LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Franck Thilliez : Vertige / Un vertige quelque peu gentillet.

         

                Quand Thilliez prend son lecteur par la main, bien souvent, il l’entraine dans un tourbillon vertigineux de mystères, d’aventures, de scènes macabres…  C’est pourquoi, avec un titre aussi prometteur, le lecteur s’empare du roman intitulé Vertige, paru en 2011 aux éditions du Fleuve Noir, persuadé qu’il va vivre un grand charivari. Qu’en est-il ? 

 

             Quelque part au fond d’un gouffre, trois hommes attendent la mort, prisonniers. Il s’agit de Jonathan Touvier (également narrateur du roman). Marié à Françoise qui attend une greffe osseuse sur son lit d’hôpital, il est le père d’une fille, Claire. Autrefois, il fut alpiniste et, avec son ami Max Beck – décédé lors d’une ascension dans l’Himalaya – il a parcouru l’univers montagnard planétaire. Il s’agit également de Michel Marquis, résident à Albertville. Marié à Emilie, son fils, Cédric, est mort d’une leucémie. A noter également : il travaille aux abattoirs. Enfin, il s’agit de Farid Houmad, vingt ans, originaire du Nord de la France. Il n’a pas de famille ; il est délinquant. Enfin, bizarrement, le chien de Jonathan, Pok, se trouve aussi dans cet enfer. Mais pourquoi ces hommes sont-ils là, ensemble ? Qu’ont-ils fait pour subir un tel châtiment ? Qui les a emprisonnés dans ce glacier ? Comment survivre dans ce froid polaire, sans nourriture ? En effet, pour corser le tout Jonathan est enchainé à la roche par le poignet, Farid, par la cheville ; quant à Michel, il porte un casque destiné à exploser s’il s’éloigne de plus de cinquante mètres de ses compagnons. C’est alors que commence la survie avec les maigres choses que nos trois compères ont trouvées dans le gouffre : quelques bouteilles de gaz, deux oranges, deux duvets… et un cadavre. Les trois hommes supposent qu’il s’agit de l’homme qui les a enlevés et que, désormais mort, il n’y a, pour eux, aucune chance de survie. Cependant, Jonathan finit par se résigner à tuer son chien dont la chair servira de nourriture et la fourrure, de vêtements. Entre colère, violence et complicité, les trois hommes commencent à rechercher la raison de leur présence ici-bas, ce qui les relie… C’est en parlant de sa femme, Françoise, atteinte de leucémie et en attente d’une greffe de moelle osseuse, que Michel découvre qu’il est le donneur, petit détail qui le relie à Jonathan. Afin de forcer la confidence, le très costaud Michel s’arrange pour neutraliser Jonathan et Farid – il déshabille entièrement ce dernier – en les immobilisant entre des pierres. Farid, gagné par le froid, avoue alors qu’il a été payé par un mystérieux individu afin de l’aider à descendre les différents effets présents dans le gouffre, puis les deux corps de ses compagnons plongés dans la léthargie. Avant de s’enfuir, cet individu a assommé Farid qui, ainsi, s’est retrouvé dans la même galère que les deux autres. Michel laisse donc mourir de froid le jeune beur et Jonathan ne peut rien pour le sauver. Peu après, Jonathan confie son histoire : amoureux de Françoise, alors épouse de son meilleur compagnon d’alpinisme Max Beck, il se serait débarrassé de cet encombrant mari lors d’une ascension dans l’Himalaya, profitant d’une chute de ce dernier. Par la suite, il a épousé Françoise et a eu, avec elle, une fille, Claire ; mais sans aucun doute, c’est Max qui en est le père. Toute sa vie, il a parlé d’accident pour justifier la mort de Max… Cependant, la découverte d’un mannequin en latex en tout point ressemblant à Claire, va bouleverser la donne. En effet, à l’intérieur de la créature en caoutchouc, les deux hommes découvrent un code destiné à les aider à ouvrir un petit coffre en acier trouvé dans le gouffre ; à l’intérieur se trouve une hache. Ni une ni deux : la hache va aider nos deux compères à déconnecter le casque à explosif qui se situe sur la tête de Michel. Pour ce faire, il faut détruire les émetteurs : l’un se situe sur le fer présent autour de la cheville de Farid que Michel démembre illico ; l’autre se situe à l’intérieur de la menotte située au poignet de Jonathan. Pour le désamorcer, il faut trancher la main… Un, deux, trois… On y va ! Et… Jonathan se réveille dans la chambre d’un hôpital psychiatrique situé à Metz. Dès lors, il est pris en main par a police qui l’accuse de cannibalisme et d’assassinat. Tandis que notre héros continue avec entêtement à raconter sa version de l’histoire, c’est un tout autre scénario qui affleure désormais. En pleine bouffée délirante aigüe, notre homme aurait pris un bunker caché dans les bois pour un gouffre, aurait tué et dépecé son chien et assassiné le donneur de moelle osseuse qui aurait sauvé Françoise, son épouse, d’une mort certaine (et effectivement, Françoise vient de mourir au moment où Jonathan s’éveille car elle n’a pu bénéficier de la greffe), l’empêchant par-là de récupérer sa coquette assurance-vie. De son côté, Jonathan reste persuadé que c’est Max qui a manigancé toute cette affaire : son mobile ? Se venger parce que Jonathan lui a ravi son épouse, Françoise.

