner, Georges fait bonne impression, surtout auprès de la femme du directeur du journal, Virginie Walter qui propose au jeune homme de tenir une rubrique dans les échos, rubrique inspirée de son expérience militaire en Algérie. Il est également remarqué par Clotilde de Marelle, amie de l’épouse de Charles Forestier. Le lendemain, sans inspiration aucune, Georges demande de l’aide à Forestier qui le dirige vers sa femme, Madeleine. C’est elle qui rédige l’article. Tout en creusant son trou au journal, Georges entame une liaison avec Clotilde de Marelle. Il tente aussi de séduire Madeleine – car il déteste de plus en plus Charles qui lui manque de respect - mais celle-ci le repousse et lui propose son amitié. Cependant, l’état de santé de Charles se dégrade et celui-ci se rend à Cannes, pour se reposer. Alors que la fin de son époux approche, Madeleine appelle Georges pour la soutenir. Après le décès de Charles, Georges propose à Madeleine de l’épouser ; elle accepte, en posant des conditions : elle veut rester libre et indépendante. Aussitôt, Madeleine invite son époux à anoblir son nom : Georges Duroy devient donc Georges du Roy de Cantel ; plus tard, il deviendra même baron. Pendant quelques temps, Georges se sépare de sa maîtresse, madame de Marelle… jusqu’au jour où notre désormais rédacteur politique à La vie française (place qu’occupait Charles avant de décéder) en a assez de supporter tous les quolibets inhérents à sa situation de successeur de Forestier dans le lit de Madeleine. Très vite, Georges commence à nourrir de la rancœur vis-à-vis de son épouse. Non content de reprendre madame de Marelle comme maîtresse, il séduit la femme du directeur du journal, madame Walter. Après quelques réticences, celle-ci se livre à lui car elle en est amoureuse depuis le jour où elle l’a rencontré, chez Madeleine Forestier. Bel-Ami (c’est le surnom que toutes ces dames ont donné à Georges d’après l’idée de Laurine, la fille de madame de Marelle) se lasse très vite de cette maîtresse encombrante et maladroite. Pour tenter de le garder comme amant, Virginie Walter lui révèle un délit d'initié orchestré par Laroche-Matthieu, le ministre des Affaires étrangères, et son mari : la France va coloniser le Maroc sous peu, alors que Du Roy vient de rencontrer le ministre qui lui a certifié le contraire. Monsieur Walter, ayant acheté auparavant une grande partie de la dette du Maroc, devient immensément riche, contrairement à Du Roy, qui n'a pas pu en profiter outre mesure à cause des réticences de Madeleine. Autre sujet de dissension au sein du couple, le comte de Vaudrec, grand ami de Madeleine, décède en lui laissant tout son bien. Jamais Georges ne saura s’il fut son amant mais par souci de son honneur, il décide de s’emparer de la moitié de l’héritage. Enfin, Georges a l’occasion de se rapprocher de Suzanne Walter, la jolie fille de son ancienne maîtresse et envisage de l’épouser ; mais il lui faut pour cela se débarrasser de Madeleine. Pour obtenir le divorce, il décide de surprendre sa femme avec son amant, le ministre Laroche-Matthieu. Le constat d’adultère lui permet non seulement de se séparer de sa femme mais aussi de provoquer la ruine de Laroche-Matthieu. Afin d’obtenir la main de Suzanne, Georges Du Roy l’enlève (avec sa complicité). Pour laver le déshonneur qui frappe alors la famille, monsieur Walter accorde à Du Roy la main de sa fille, malgré le refus de son épouse, folle de jalousie. Le roman se termine sur la cérémonie de mariage, avec une ouverture sur la suite de l’ascension de Du Roy : la chambre des députés lui semble être désormais à portée de main. Par ailleurs, Du Roy a à peine épousé Suzanne qu’il songe à reprendre madame de Marelle comme maîtresse. 

            Bel-Ami, on le sait, raconte l’ascension d’un arriviste doublé d’un opportuniste dans le milieu du journalisme. Pour parvenir, il utilise son charme qu’il sait efficace auprès des femmes. Pourtant, le portrait que dresse Maupassant de ce bellâtre est assez écœurant.

