LECTURES VAGABONDES

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Emmanuel Carrère : Le royaume/Voyage spirituel

     

          Est-ce ce périple aux confins de ce pays tellement empreint de spiritualité – l’Inde – qui m’a poussée à ouvrir ce roman éminemment aride, consacré aux débuts du christianisme ? Certes, les critiques tressent des louanges à Emmanuel Carrère, en général, mais moi, simple lectrice avide d’histoires bien racontées, que vais-je bien pouvoir dire à propos de ce livre qui ressemble plus à de l’exégèse qu’à un roman traditionnel ? Auparavant, penchons-nous sur le résumé de cette œuvre iconoclaste intitulée Le royaume, écrite par Emmanuel Carrère et parue en 2014 aux éditions P.O.L

 

          Emmanuel Carrère se souvient qu’en 1990, il avait été touché par la foi. Cet état a duré trois années et l’a tiré d’une sombre dépression. Par ailleurs, il est entouré par de fervents chrétiens : sa marraine, Jacqueline, son ami Hervé avec lequel il part faire des randonnées en montagne. C’est pour toutes ces raisons, alors qu’il est redevenu l’agnostique qu’il était, qu’il entreprend de se pencher sur les débuts du christianisme en enquêteur, en historien, avec cette question : comment, à une époque où la religion juive est omnipotente en Palestine, à une époque où les faux prophètes foisonnent, comment, donc, l’établissement d’une religion aussi mystique que le christianisme a-t-il été possible ? Pour ce faire, il se penche sur les destins de Paul, ce fanatique juif qui n’avait de cesse de dénoncer les chrétiens et qui fut frappé par la foi sur le chemin de Damas, sur celui de Luc, ce médecin lettré, de langue et de culture grecques qui, au contact de Paul, est devenu chrétien et auteur d’un évangile. Enfin, il s’intéresse également au plus obscur des apôtres : Jean, l’évangéliste qui annonce l’apocalypse pour demain. Paul de Tarse est l’auteur de nombreuses lettres – aux Corinthiens, aux Romains, aux Ephésiens, aux Thessaloniciens… - qui ont fondé les bases de la théologie chrétienne, notamment l’interdiction de la circoncision. Il est celui qui a permis l’expansion de la religion chrétienne car il n’a cessé de prêcher aux quatre coins du monde avant d’être fait prisonnier à Césarée, puis à Rome. Luc, quant à lui, apporte un éclairage plus historique sur la vie de Jésus : il s’intéresse à l’existence quotidienne des petites gens au début du premier siècle. Pour résumer rapidement les apports contrastés de ces deux hommes au christianisme, je cite Emmanuel Carrère : « Vies minuscules contre théologie majuscule, Paul était un génie, planant très loin au-dessus du commun des mortels, Luc, un simple chroniqueur qui n’a jamais cherché à s’exempter du lot». Vient ensuite, en 68, la guerre des juifs – ils se soulèvent contre l’administrateur romain – qui se solde par le sac de Jérusalem en 70 et la destruction du Temple. C’est dans cette période noire d’anéantissement que Jean écrit son fameux évangile prédisant l’apocalypse et le jugement dernier. C’est alors aussi que le christianisme change de peau : « Jusqu’en 70, les colonnes de leur église, c’étaient Jacques, Pierre, Jean, de bons Juifs bien judaïsant. Paul n’était qu’un trublion déviationniste dont personne depuis sa mort ne parlait plus. Après 70, tout change : l’église de Jacques se perd dans les sables, celle de Jean se transforme en en secte d’ésotéristes paranoïaques, les temps sont mûrs pour Paul et son église déjudaïsée. Paul lui-même n’est plus là mais il lui reste des partisans dispersés de par le monde. Luc est un de ces cadres du paulinisme. » A l’époque de Luc, s’écrit un autre évangile destiné aux chrétiens d’Orient : Matthieu en serait l’auteur, mais il semblerait que l’œuvre soit plutôt celle d’une communauté. En tout cas, c’est cet évangile qui est le plus apprécié par l’église actuelle. Après avoir été malmené, le christianisme va s’imposer à partir de Constantin, l’empereur converti. Je laisse le mot de conclusion à Emmanuel Carrère : « Le christianisme était un organisme vivant (…) Jésus était la petite enfance de cet organisme, Paul et l’Eglise des premiers siècles, son adolescence rebelle et passionnée. Avec la conversion de Constantin commence la longue histoire de la chrétienté en Occident, soit une vie adulte et une carrière professionnelle faite de lourdes responsabilités, de grandes réussites, de pouvoirs immenses, de compromissions et de fautes qui font honte. Les Lumières et la modernité sonnent l’heure de la retraite. L’Eglise n’est plus aux affaires, elle a de toute évidence fait son temps. »

 

          Avec Le royaume, Emmanuel Carrère signe une œuvre minutieusement documentée sur les débuts du christianisme. Il se penche sur les principaux acteurs qui ont permis à la religion chrétienne d’exister. Pour ce faire, il tente de brosser leurs différents portraits, en se basant sur ce qu’ils ont écrit et leur approche du monde, sur ce qu’on sait d’eux mais aussi sur ce qu’il imagine d’eux. Certes, l’œuvre est parfois aride, peu accessible au lecteur lambda, mais j’ai fini par me prendre au jeu de ce dialogue entre un intellectuel - quelque peu iconoclaste – du XXIème siècle, les pères fondateurs du christianisme, et le monde du 1er siècle après Jésus-Christ.

          Tel Ernest Renan, Emmanuel Carrère, en bon esprit cartésien, tente de faire la part de ce qui est avéré et de ce qui rentre dans le cadre de la légende ou de la foi. Ainsi interroge-t-il aussi la personne de Jésus. Est-il né d’une vierge ? Et les miracles ? A-t-il connu des femmes ? Avait-il des frères et sœurs ? Le destin des apôtres n’est pas oublié : qui étaient-ils ? Quelles relations entretenaient-ils avec Jésus ?

          Par ailleurs, l’auteur nous propose aussi le portrait de l’homme qu’il est dans son rapport avec la religion. Agnostique, certes, puisque la dernière phrase du Royaume, c’est : « Je ne sais pas ». Il n’en entretient pas moins un rapport passionné avec la religion. N’oublions pas que la religion l’a sauvé de la dépression, qu’il se livre, à ses heures perdues, à des commentaires des évangiles, surtout celui de Luc.

          Ainsi, avec Le Royaume, Emmanuel Carrère signe une œuvre originale et sincère dans sa démarche d’enquêteur et d’historien. Il nous ouvre les portes du royaume de Dieu, à sa façon qui n’a rien de céleste, puisque c’est sur terre, au 1er siècle après Jésus-Christ  qu’il a vu le jour.



24/10/2021
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