 

          Avec Vertige, Franck Thilliez signe un thriller plutôt sympathique mais sans doute pas le meilleur de l’auteur. En effet, si l’écrivain ne figure pas encore sur ce blog, je le connais bien pour avoir lu beaucoup de ses œuvres et le considère comme un des maîtres actuels du roman noir.  

          Certes, Vertige semble assez largement s’inspirer du film Saw1 dans lequel deux hommes qui ne se connaissent pas sont rivés l’un à l’autre. Peu à peu, ils découvrent çà et là des éléments qui leur permettent d’éclaircir le mystère de leur présence dans ces lieux très peu avenants. De la même manière, Jonathan et ses deux compagnons de galère, peu à peu, se confient les uns aux autres et découvrent ce qui les rapproche. Par ailleurs, pour pouvoir s’échapper de cet antre infernal, il faut se mutiler (main ou pied) : on se souvient que dans Saw1, l’un des deux hommes a dû se couper le pied pour se délivrer.  

          Par ailleurs, le roman déploie lentement une intrigue assez trouble. Le narrateur, Jonathan Touvier, un ancien alpiniste, raconte surtout l’enfermement qu’il subit, dans des conditions extrêmes : le froid, la faim, la soif ; comment lutter ? comment trouver des expédients ? Et puis, la vie en commun, rivé à deux inconnus, n’est pas une partie de plaisir. Entre nos trois compères, l’ambiance est parfois explosive : disputes, bagarres mais aussi moments de complicité.

         Cependant, si l’intrigue de Vertige est assez alambiquée, pleine d’énormités incompréhensibles, je dois bien avouer qu’on s’y laisse prendre, qu’on s’y laisse embarquer en toute crédulité. Et plus on avance dans le roman, plus Thilliez nous fait avaler toutes sortes de couleuvres. Par exemple, on ne se demande pas s’il est possible que Max Beck, après s’être fracassé le corps du haut d’une montagne, soit encore vivant, mais par quel miracle il se peut qu’il soit vivant, qu’il ait vécu dans l’ombre pendant des années et qu’il ressurgisse soudainement pour se venger. A ce miracle, on croit. Et Franck Thilliez a dû bien s’amuser lorsque, dans le dénouement, il nous propose la solution à toute cette extraordinaire histoire ; une solution qui n’a rien d’extraordinaire ; une solution bien terre à terre, à la limite de la facilité : Jonathan Touvier a été victime d’une bouffée délirante aigüe (BDA). Et c’est en découvrant cette solution aussi surprenante qu’inattendue que le lecteur revisite toute l’intrigue à rebours et prend conscience des énormités qu’il a gobées. Bref, Franck Thilliez plonge le lecteur en pleine BDA… A lire trop de Thilliez, finalement, on risquerait bien de finir à l’hôpital psychiatrique ! Surtout lorsqu’on cherche à éclaircir le mystère de la présence d’une poupée en latex en tous points semblable à Claire - la fille de Jonathan – et prisonnière d’une gangue de glace ! Thilliez, sur ce coup-là, y va un peu fort dans le Grand-Guignol ! Mais cette hallucination n’a plus rien d’inexplicable si on songe à la BDA et à ses manifestations.

          Certes, en lisant le roman, le lecteur se rend compte qu’il y a, là-dedans, des choses bien mystérieuses. Cependant, comme tout est raconté par Jonathan Touvier, le narrateur « je », que tout est appréhendé à travers le prisme limité de sa conscience, le lecteur accepte de partager la consternation du personnage et avec lui, il met toute sa volonté à éclaircir tous les mystères, à leur trouver une solution rationnelle ; il faut dire que Thilliez nous a habitués, depuis belle lurette, aux intrigues machiavéliques et tortueuses !

          Pourtant, à la fin du roman, Thilliez ose un ultime rebondissement destiné à faire croire au lecteur que, peut-être, Jonathan Touvier n’est pas fou… Il détient la photo polaroïd sur laquelle il figure, en compagne de Farid et de Michel. Cette photo, elle a été prise lorsqu’ils étaient tous trois prisonniers du glacier. Par ailleurs, Jonathan, alors qu’il sort de sept longues années d’internement dans un hôpital psychiatrique, croit encore dur comme fer à la survie de Max, revenu se venger sept ans auparavant.

          Mais je dois bien avouer que ce dernier rebondissement ne m’a donné le vertige. Tel est pris qui croyait prendre, monsieur Thilliez !  



19/03/2023
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