LECTURES VAGABONDES

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Christos Tsiolkas : Barracuda / Tsiolkas casse encore la barraque !

      

       Quel bonheur de retrouver Christos Tsiolkas dans un roman presque aussi jouissif que La gifle ! Presque, eh oui ! Il faut dire qu’avec La gifle, Tsiolkas avait placé la barre bien haute ! Désormais, c’est son troisième roman qui est mis sur la sellette. Il s’intitule Barracuda et parait en 2015 en France aux éditions Belfond.

 

              Daniel Kelly n’a qu’un seul but dans la vie : nager et remporter des compétitions toujours plus difficiles. Pour réaliser son rêve, il intègre Cunts Collège, un lycée pour fils et filles nantis, lui qui vient d’une famille modeste – sa mère est coiffeuse, son père, routier – de Melbourne, en Australie. Certes, l’intégration est difficile pour Danny qui est ostracisé à cause de son origine sociale mais aussi parce qu’il est considéré comme un métèque. Cependant, il se fait deux amis - Demet et Luke - et travaille dur avec son coach, Mr Torma. En 1997, il remporte le championnat de natation australien de Brisbane. Cette victoire est quelque peu assombrie parce que Danny aurait tant souhaité que celui qui est devenu son meilleur ami – Martin Taylor – soit à ses côtés ! Mais c’est un nommé Wilco qui nage avec lui ce jour-là. Cependant, l’étape suivante pour Danny sera les championnats du monde à Fukuoka au Japon. Là, c’est la déception : Danny termine cinquième. Après cet échec, il décide de raccrocher et quitte le lycée pour travailler dans un supermarché. Tandis que ses amis s’éloignent de lui, Danny sombre dans l’alcool et la violence. Le jour de la cérémonie d’ouverture des JO de Sydney, Danny boit beaucoup et s’invite à une fête organisée par son ancien meilleur ami Martin Taylor qui lui fait bien sentir qu’il n’est pas le bienvenu chez lui. Alors, Danny voit rouge et tabasse Martin suffisamment fort pour que ce dernier sombre dans l’inconscience. Notre héros passe alors par la case prison. Là, il rencontre l’amour avec son codétenu Carlo. Là également, il se prend de passion pour la lecture.  A sa sortie de prison, Dan a du mal à retrouver son équilibre. Il travaille dans un supermarché et aide bénévolement des jeunes garçons qui ont subi un traumatisme qui les a laissés handicapés. Il fait aussi la rencontre d’un ami de Luke – qui désormais travaille en Chine – nommé Clyde et entame une relation amoureuse avec lui. Mais Clyde n’est pas heureux en Australie et souhaite rentrer dans son pays d’origine : l’Ecosse. Dan décide de partir avec son amant et rejette la proposition de son amie Demet qui souhaite avoir un enfant de lui, enfant qu’elle élèvera avec sa compagne Margharita. Mais à Glasgow, Dan ne se sent pas chez lui. Il quitte Clyde et rentre en Australie. Il trouve un travail d’aquathérapeute et décide de s’installer avec sa sœur Regan et la petite fille de celle-ci, Layla. Reste à se faire pardonner d’avoir déçu tant de monde ! Lorsque son ancien coach, Mr Torma, décède, Dan hérite d’une partie de sa maison et décide de partager cette somme d’argent avec toute sa famille pour tenter de réparer, de rembourser la dette envers ceux qui se sont sacrifiés pour qu’il devienne un grand champion. Désormais en paix avec lui-même et avec les autres, Dan-Danny est prêt à prendre son envol et peut-être à se réconcilier avec Clyde.

