LECTURES VAGABONDES

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Bernard Minier : La vallée / A avaler tout rond

       

         Vous avez aimé Sœurs, le roman de Minier dont j’ai parlé, ici, il y a quelques semaines ? Alors vous adorerez La vallée que le même auteur fait paraître en 2020 aux éditions XO.

 

          Parce qu’il a une part de responsabilité dans la mort de l’écrivain Erick Lang (voir Sœurs), Servaz est suspendu ; désormais, c’est son procès qui se joue. Depuis plusieurs mois, il entretient une liaison avec Léa Delambre, psychologue pour enfant : la jeune femme suit le fils de Servaz – Gustav - quelque peu perturbé ces derniers temps. Cependant, un jour, il reçoit un coup de fil affolé…. de Marianne Bokhanowsky, la jeune femme qu’il a tant aimée et qui a disparu, il y a huit ans. Aussitôt Servaz se lance à sa recherche, dans une vallée et une forêt dont la petite ville d’Aiguesvives est l’épicentre. Ses recherches l’amènent dans un monastère perdu où il sera hébergé quelques temps. Car effectivement, en croisant Irène Ziegler, sa collègue chargée d’une nouvelle enquête, il ne tarde pas à être mêlé à l’horreur qui remue les environs dans lesquels il décide de séjourner. Plusieurs meurtres ont eu lieu dans la forêt : Kamel Aissani, puis Timothée Hosier ont été assassinés d’atroce manière. Leur point commun : consommer de la drogue et en vendre. Plus tard, c’est l’abject père de Timothée – Martial Hosier - qui est retrouvé dans les bois, émasculé. L’enquête que Servaz mène aux côtés d’Irène Ziegler est semée de surprises et d’embuches. C’est ainsi que les soupçons se portent sur la psychiatre pour enfant : la fantasque Gabriela Dragoman ou encore sur le professeur solitaire et dépressif : Gildas Delahaye. Et puis, un jour, la situation se complique à Aiguesvives : la montagne explose et la vallée est, pour un temps, coupée du reste du monde. Par ailleurs, les habitants se mobilisent autour de l’agitateur William Guerrand afin de dénoncer le laxisme des autorités et de la mairesse : Isabelle Torrès : de grosses manifestations violentes se déclenchent dans la ville et c’est à l’occasion de l’une d’entre elles qu’une dernière victime est assassinée : Frédéric Rozlan. Cependant, c’est finalement à Martin Servaz que la tête pensante à l’origine de tous ces crimes va s’en prendre. Et Marianne sera aussi retrouvée… Enlevée, séquestrée pendant des années, c’est grâce à la psychiatre Gabriela Dragoman qu’elle a été libérée et qu’elle a participé aux abominations de ces derniers temps. Entrainant des enfants violents qu’elle suivait dans le meurtre et l’horreur, la psychiatre a mis sur pied une fantastique machine à tuer et venger. C’est un Servaz apaisé qu’on retrouve dans l’épilogue : réhabilité dans la police en tant que commandant, il sourit à la vie, d’autant plus qu’il est désormais accompagné par une femme : Léa Delambre, et un fils : Gustav.

 

          Avec La vallée, Bernard Minier, maître du thriller, récidive et signe un roman palpitant qui se lit d’une traite.

          Tout d’abord, il plante l’action de La vallée dans un endroit mystérieux, inquiétant et peu accueillant : une vallée couverte de forêts au cœur desquelles se situe une petite ville coupée du monde, enchâssée dans des montagnes massives, une petite ville à feu et à sang. Dans la forêt, on peut également trouver un monastère coupé du monde, comme hors du temps, avec des moines plus vrais que nature, louable effort pour recréer une atmosphère digne du roman Le nom de la rose d’Umberto Ecco, mais qui tourne court très vite : les moines ne sont en rien impliqués dans les horreurs qui remuent la vallée.  

          Dans cette fameuse vallée, d’horribles meurtres surviennent. C’est d’abord Kamel Aissani qui est retrouvé figé dans la glace d’un lac, éventré ; une poupée de plastique a été insérée dans son ventre ouvert. Ensuite, c’est Timothée Hozier qui est retrouvé immobilisé et noyé sous une cascade. Plus tard, son père périra des suites d’une hémorragie causée par une émasculation. La dernière victime ne sera pas retrouvée dans la forêt mais mourra dans l’incendie criminel de sa maison.

          Pourtant, toutes ces victimes ne sont pas des anges. Toutes trempent dans le trafic de drogue, ont plus ou moins fait de la prison, sont loin d’avoir une moralité irréprochable. Certaines sont, par ailleurs, des hommes violents. Le portrait le plus abouti de toutes ces victimes, c’est sans doute celui de Martial Hosier, gynécologue, obsédé sexuel violent, haïssant les femmes. A la fin du roman, on apprend que tous ceux qui sont morts dans la forêt ont été recrutés, de leur vivant, par le tueur en série qui s’était attaqué à Marianne. C’est ainsi que Minier signe le retour de l’inoubliable Julian Hirtmann et qui, même en prison, a continué, par personne interposée, à persécuter certaines personnes.

          Cependant, La vallée, plus que tout autre thriller de Bernard Minier, contient une diatribe contre la société actuelle et ses dérives vers la violence, vers l’intolérance, sa haine des flics et des représentants élus sur lesquels elle rejette toutes les fautes, manière de déresponsabiliser les malfrats.  Mais Minier se place aussi du côté des enfants qui deviennent violents parce qu’eux-mêmes ont subi des violences qu’elles soient psychologiques ou physiques. Dans La vallée, les enfants ont une grande place… Ils s’appellent : Mathis, Théo, Valentin ou Benjamin… mais aussi Gustav, le fils de Servaz, traumatisé par son passé et ses liens avec Julian Hirtmann.

          Autre remarque particulière à ce roman : l’importance de son interaction avec les romans précédents. C’est pourquoi, il est conseillé de lire les thrillers de Bernard Minier dans l’ordre chronologique selon lequel ils ont été publiés. En effet, La vallée est en interaction avec Glacé ou encore Le cercle pour les références à Marianne et Julian Hirtmann. Quant à la situation dans laquelle se trouve le commandant Servaz (révocation de la police), elle dépend directement de la fin du roman Sœurs (dont l’article figure sur ce blog). Certes, on peut quand même lire La vallée indépendamment des autres romans – c’est d’ailleurs mon cas - mais je pense qu’en connaissant déjà Hirtmann et son pouvoir de nuisance, on apprécie et on comprend sans doute davantage la résolution de l’enquête.

          Il faut dire que le retour de Marianne soudain, inattendu et étrange pose question au lecteur : n’est-on pas face ici à une intrigue qui va s’avérer être de plus en plus abracadabrantesque ? Par ailleurs, si on finit par oublier Marianne, elle ressurgit à la fin du roman et il s’avère qu’elle est impliquée dans les meurtres sordides qui ont secoué la vallée. Bref, on ne sait plus très bien si on a affaire à un ange ou à un démon. Déconcertante est la résolution de l’intrigue. Peu crédible.

          Mais pas de panique ! On se laisse totalement embarquer dans ce thriller palpitant et on pardonne aisément la présence d’éléments un peu tirés par les cheveux. On plonge avec délice dans La vallée, un endroit bien peu recommandable, coupé du reste de la France insouciante qui bat alors au rythme de la coupe du monde 2018. Lorsqu’enfin on ressort de La vallée, c’est à grand regret.



21/05/2023
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