LECTURES VAGABONDES

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Emile Zola : L’assommoir / Le génie de Zola nous met tous K.O !

 

                En cette période de fin d’année où l’alcool festif coule à flots, on se demande néanmoins s’il n’est pas plus enivrant de se plonger dans la lecture de ce chef d’œuvre d’Emile Zola : L’assommoir (paru en 1876) que de s’enfiler 36 coupes de champagne qui finissent par écœurer les papilles. En effet, des lectures de cet acabit, on en redemande sans jamais en être rassasié.

 

                Nous sommes à Paris, dans le quartier ouvrier de la Goutte d’Or, sous le second empire. Lantier vient d’abandonner Gervaise. Sans argent, seule avec ses deux enfants - Etienne et Claude - la jeune femme n’a que son courage et sa détermination pour survivre. Elle gagne sa vie comme ouvrière dans une blanchisserie. Un jeune couvreur, Coupeau, a le béguin pour elle et l’épouse. Le couple travaille dur et bientôt, Gervaise voit son rêve devenir possible : elle envisage de s’établir à son compte et d’ouvrir sa propre blanchisserie. Mais l’affaire est compromise par un accident regrettable : Coupeau fait une chute et se casse la jambe. Gervaise décide de le soigner en sacrifiant ses économies. C’est grâce à un ami, le forgeron Goujet, secrètement amoureux de la jeune femme, qu’elle trouve les ressources financières pour louer un local et ouvrir sa blanchisserie. Cependant, Coupeau prend goût à la paresse…. et à l’alcool. L’argent, c’est Gervaise toute seule qui le gagne, alors que l’alcoolisme de Coupeau grève de plus en plus sévèrement le budget du couple. C’est alors que Lantier revient traîner dans le quartier, se lie d’amitié avec Coupeau et s’installe dans une chambre de l’appartement du couple. Les deux hommes finissent de croquer la boutique de Gervaise qui, découragée, se laisser, elle aussi, aller : son travail est désormais bâclé, les ragots sur la malpropreté de ce ménage à trois vont bon train : Gervaise perd sa clientèle et doit bientôt déposer le bilan. Lantier quitte le couple et s’installe avec Virginie Poisson qui a repris la boutique de Gervaise pour y ouvrir une confiserie. Bien évidemment, le parasite s’emploie à croquer l’argent du couple Poisson comme il a croqué celui des Coupeau. De leur côté, Gervaise et Coupeau vont à la dérive. Coupeau meurt à l’hôpital, tué par l’alcool et Gervaise, désormais elle aussi alcoolique, ne tarde pas à le suivre.

 

                Le roman s’ouvre et se ferme quasiment sur deux images qui se superposent : en ouverture du roman, les ouvriers du quartier de la Goutte d’Or partent au travail de bon matin et Zola s’emploie à décrire longuement, dans l’anonymat indifférent de la masse, ce flot d’êtres désespérés de fatigue et de pauvreté qui part s’abrutir dans des travaux mal payés qui les épuisent. De la même manière, le roman se termine par l’évocation de ce même peuple parisien qui revient du travail, au soir, dans les mêmes dispositions qu’au début. Entre deux, focus sur le destin misérable d’une de ces petites fourmis dont l’existence n’importe à personne, qui se bat pour trouver une place décente dans ce grand battage humain du quartier de la Goutte d’Or ; cette petite fourmi, c’est Gervaise Macquart. Le résumé que je propose plus haut met bien en lumière ses espoirs, ses combats, sa déchéance finale. De manière plus générale, autour de Gervaise gravite toute une société ouvrière haute en couleur que Zola dépeint avec brio et énergie.

 

                Tout d’abord, il y a Coupeau, le mari de Gervaise : il est le prototype de l’ouvrier blagueur et bon enfant. Au départ courageux et franc, il a tout pour apporter le bonheur à une femme de sa condition. Mais un accident va briser ces belles promesses. Coupeau se laisse dorloter, entretenir et  se met à boire. Au départ, les ivresses de Coupeau sont plutôt bon enfant : avec ses camarades Bibi-La-Grillade, Mes Bottes, Bec-Salé, il se saoule dans les tournées de l’assommoir du père Colombe. Et puis, les beuveries deviennent de plus en plus fréquentes, de plus en plus sévères. Bref, Coupeau illustre le proverbe qui dit que « la paresse est la mère de tous les vices » et on est finalement écœuré par ce personnage faible, vulgaire, et égoïste.

