LECTURES VAGABONDES

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Philippe Besson : un homme accidentel / boum ou badaboum ?


Peut-on devenir homosexuel par accident ? C'est la question que pose ce joli roman de Philippe Besson, un homme accidentel, paru en 2007 chez Julliard. Il est vrai qu'on a tendance à se croire figé dans une certaine orientation sexuelle définie très tôt dans l'enfance ; la thèse de la découverte d'une autre sexualité par accident est souvent rejetée des uns et des autres.  En tous cas, ce roman tente – sans y parvenir - de bouleverser les idées reçues en ce qui concerne les frontières soi-disant étanches entre hétérosexualité et homosexualité.

Le narrateur est un flic sans histoire, marié à Laura qui attend un enfant de lui. Nous sommes à Los Angeles, au début des années 90, dans les beaux quartiers sans histoires. Sans histoires ? Voici qu'un jeune prostitué, Billy Greenfield est assassiné : son corps est retrouvé dans un jardin public de Beverly Hills. Le narrateur et son acolyte, McGill sont chargés de l'enquête. Dans un carnet de Billy, on retrouve l'adresse d'une star : Jack Bell. Interrogatoire oblige… Rencontre assez fulgurante. Très vite, le narrateur et Jack Bell tombent amoureux l'un de l'autre. Liaison tourmentée et courte : Jack avoue qu'il a tué Billy, devenu envahissant. Le narrateur garde le silence, jusqu'au moment où de riches résidents reviennent de vacances et retrouvent sur la caméra-vidéo de surveillance la preuve de la culpabilité de Jack. Le narrateur est désespéré : il trahit sa mission en informant le meurtrier de sa prochaine inculpation. Jack se suicide, laissant le narrateur accablé, ruiné quant à sa vie sentimentale.

Un homme accidentel, c'est l'histoire d'une rencontre amoureuse imprévisible (la plupart le sont) entre deux hommes que tout sépare : l'un est une star plus ou moins homosexuelle, l'autre est un simple flic hétérosexuel… Qui aurait pu imaginer qu'une flamboyante passion unirait pour quelques mois ces deux hommes ?

Le roman prend le parti de se pencher uniquement sur les deux mots du titre, laissant tout le reste dans le flou ; on ne sait pas si Jack est réellement homosexuel : il a eu des petites amies. Quant au narrateur, il est ouvertement hétérosexuel et n'explique pas vraiment ce brutal changement de bord qui apparaît alors comme un accident, quelque chose d'imprévisible. Certes, dans son enfance, il a subi quelques attouchements plutôt anodins de la part de l'épicier, monsieur Jansen, mais rien qui ne puisse vraiment expliquer cette homosexualité qui surgit d'un seul coup dans sa vie. Car bien plus que l'homosexualité, c'est l'amour et son côté inexplicable que Philippe Besson a voulu cerner.

J'ai également apprécié la construction du roman, construction à postériori : quand le narrateur commence à raconter, tout est déjà fini. Ainsi, Philippe Besson peut-il se permettre de prendre un certain recul par rapport aux événements, et par endroits, également, prendre de l'avance sur ceux-ci, ce qui génère un certain suspense : par exemple, le lecteur sait dès le départ que Jack est parti, il a envie de savoir comment.

Par ailleurs, Philippe Besson sait toucher le lecteur lorsqu'il parle d'amour ou de la douleur de la perte de celui qu'on aime. Cependant, je pense que Philippe Besson a quand même raté de coche concernant la question du bouleversement des idées reçues sur l'homosexualité.

Il est clair que la conversion subite et imprévisible de l'hétérosexuel (elle) à l'homosexualité est un fantasme, voire un vœu pieux des homosexuels (elles), tout comme l'inverse peut également l'être. La chose est sans doute possible, exceptionnellement ; elle me parait assez rare. Et si elle se produit, elle doit forcément provoquer un séisme total dans la tête de celui qui se sent tomber amoureux d'un être du même sexe – ou du sexe opposé, dans l'autre sens. Surtout s'il est, comme dans le roman, en passe de fonder une famille, s'il aime sa femme. Ici, rien de tout ça. La passion est ravageuse et Laura, dès lors que le narrateur rencontre Jack, n'existe plus. Notre héros se laisse emporter par la passion sans état d'âme, naturellement, comme s'il avait eu des rapports homosexuels toute sa vie ! C'est peu crédible… On attendait donc une prise en compte réelle de tous les paramètres mis en place au début du roman : une famille qu'on met en péril, une carrière plutôt satisfaisante qu'on met en péril, un amour qui ne débouche que sur des problèmes, la découverte d'une sexualité perturbante… Aucune de ces questions n'est posée par le roman qui échoue à bouleverser les idées reçues en proposant une histoire d'amour joliment racontée, certes, mais absolument pas crédible.

Ainsi, Philippe Besson, lui-même clairement et évidemment homosexuel, est en contradiction profonde avec son projet de départ. Il ne sait qu'écrire l'homosexualité claire et nette, l'homosexualité qui ne se pose pas, ou plus, de question sur l'évidence de la chose. Le flou ne lui convient pas. Explorer la frontière entre les deux nécessite peut-être qu'on soit soi-même un peu ambivalent ! Ou qu'on fasse l'effort de l'être ! Si je devais un jour, tomber amoureuse d'une femme, quel séisme dans ma tête ! Je crois que c'est ce bien évident séisme que le roman aurait dû aborder… c'était d'ailleurs l'intérêt de la thématique, mais Philippe Besson est totalement passé à côté et son roman ajoute à la littérature une simple histoire d'amour sans réel questionnement, une histoire d'amour banale, comme il en existe tant.

Ainsi, bravo pour cette belle histoire d'amour qui fait boum-boum dans les cœurs ; dommage qu'elle soit si peu crédible : badaboum !



16/02/2013
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