 

              Avec Barracuda, Christos Tsiolkas signe à nouveau une œuvre forte en émotion ; en effet, on pénètre dans l’intimité d’un personnage et dans ses tourments les plus profonds : Danny est un personnage sombre et violent. Rien que le surnom qui lui a été donné dans l'équipe de natation – Barracuda – fait peur. Mais le caractère de Danny ne se cantonne par à la seule violence. Il est doté d'une personnalité complexe : après son échec aux championnats du monde de natation au Japon et après avoir mis sur le carreau celui qu'il prenait pour son meilleur ami, il est rongé par la honte et la culpabilité. Après cette descente aux enfers, comment se reconstruire ? la rédemption est-elle possible ? Peu à peu, au fil du temps, Danny va se réconcilier avec sa famille et découvrir la famille de sa mère. Peu à peu également, la plaie se referme et c'est avec les autres et non plus seul contre tous qu'il tente de conquérir le bonheur.

              L'intérêt de Barracuda, c'est aussi sa construction complexe. Le roman se divise en deux parties : l'une s'intitule Respirer, l'autre, Souffler. La première partie déroule la vie de Danny de manière chronologique et est racontée à la troisième personne. Ces choix narratifs donnent l'impression que Danny est un personnage qui appartient au passé, tenu à distance : de manière classique, Tsolkias raconte ce Danny plein d’espoir et d'assurance qui voit ses rêves et sa vie se briser le jour de l’inauguration des JO de Sydney. De manière alternée, Tsolkias inverse ses choix narratifs car certains passages sont racontés à rebours à la première personne du singulier (je).  Ces pans narratifs concernent Dan qui tente de se reconstruire. Ainsi, comme dans la natation, Tsolkias synchronise les voix de son héros : celui qui gagne et celui qui a tout perdu.

              Dans la seconde partie du roman intitulée Respirer, on inverse à nouveau « je », c'est le Danny qui nage et qui raconte son épopée aquatique en remontant le temps, jusqu'à son premier contact avec l'eau... c’était avec son père, au bord de l'océan. Le Danny qui se reconstruit est désormais devenu un « il » et les deux voix vont fusionner dans un final très émouvant. Dan, l'adulte réconcilié avec lui-même, a la sensation de s’envoler alors qu'il est dans un train tandis que son père le porte très haut dans ses bras après le premier contact avec la mer. Voler, c’est l’effet qu’il a toujours ressenti quand il nageait. Le dernier chapitre est mené à un rythme haletant presque sous la forme du monologue intérieur, où respirer et souffler se conjuguent dans la ponctuation. Ainsi, dans ce final, Danny parvient à communier avec le monde et même l'univers. Ces histoires de construction sont sans doute un peu rébarbatives pour vous, lecteur, mais ici, il est incontournable d'en parler car la construction du roman fait sens avec le fond : Tsolkias a voulu retrouver dans la construction de son roman le souffle du nageur et la complexité de ses mouvements qui s'alternent et épousent sa respiration.   

              Enfin, comme toujours chez Tsolkias, la toile de fond du roman, c’est la société australienne et ce qui la gangrène : le racisme conte les « métèques » est encore ici aux premières loges - Danny est d’origine grecque. Le racisme contre les homosexuels est aussi abordé puisque Danny préfère les garçons, ce qu'il cache dans son club de natation. Mais dans Barracuda, c'est surtout le racisme social qui est critiqué. Le mépris des riches pour les pauvres, on le sent et c'est ce qui ostracise Danny : Taylor est l’incarnation de ce mal car il repousse Danny, son meilleur ami, le jour de l'ouverture des JO. Taylor n’aime pas le raté que Danny est devenu et le lui fait bien comprendre. S'il était venu d'une riche famille, les choses auraient été différentes. Désormais privé de ce qui faisait son succès, la natation, il est rejeté par tous ces jeunes de bonne famille qu'il fréquentait alors qu'il allait au lycée. Un dernier problème d'ostracisme, c'est celle dont est victime sa mère. Auparavant, elle était témoin de Jéhovah et désormais, elle se heurte au rejet de sa famille qui ne supporte pas sa défection.

              Ainsi, avec Barracuda, Tsolkias signe encore une fois un chef d'œuvre incontournable de la littérature mondiale. A lire absolument. Moi, je m'en vais de ce pas en quête d'un autre Tsolkias.



05/12/2021
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