LECTURES VAGABONDES

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Bret Easton Ellis : American psycho /Psycho-hypnotique !

       

               Voilà un roman qui, selon moi, compte dans l’histoire de la littérature. American Psycho, que l’écrivain Bret Easton Ellis écrit en 1991 et qui parait aux éditions Robert Laffont, est en effet, un de ces romans totalement novateur, et jamais le lecteur n’a l’impression de déjà lu.

 

          Patrick Bateman vit dans l’Upper East Side, quartier très huppé de New York. Il est agent de change chez Pierce & Pierce et passe sa vie avec des gens qui partagent son mode de vie très hype (quelques noms rapidement : Craig McDermott, Luis Carruthers, Paul Owen, sans oublier les filles : Courtney, Evelyn, parmi celles qu’il fréquente régulièrement). Les occupations de Patrick sont : muscler son corps dans une salle de body building – Xclusive – regarder à la télé le Patty Winters Show – émission de talk-show qui parle de sujet idiots – manger dans les restaurants les plus chics du quartier. Quant aux conversations de ces gens-là, elles consistent à évaluer les qualités de tel ou tel restaurant, de s’interroger : « dans lequel va-t-on aller ce soir ? », de jauger de la qualité et de la classe de tel ou tel vêtement signé Armani ou autre styliste très en vue. Ajoutons à cela que Patrick boit beaucoup de J&B ou d’Absolut, et aime aussi sniffer une ligne de coke, à l’occasion. Enfin, il consomme des médicaments comme le Xanax. Mais Patrick, derrière cet aspect bien propre, cache une face sombre : c’est un psychopathe. Il tue d’abord des clochards dans la rue, puis des filles avec lesquelles il couche – relations d’une nuit – qu’il massacre après les avoir torturées. Il tuera également Paul Owen parce qu’il détient le portefeuille Fisher que Patrick convoite. Et la vie continue sans cesser de tourner en rond dans les restaurants les plus chics et les plus chers de l’Upper East Side, entre ses petites amis régulières : Courtney et Evelyn – cette dernière, il la quitte, néanmoins. Certes, notre american psycho sera quelque peu titillé par un détective privé au sujet de la disparition de Paul Owen, traqué dans les rues de New York par des policiers parce qu’il tire sur la foule de Manhattan à grands coups de 357 magnum, puis dépouillé des objets de valeur qu’il porte sur lui par un taximan qui a décidé de venger la mort d’un de ses collègues. Cependant, on ne sait finalement pas vraiment si Patrick Bateman est un vrai psychopathe ou si tous des meurtres sont le fruit de ses fantasmes et de son imagination. En effet, un certain Crane a déjeuné plusieurs fois à Londres, avec Paul Owen, que Patrick est censé avoir tué.

 

          American psycho est une œuvre assez déroutante, qui rompt avec les codes traditionnels du roman. En effet, l’intrigue n’évolue pas et on tourne vite en rond dans les restaurants, cafés, boîtes à la mode que fréquentent Patrick et ses connaissances. Par ailleurs, Patrick va presque quotidiennement dans son club de gym, à son bureau ; on le retrouve aussi chez lui. Bref, le roman met en scène des gens qui travaillent dans la finance, dans l’ensemble, et qui vivent dans un entre-soi qui ne dépasse pas les limites de l’Upper East Side de New York.

          Par ailleurs, les traditionnelles descriptions physiques et morales des personnages de roman, sont ici remplacées par l’évocation des marques des vêtements et accessoires portés par ces derniers. La description du décor dans lequel ils évoluent est également biaisée : l’auteur se borne à mentionner le lieu – autrement dit le nom de la boutique - où tel ou tel objet a été acheté et le nom de celui qui l’a créé. Enfin, Bret Easton Ellis cite les produits consommés : les plats mangés par les personnages lorsqu’ils sont au restaurant – on est souvent dans de la nouvelle cuisine – mais aussi les crèmes, cosmétiques, parfums dont ils font usage.       

         Bref, dans American Psycho, on est entouré de choses – plus que d’êtres humains – et ces choses sont très chères. Bienvenue dans un monde où tout n’est qu’apparence, où la déshumanisation est poussée à l’extrême.

          La déshumanisation, elle s’exprime aussi à travers tous les crimes que commet Patrick Bateman. Ils sont à la limite du soutenable. En effet, l’auteur se laisse aller à détailler des scènes de sexe très crues, très violentes, bestiales, et les scènes de torture … sans exprimer aucun affect. Plus on avance dans le roman, plus les assassinats donnent dans le trash : Patrick se laisse tenter par la chair des filles qu’il a tuées et en mange certains morceaux. Plus tard, il sème la terreur dans les rues de Manhattan en déclenchant une fusillade. Mais qu’il s’agisse de cannibalisme ou de massacre de rue, tout est raconté sur le même ton que le reste, c’est-à-dire, par exemple, la liste des plats commandés lors d’un repas au Nell’s.

          Bien plus, après avoir massacré une pauvre fille qu’il fait méchamment saigner, il part dans des considérations sur l’humanité et le génie de la chanteuse Whitney Houston. Ou bien, il regarde ses victimes agoniser en buvant un J&B. Patrick Bateman n’a aucune valeur morale. Pour lui, tout est objet à consommer : les femmes comme le reste.

          Par ailleurs, l’écriture répétitive a une force hypnotique et on ne peut plus lâcher cette suite de marques de vêtements, ces noms de créateurs, de restaurants et on ne parvient plus à lâcher ces successions de conversations et de propos sans intérêt. Et peu importe si on ne se laisse submerger par cette diarrhée verbale : les personnages, eux-mêmes, ne s’écoutent pas, parlent tous en même temps, oublient la question posée par l’un et passent à un autre sujet qui n’a aucun rapport avec le précédent. La scène d’apothéose, c’est celle qui se déroule au téléphone, entre plusieurs personnages qui prennent des doubles et des triples appels. Finalement, on ne sait plus qui est en ligne, qui a raccroché, qui doit réserver dans quel restaurant… Un vrai méli-mélo !

          American psycho a fait, en son temps, son petit effet littéraire et suscite l’admiration dans les milieux littéraires. J’ai beaucoup aimé cet opus, mais je ne sais si j’aurais envie de m’embarquer dans d’autres romans du même style. L’expérience est intéressante, mais elle a ses limites et je reste, bien évidemment, attachée au grand roman traditionnel.



30/10/2022
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