 

                Lantier est le premier amant de Gervaise et le père de ses deux premiers enfants : Etienne et Claude. C’est le prototype du parasite, fainéant et vicieux. Beau gosse, il vit aux crochets de ses maîtresses. Lorsqu’il découvre que Gervaise mène une vie plutôt prospère, il revient dans son existence, dans sa maison, dans son lit. Lorsque le ménage est à sec, il s’emploie à sucer les ressources de Virginie Poisson, sa nouvelle maîtresse. Défenseur des ouvriers en paroles, il évite soigneusement de travailler et se comporte comme un rentier paresseux car il trouve toujours un ménage à exploiter.

 

                Il est vrai qu’avec ces deux gogos pour partenaires, Gervaise n’est pas aidée ! Elle est comme l’oie grasse qu’elle offre à sa fête : les gens du quartier invités à la noce se bâfrent, dévorent la bestiole, se régalent de sa chair savoureuse jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les os. Pourtant, il y a un ouvrier qui aurait vraiment pu rendre Gervaise heureuse : c’est Goujet, le forgeron. Timide, peu bavard, Goujet aime sincèrement Gervaise. Il est courageux, honnête, économe. La jeune femme est elle aussi, secrètement amoureuse de Goujet. Mais leur amour restera platonique et pur, car Gervaise se sent salie par Coupeau et Lantier, indigne de devenir la femme de Goujet.

 

                Parlons un peu de Gervaise. Certes, la pauvre femme est la victime de deux hommes : son mari, Coupeau, et son amant, Lantier, et d’une femme qui veut sa ruine : Virginie Poisson, l’envieuse et la rancunière  qui n’a jamais pardonné à Gervaise l’humiliation qu’elle lui a infligée au lavoir, au début du roman. Mais Zola ne fait pourtant pas de son héroïne seulement une victime, car Gervaise a sa part de responsabilité dans sa déchéance. Découragée et écœurée par cette bataille perdue d’avance qu’est la vie avec un alcoolique et un parasite qui vit sur le dos des femmes, elle se laisse aller à la paresse, baisse les bras, se laisse bouffer sans se battre. La faiblesse est donc également responsable de la déchéance de la jeune femme ; Gervaise est finalement une fausse battante et dans son caractère, il y a aussi le germe de sa perte.  

 

                Avec ces quelques personnages emblématiques et tous les personnages secondaires, Zola brosse donc un tableau nuancé du monde ouvrier parisien sous le second empire. Courageux, fainéants, vulgaires, admirables, héroïques, bourreaux ou victimes, les ouvriers sont néanmoins pris dans l’enclume d’un travail sous payé, exténuant, désespérant et dans le quartier de la Goutte d’Or se dressent des lieux emblématiques : ainsi, Gervaise n’a-t-elle comme horizon, au début du roman, que l’hôpital Lariboisière dans lequel Coupeau terminera sa vie d’alcoolique, l’abattoir où on exécute les pauvres bêtes qu’on a fini d’exploiter. Et puis, il y a la grande maison d’ouvrier : grise, sombre, les ouvriers s’entassent dans les appartements de différents standing qui composent cette immense ruche sans âme. Enfin, reste l’assommoir du père Colombe et de fameux alambic qui distille le casse- pattes qui permet aux ouvriers de s’étourdir, d’oublier la dureté d’une vie sans lumière… et qui finalement cause leur perte.

 

                Enfin, je terminerai par ce qui fait la particularité si savoureuse de L’assommoir : l’écriture. Zola a rédigé son roman avec le parler populaire des ouvriers parisiens et ce choix d’écriture donne à l’ensemble une force incomparable. Certes, l’écriture de Zola est toujours puissante et saisissante, mais ici, on se dit que la plume de l’écrivain est enragée, se laisse aller à une violence qui prend les tripes pour un ensemble haut en couleur et bien vivant et l’emploi du discours indirect libre que Zola utilise fréquemment y est pour beaucoup.

 

                « Il pleuvait du piqueton, quoi ! Un piqueton qui avait d’abord un goût de vieux tonneau, mais auquel on s’habituait joliment,  à ce point qu’il finissait par sentir la noisette. Ah ! Dieu de Dieu ! Les jésuites avaient beau dire ! Le jus de la treille était tout de même une fameuse invention ! »

 

Allons donc, maintenant que vous avez eu le courage de lire cet article jusqu’au bout, je vous laisse sacrifier au fameux piqueton des fêtes de fin d’année ! Santé à vous !

              



28/03/2014
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