LECTURES VAGABONDES

Après Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose, Eric-Emmanuel Schmitt poursuit et décline le thème de la rencontre entre diverses religions avec L’enfant de Noë, court roman paru en 2004 aux éditions Albin Michel.

Joseph a sept ans en 1942 ; il est juif et sa famille n’échappe pas à la peur d’une arrestation par les nazis. Ses parents le placent donc d’abord chez la comtesse Sully, pour le protéger… Mais les menaces sont lourdes. Très vite, le jeune garçon se trouve pris en charge par le père Pons, un prêtre qui protège des orphelins : parmi eux, bien évidemment, de nombreux petits juifs. Auprès de ce dernier, Joseph découvre l’amour pour l’église et la religion catholique. Cependant, il surprend bien vite le secret du père Pons. Dans la crypte d’une vieille chapelle désaffectée, le prêtre cache textes et objets liés à la religion juive. Dès lors, l’enfant va apprendre les valeurs et les points communs de ces deux religions qu’il connaît mal.

Certes, le thème de la rencontre entre deux êtres humains que la religion sépare et que l’amour réunit n’est pas nouveau : on pense au magnifique roman de Romain Gary : La vie devant soi, splendide histoire d’amour entre une vieille juive et un jeune musulman. L’enfant de Noë est loin d’être aussi bouleversant. Pourquoi ?

Sans doute Eric-Emmanuel Schmitt a-t-il voulu faire passer un message de paix et de tolérance à travers ce roman et cette volonté, trop appuyée, nuit au roman. On a du mal à s’attacher à des personnages qui, bien plus que des êtres humains, paraissent être des emblèmes religieux, on a du mal à se passionner pour l’histoire qui n’est que prétexte à une leçon qu’on comprend très vite. Bref, l’ensemble paraît beaucoup trop didactique et c’est bien dommage en vérité.

Reste un roman assez plaisant à lire, pétri de bons sentiments…. Le genre de truc qu’il convient parfaitement de lire aux enfants le soir de Noël. C’est ainsi qu’on leur apprendra la valeur symbolique d’un personnage un peu oublié de la Bible : Noë. Car il y a bien une superposition entre le père Pons et Noë, sauveur de l’humanité, au moment où le prêtre protège la petite communauté juive en la dissimulant dans la crypte qui s’apparente alors à l’arche qui sauva l’humanité du déluge. Ainsi, Schmitt semble-t-il faire du patriarche l’initiateur d’une nouvelle religion pacifiée, religion qui ressemble fortement au déisme du siècle des lumières : un seul dieu pour tous les hommes… Fi des religions qui génèrent la haine et la guerre… Il ne veut garder d’elles que les messages de paix, d’amour et de respect qu’elles contiennent.

On pourra expliquer aussi aux enfants qui était Ponce Pilate et Joseph, car il est bien évident que les noms des personnages (l’enfant Joseph, le père Pons) n’ont pas été choisi au hasard. Ils font se croiser et se rencontrer les diverses religions : ainsi a-t-on en filigrane l’enfant juif qui porte le nom du père de Jésus et le prêtre catholique qui porte celui de l’homme qui livra le messie aux juifs : Ponce Pilate se trouve ainsi réhabilité par Schmitt (qui lui a d’ailleurs consacré un roman) puisqu’ici, il sauve les juifs du martyre.

Bien des années plus tard, lorsque tout le monde s’est bien retrouvé pour un happy-end fort émouvant, Joseph se trouve confronté au conflit israélo-palestinien : symboliquement, il se met à collectionner, comme le père Pons le faisait pour les objets juifs au moment de la poussée antisémite en Europe, des symboles issus des deux religions : le juive et la musulmane ; il est le nouveau Noë : ohé ohé !

Bref, un bien joli message, une manière originale de revisiter les religions pour en tirer le meilleur… Mais bonjour les gros sabots qu’on met sous le sapin !

Alors, à Noël, on n’oublie pas de glisser dans ceux des enfants ce bouquin de Schmitt… Un peu de poudre de perlimpinpin qui convient tout à fait à l’esprit de cette fête.