LECTURES VAGABONDES

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Géraldine Maillet : Presque top model/Topissime… ou presque…

 

          Voici un petit roman qui a l’air d’être tout droit sorti de la littérature « pour nous les filles ». On imagine une héroïne taille mannequin qui cherche l’amour dans les soirées « hype » du monde de la mode. Avec Presque top model qui paraît en 2006 aux éditions Flammarion, Géraldine Maillet déjoue nos attentes et nous livre un petit bijou satirique sur le monde de la mode.

 

          Le roman s’étire de septembre à février et nous fait partager pendant 5 mois le quotidien d’une petite agence de mannequins parisienne. A la tête de l’agence Miracle, il y a Fabienne Durant et ses deux bookeuses : Doms et Caro. La grande affaire, en septembre de cette année-là, c’est Maryvonne Kerbec, 1m78, 49 kg. La jeune fille est prometteuse, mais il faut la déniaiser un peu, selon Fabienne. D’un autre côté, le mannequin vedette de l’agence, Suzanna Heike, 1m78, 56 kg, a un petit coup de mou : elle a grossi et a tendance à sortir dans des soirées trop arrosées ; par ailleurs, les lignes de coke et le manque de sommeil laissent destraces sur son beau visage de poupée nordique.

Tandis que le monde de la mode (magazines, défilés, promotion publicitaire, soirées commerciales, ou endroits « must be ») s’arrache Maryvonne, Suzanna Heike est cruellement mise sur la touche et on l’envoie au Japon pour une campagne publicitaire de seconde zone. D’un autre côté, nous faisons connaissance avec Maryvonne Laudager, rédactrice au magazine Madame, magazine qui semble ringard pour le monde pointu de la mode. Elle rêve de devenir rédactrice au sien d’un magazine de type Vogue ou Elle. L’opportunité se présente et elle se lance dans la création d’un nouveau magazine intitulé Zut. L’affaire est délicate car il faut se faire une place en vue dans les soirées red carpet où les Lagerfeld et les Monica Bellucci défilent sans laisser la moindre place au visages inconnus. Sans arrêt au téléphone ou de sortie dans les endroits branchés des quatre coins de la planète, le monde de la mode ne s’arrête jamais, se nourrissant sans cesse des mêmes soirées et mêmes rendez-vous où seuls changent les personnes hier en vogue, aujourd’hui oubliées pour revenir en force, pourquoi pas, quelques temps plus tard. Dans cette constante fuite en avant, pas facile de s’arrêter, pas facile d’avoir une vie stable et de fonder quoique ce soit d’un peu solide lorsque les bases-mêmes de ce monde sont aussi friables.

 

           Sur une saison, Géraldine Maillet évoque le quotidien professionnel et privé de quelques jeunes femmes qui gravitent dans le monde de la mode… C’est suffisant pour faire le tour des problématiques de ce milieu superficiel et codifié, puisque chaque saison est un éternel recommencement : la fin du roman évoque l’approche de la saison automne-hiver avec, comme d’habitude et comme toujours, tout ce que celle-ci implique de défilés, de shooting, de rubriques dans les magazines de mode.

          Le roman est écrit dans un style vivant et vif. Il est composé presqu’exclusivement de dialogues voire de monologues puisque la plupart du temps, les personnages s’agitent derrière leur téléphone et sont capables de mener plusieurs conversations à la fois. Ce choix narratif donne au lecteur l’impression d’être emporté dans un tourbillon qui ne s’arrête jamais.

          De plus, le mélange de la fiction et du réel est amusant et ajoute une touche supplémentaire de piquant à la satire du monde de la mode que propose le roman. En effet, il me semble que Fabienne Durant, l’agence Miracle, Maryvonne Laudager ou encore la top model Maryvonne Kerbec, sortent tout droit de l’imagination de l’auteure, Géraldine Maillet. Cependant, les tribulations de ces personnages fictifs se déroulent aux côtés des Lagerfeld, Mademoiselle Agnès, Stéphane Marais et autres grands pontes de la mode – qu’ils soient créateurs, coiffeurs, maquilleurs… L’effet vérité est donc renforcé et on a l’impression d’être immergé dans la vraie vie des agences de mannequins.

          Bien évidemment, la satire du monde de la mode est attendue : les dialogues fourmillent des noms des grandes marques que chaque personne porte de la tête aux pieds et ces informations remplacent la description classique du personnage (son physique et son psychique). Décidément, les marques de vêtements et d’accessoires que porte tel ou tel personnage permet aux autres de le cataloguer, de le placer dans une catégorie, de le repérer. Ces considérations sont plus parlantes qu’un curriculum vitae. Comme on le dit fréquemment à propos du monde de la mode : le paraître remplace l’être.

          Paraître et ne pas être ! Voilà la devise du monde de la mode. Le mannequin Suzanna Heike en fera la cruelle expérience puisque pour quelques kilos de trop, elle est mise sur la touche. Et puis, la fin du roman se moque de manière assez caustique des tendances qui gouvernent les apparences des mannequins selon les époques :

 

« Comme des Garçons, Dior, Chanel, Balenciaga… Ils voulaient quoi déjà la saison dernière ?

Caro et Doms en chœur

  • Des blondes fragiles, un rien effrontées.
  • Et en l’an 2000 ?
  • Des brunes à la peau mate, sensuelles et rebelles.
  • En 1997 ?
  • Des tronches bizarres, presque moches
  • En 1993 ?
  • Des faméliques, élégamment défoncées.
  • En 1990 ?
  • Des femmes fatales. »

         

          Ainsi, j’ai vraiment apprécié ce roman sur la mode qui met le doigt là où ça fait mal. Il faut dire que Géraldine Maillet sait de quoi elle parle, puisqu’elle fut elle-même top model. Ce monde qui obéit à des codes bien particuliers, totalement différents de ceux qui régissent le monde courant dans lequel la majeure partie d’entre nous vivons, codes basés sur d’alambiqués mélanges de marques prestigieuses et d’endroits où il faut absolument se montrer, est un monde tout petit, tout fermé et qui entend bien le rester. Cet entre-soi n’exclue pas qu’il y ait des entrées et des sorties de figures et d’égéries : les entrantes sont celles qui « montent » et que tout le monde s’arrache à prix d’or ; les sortantes sont celles qu’on a trop vues ou qui ont fauté en entachant malencontreusement leur image.

           On se demande vraiment pourquoi Géraldine Maillet a voulu sauver la mannequin Suzanna Heike en le faisant revenir en odeur de sainteté à la fin du roman. Car superficiel et cruel, ce monde de la mode me semble laisser assez peu souvent une seconde chance à ceux qui ont été un jour rejetés. Cette douce happy end est le seul bémol qu’on peut mettre à cette satire du monde de la mode.



12/08/2019
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