LECTURES VAGABONDES

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Doris Lessing : Le rêve le plus doux/Plutôt cauchemardesque !

          Doris Lessing est une écrivaine américaine renommée que je viens de découvrir lors même qu’il y a bien longtemps que je la connais de réputation… Alors, en ce qui concerne ce premier roman de Doris Lessing que je lis – Le rêve le plus doux - paru en 2004 aux éditions Flammarion, peut-on parler de lecture de rêve ou de lecture cauchemardesque ?

 

          Nous commençons notre découverte de la famille Lennox peu avant la seconde guerre mondiale. Julia, une allemande bien née, rencontre Philip, un anglais. Entre eux nait une idylle bientôt interrompue par la guerre et, on le comprend bien, la rivalité entre les deux pays d’origine des amants. Ces faits n’empêcheront pas le mariage de Julia et de Philip. Le couple s’établit en Angleterre et donne naissance à un fils : Johnny. A l’âge adulte, Johnny

devient un militant très actif et engagé au parti communiste. Il rencontre alors Francès, actrice de théâtre et pigiste pour un journal, Francès dont il aura deux fils : Andrew et Colin. Et toute cette belle famille vit dans une grande demeure et se partage les divers étages. En grandissant, les enfants hébergent des copains de lycée avec lesquels ils refont le monde. A noter également la présence de Sylvia, fille de Johnny – qui s’est alors séparé de Francès – et de Phyllida, femme dépressive qui viendra, elle aussi, habiter chez Julia. Après une adolescence difficile que Julia contribuera à adoucir, Sylvia fait des études brillantes et devient médecin. Vient alors l’âge adulte. Johnny reste un militant communiste de la première heure, même s’il est difficile d’adopter une position claire vis-à-vis de l’URSS et par conséquent vis-à-vis de l’idéologie marxiste. Andrew travaille dans une ONG – global money - qui distribue des aides aux pays communistes, notamment ceux de l’Afrique qui ont gagné leur indépendance grâce à la révolution. Cependant, les nouveaux gouvernements sont corrompus et les aides ne tombent jamais dans les escarcelles du peuple qui en aurait bien besoin, mais dans celle des dirigeants. Andrew est au courant de cette corruption, mais continue ses activités qui lui permettent de voyager, de loger dans de beaux hôtels et de participer à des colloques et des conférences avec des personnes influentes. Sylvia, quant à elle, est médecin dans la brousse d’un pays africain : la Zimlie. Elle passe son temps à soigner les malades avec très peu de moyens et se décarcasse pour les enfants en assurant quelques heures d’enseignement. En Zimlie, la population est décimée par le SIDA et, lorsqu’elle reviendra en Angleterre pour y mourir, dans ses bagages, Sylvia aura emmené deux jeunes garçons : Clever et Zebedee. De son côté, Francès, désormais remariée avec Rupert, fait du théâtre en compagnie de Sophie, l’épouse de Colin ; elle met au monde une petite Célia. Et comme il manque encore une dépressive pour refaire et parfaire le tableau de départ, la maison accueille également l’ex-femme de Rupert, Mériel, qui amène avec elle, ses enfants. Et c’est sur cette très « chou » photo de famille que s’achève enfin, Le rêve le plus doux.

 

          Inutile de tourner autour du pot, avec Le rêve le plus doux, Doris Lessing signe un roman long, très long et très répétitif avec lequel on s’ennuie assez vite. Certes, l’auteur tente de recréer l’atmosphère intellectuelle - idéaliste et politiquement engagée - des années 60. Nous y croisons sans doute, plus alors que maintenant, des familles recomposées qui vivent sous le même toit. Ça entre, ça sort, ça s’installe, ça repart. Certes, tout ce petit monde fait preuve d’une belle énergie et s’agite dans une vraie effervescence, mais finalement, on en revient toujours au même et aux mêmes scènes : des réunions où on blablate, où on refait le monde, où on s’enivre du rêve le plus doux : celui d’un avenir porteur de liberté, d’égalité et de fraternité.

          Alors bien sûr, Doris Lessing tente de mettre de la nuance dans son propos. Si les rêvasseries gauchistes de nos personnages ont toute sa sympathie, elles ne résistent pas au choc avec le réel et les idéologues deviennent alors des individus attachés au confort et coupés du monde. Nulle part, les révolutions rouges dont rêvaient certains membres de la famille Lennox n’ont abouti au bonheur collectif, à l’égalité, à la fin de l’oppression pour les plus fragiles. Andrew et toute sa clique d’intellectuels de gauche deviennent des communistes au caviar qui végètent dans les colloques et les conférences aux quatre coins du monde, dans des cadres fastueux.

Toutefois, le lecteur s’interroge : pourquoi ne s’intéresse-t-on qu’au clone du docteur Schweitzer dans ce roman ? j’ai nommé la superbe Sylvia, qui, adolescente, n’a jamais été idéaliste, qui a suivi des études brillantes pour devenir médecin et qui, contrairement aux autres, va au contact du terrain, en Afrique noire – la Zimlie – et affronte les difficultés liées à la pauvreté : manque de soins, graves maladies et absence d’éducation. C’est ainsi qu’elle travaille dans un dispensaire, sans moyen, et fait preuve d’un engagement quotidien et difficile.

          Certes, on comprend le fait que Doris Lessing soit à la fois attachée à la truculence du joyeux bordel de l’auberge espagnole, puis tente une réflexion en demi-teinte sur ce que donnent concrètement les idéaux communistes lorsqu’ils sont appliqués, pour aboutir finalement à une philosophie réaliste à la Voltaire qui à la fin de son conte philosophique intitulé Candide ou l’Optimisme déclare : « il faut cultiver son jardin » ; ce qui signifie qu’il ne faut pas passer son temps en bavardages et verbiages ; ce qui compte, c’est l’action et c’est mettre nos talents particuliers au service du bien commun. C’est ce que notre auteur montre en accordant un long passage à Sylvia, le dévoué médecin.  

Par ailleurs, Doris Lessing met en opposition les femmes qui s’engagent sur le terrain, qui se dévouent aux autres et au bien public, et les hommes qui passent leur temps à discuter et à refaire le monde. On se demande bien pourquoi ces choses-là seraient affaire de sexe ! Sauf à tremper dans une sorte de féminisme mal digéré, aux idées caricaturales et arbitraires.

          Enfin, Le rêve le plus doux est un roman qui accumule les personnages et nombreux sont ceux qui sont inutiles, barbants et redondants. On ne sait pas exactement qui est le héros de l’œuvre : on commence avec le trio Julia-Francès-Johnny pour poursuivre avec la génération suivante, notamment Andrew, puis Sylvia. Ce qui est gênant, c’est que les destins, sensés se mêler, sont évoqués de manière presque indépendante, en gros blocs qui se superposent les uns après les autres, ce qui donne un effet décousu et mal construit. Et puis, il faut dire qu’on passe un temps fou à lire leurs petites histoires personnelles qui n’ont aucun intérêt dans l’économie du livre. Bref, avec Le rêve le plus doux, on a souvent l’impression d’être dans la digression et le hors-sujet.

          Inutile de dire que je n’ai pas été emballée par ce premier contact avec l’œuvre de Doris Lessing. Je ne m’avoue pas vaincue, cependant, et je compte bien poursuivre la découverte de cette auteure dont j’espère qu’elle me fera bientôt rêver.

 



04/02/2019
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