LECTURES VAGABONDES

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Eliette Abécassis : clandestin : lecture pascale/enquête clandestine…


Nous voici donc en pleines fêtes de Pâques avec ce livre – Clandestin    écrit par Eliette Abécassis  et paru aux éditions Albin Michel en 2003. Pourtant, ce qui m’a séduite, ce n’est guère l’aspect religieux qui n’apparaît dans le roman que de manière clandestine, mais bien plutôt cette seule phrase inscrite en quatrième de couverture : « Alors il s’est dit qu’il avait jusqu’au bout du quai pour la séduire.», phrase qui m’a prise par mon côté fleur bleue : « une histoire d’amour qui défie l’espace et le temps, et autres hymnes à l’amour, voilà de quoi me ravir !» me suis-je dit.

Pourtant, ce roman très court dépasse de beaucoup la simple histoire d’amour guimauve qui de toutes manières m’aurait bien vite insupportée et la complexité de cette œuvre est véritablement étonnante même si, parfois, un peu gauche.

Quelques mots de l’histoire. Un homme, une femme, dans un train. Attirés l’un vers l’autre. Lui est un sans-papier, il a rendez-vous à minuit avec un passeur. Elle, est encore étudiante, mais elle effectue des stages ; sa mission : traquer et débarrasser le pays des clandestins. Sur le quai, l’homme risque d’être arrêté par la police. Alors, elle lui prend le bras et décide de l’aider à s’échapper.

Bien évidemment, le thème de base du roman est le dilemme qui se pose aux personnages : choisir entre l’amour ou le devoir et l’intérêt. Lui, il a intérêt à la séduire pour échapper à la police, pourtant, jamais il ne pense à cet aspect des choses lorsqu’il est près d’elle : pour lui, c’est sûr, l’amour est plus fort que tout. Elle, elle devrait laisser tomber ce sans-papier qui l’attire : son métier, l’homme qui partage déjà sa vie… tout ça fait corps contre l’amour qu’elle ressent pour l’inconnu : sur le quai, elle hésite parfois.

« On se plaît à fuir la vie, les questions de la vie, les problèmes, et surtout, on passe son temps à fuir le bonheur de vivre. Quels que soient les aléas de la vie, il y a le bonheur, il ne faut pas le manquer quand on sent qu’il frappe à sa porte, et cela, on le sent dès le premier regard.

Mais si elle quittait son ami, que lui resterait-il dans la vie ? Heureusement, il y avait son métier… oui, au moins, il lui resterait cela. »

Sur cette trame viennent se greffer de nombreuses allusions, clins d’œil, jeux d’échos qui vont venir densifier et problématiser le roman… et c’est là que réside son intérêt.

Tout d’abord, l’œuvre ne se résume pas à ce qui se passe sur le quai : les personnages ont un passé : lui, il a fui un camp de réfugiés et dans la description qui en est faite, on pense à la fois forcément à Sangatte (la mer du Nord, les allusions constantes aux papiers, à un contexte actuel (téléphone portable, par exemple.)) mais aussi aux camps d’extermination des juifs : Auschwitz, par exemple : désinfection, rampe d’embarquement, barbelés, train… Ainsi, ce roman sonne-t-il par là comme un hommage à tous ceux qui aident ceux qui sont persécutés, quitte à risquer, voire perdre la vie pour cela…

Elle, comme je l’ai déjà dit, travaille pour le gouvernement : son ami, l’homme qui partage sa vie, a une belle place, il s’occupe de politique, mais n’a pas vraiment le temps de s’occuper d’elle. Cependant, cette histoire d’ « amour » « est confortable pour elle. Pas de questions à se poser, un tremplin pour sa carrière. Derrière l’évocation de la vie actuelle de la jeune femme, de l’amour factice qu’elle vit avec son compagnon, Abécassis pose une problématique féministe intéressante sur le désir d’enfant (qui m’interpelle sans doute un peu plus que celle posée dans un heureux événement).

« Elle n’imaginait pas avoir d’enfant. Elle ne voulait pas répéter l’expérience, dans ce monde étrange et impersonnel. Elle voulait vivre sa vie indépendante et active, toujours jeune, sans l’enfance qui fait vieillir, qui fait souffrir, sans la responsabilité écrasante de l’autre. Elle ne voulait pas reproduire indéfiniment la vie, à quoi bon. Elle ne voulait pas être mère. Elle préférait rester femme. Elle voulait être libre. Non, c’était faux… elle ne voulait pas être comme sa mère. Elle ne voulait pas d’enfant car elle était elle-même son enfant… Non … elle ne voulait pas du père de son enfant. Non… elle voulait un enfant. Mais pas de cet homme qui partageait sa vie. »

Ensuite, et c’est là qu’on rejoint enfin les fêtes de Pâques une dimension christique s’attache à l’œuvre. Les personnages sont vêtus de blancs, ils ont le visage émacié, les cheveux rebelles… Ils se sont croisés vaguement dans une église avant de prendre le train… et puis les thèmes du sacrifice, de la persécution, de l’amour parcourent l’ensemble du roman. Si on songe qu’une dimension religieuse s’attache toujours aux œuvres d’Abécassis, ici, c’est le thème de Jésus, le messie tant attendu par les juifs, qui se dessine derrière les personnages. Et si Jésus était là parmi nous, aujourd’hui ? S’il était une femme ? S’il était en chacun de nous, lorsque nous aimons et que nous sommes prêts au sacrifice pour l’amour ?

Alors pourquoi, avec toutes ces qualités, Clandestin n’obtient-il que la mention « plaisant » ? Et bien, simplement parce que sans doute, Abécassis a-t-elle voulu trop en faire… car bien d’autres allusions viennent se greffer encore sur les aspects évoqués : allusion à Cupidon, à Vénus, à la mort grande faucheuse et au passeur Charon, à la Vierge à l’enfant… Trop, c’est trop, et même s’il est plaisant pour l’esprit d’enquêter et de reconstituer le kaléidoscope suggéré par Abécassis, il faut songer aussi à la cohérence de l’œuvre… les cinquante dernières pages sont vraiment oniriques, irréalistes… on n’y croit plus. Une rupture indéfinissable se crée entre les deux premiers tiers et le dernier tiers du roman… C’est bien dommage en vérité !  

Reste toujours l’écriture assez belle et dépouillée d’Abécassis… vraiment très belle lorsqu’elle écrit l’amour. J’ai envie de terminer sur ces belles lignes écrites sur les lois du cœur qui font

-          qu’on n’aime pas quelqu’un….

« Elle avait su, au premier regard, qu’elle ne l’aimait pas, et qu’elle ne l’aimerait jamais. Il ne l’avait pas émue, tout simplement. Elle n’avait rien ressenti pour lui. Et lorsqu’elle l’avait vu, à cette soirée, elle s’était dit qu’il ne lui plaisait pas vraiment, ou plutôt qu’il y avait en lui quelque chose qu’elle n’aimait pas, non parce que ce n’était ni le bon moment ni la bonne personne, mais parce que ça ne s’expliquait pas. Ensuite elle avait appris à tout taire, à garder en elle, une chose après l’autre, et à compter chaque mot, chaque geste, et à ne rien dire parce qu’elle avait étouffé la vérité de son cœur, par peur d’être seule. »

-          qu’on aime quelqu’un d’autre :

« On peut aimer quelqu’un sur un mot, un geste. Une façon d’être. Ses vêtements, ses cheveux rebelles, son corps, ses mains. Elle n’avait plus peur. Non, elle n’avait jamais eu peur que d’elle-même. »


03/04/2010
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