            Tout d’abord, il est égoïste et insensible. Il utilise les femmes pour parvenir sans se soucier du mal qu’il peut leur faire. Il paraît quelque peu épris de madame de Marelle, mais n’hésite pas à rompre avec elle lorsqu’il y a intérêt, puis à la reprendre par la suite, lorsqu’il pense qu’il peut le faire sans problème. La raison pour laquelle Bel-Ami semble si attaché à cette femme-là, c’est sans doute parce qu’elle est gaie et légère, mais aussi parce qu’elle affiche une certaine appétence pour la culture des milieux populaires, milieux dont Georges Duroy est issu (ses parents sont paysans en Normandie). Madeleine Forestier que Duroy épouse après la mort de Charles est mal traitée par notre héros qui lui doit une part de sa réussite puisqu’elle l’aide, tout d’abord, à rédiger ses articles, puis lui fait profiter de ses relations et de sa position dans le journal La vie française. Mais tous ces bienfaits dont Madeleine comble notre héros ne sont pas reconnus par ce dernier lorsqu’il s’agira de grimper encore davantage dans la société par le biais d’un autre mariage - avec la fille de madame Walter, Suzanne. Non content de s’attribuer une partie de l’héritage que Madeleine touche après la mort du comte de Vaudrec, Georges se débarrasse d’elle de manière écœurante et glaçante : tout en la trompant copieusement avec sa bonne amie madame de Marelle, il fait constater par un agent de police l’adultère de Madeleine, ce qui détruit en même temps la carrière du ministre Laroche-Matthieu, son amant. Enfin, la pauvre Virginie Walter fait aussi les frais de sa relation avec Duroy car elle est très éprise de notre homme. Lorsqu’il l’abandonne, la souffrance qu’elle éprouve l’amène au seuil de la folie.

            Mais ce comportement écœurant, Duroy l’adopte aussi vis-à-vis des hommes. En effet, il n’a aucune reconnaissance pour l’aide que lui a fournie Charles Forestier qui, dans le journal, lui est supérieur. Il tente de séduire sa femme, Madeleine, alors qu’il est encore vivant et peu après sa mort, il saute sur l’occasion pour l’épouser. Bref, l’ingratitude, c’est aussi ce qui caractérise Georges Duroy.

            Pour terminer ce splendide portrait, nous ajouterons que Georges Duroy est aussi particulièrement veule. Il ne rembourse jamais ses dettes, et lorsqu’il s’agit de défendre son honneur de journaliste lors d’un duel, il pète de trouille. Pourtant, il affiche en surface l’image d’un homme fier et honnête, mais en ce qui concerne Duroy, il ne faut pas se fier aux apparences : si notre héros est beau garçon, il est en réalité bien laid moralement parlant.

            Par ailleurs, le roman offre aussi une peinture acerbe du monde de la presse écrite et du journalisme. Cet univers entretient de nombreux liens avec les milieux politiques et en cela, le délit d’initié est monnaie courante. On se demande même parfois qui a le plus de pourvoir puisque Duroy parvient à faire tomber un ministre ! Cependant, ce milieu est assez médiocre et mesquin ; on y évolue dans un entre-soi où les ragots vont bon train ; les choses se règlent souvent pendant des dîners où régulièrement les mêmes personnes se retrouvent. 

            Enfin, le roman met aussi en avant l’importance des femmes dans la carrière des hommes, particulièrement de leur mari. Le cas de Madeleine Forestier est particulièrement éloquent. La jeune femme a une passion pour la formation des jeunes hommes. Elle a écrit les articles de Charles Forestier, a fait sa carrière et agit de la même façon avec Georges, ce qui fait beaucoup rire dans les coulisses du journal. Après son divorce d’avec Georges, elle lui trouvera un successeur, un jeune journaliste dont les articles ressemblent étrangement à ceux de Charles et de Georges. Bref, Madeleine est une maîtresse-femme, une femme dominatrice, raison pour laquelle Georges finira par lui en vouloir car notre héros ne supporte pas la domination féminine, même si elle se fait dans l’ombre. Face à Madeleine, d’autres portraits de femmes sont esquissés. On notera la sensuelle madame de Marelle, toujours gaie et légère, et l’hystérique madame Walter qui désobéit à ses principes religieux et moraux en cédant à Georges et en trompant son mari, ce qui la rendra folle, lorsqu’elle sera abandonnée par son amant.

            En ce qui concerne les femmes dans Bel-Ami, deux scènes sont particulièrement savoureuses. La première se situe au début du roman lors du dîner où Georges rencontrera en même temps les trois femmes qui toutes, deviendront ses maîtresses. La seconde relate également un dîner où les trois femmes sont de nouveau réunies autour de Duroy alors que toutes sont passées dans le lit de ce dernier.

            Ainsi, Bel-Ami est selon moi un incontournable de la littérature française. Tellement incontournable que de nombreux écrivains s’en sont librement inspirés dans leurs romans. Bientôt, nous retrouverons Duroy pour la suite de ses aventures, une suite qui, je l’espère sera enthousiasmante : en 2019, Harold Cobert a fait paraître aux éditions de l’Escale Belle-Amie, une suite plutôt appréciée, donnée au roman de Maupassant. A suivre, donc !