LECTURES VAGABONDES

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Barbara Chase-Riboud : Vénus Hottentote / sublime Vénus Noire !


Si vous n’avez pas vu le film d’Abdellatif Kechiche, Vénus noire, je vous conseille vivement de rectifier cette lacune ; si vous n’avez pas lu le livre de Barbara Chase-Riboud, Vénus Hottentote, paru en 2004 aux éditions Albin Michel, je vous conseille plus que vivement de combler ce manque. Il est vrai que j’ai eu le coup de foudre pour ce roman que j’ai lu d’une seule traite.

Nous sommes au début du XIXème siècle. Sarah Baartman, est originaire de la tribu appelée « Hottentote » (bègue) par les européens, tribu indigène d’Afrique du Sud, plus ou moins exterminée et exploitée par les Hollandais et les Anglais. Après le massacre de ses parents, de son mari, la mort de son fils, Sarah trouve un emploi de bonne à tout faire au Cap, chez Hendrick Caesar qui ne tarde pas à s’acoquiner avec M.Dunlop, baroudeur plus ou moins louche : ce dernier parvient à convaincre Caesar d’emmener Sarah en Angleterre où tous trois pourront faire fortune grâce à l’exhibition de la jeune femme Hottentote. Et voilà l’infernale odyssée de Sarah qui commence. Phénomène de foire en Angleterre, revendue par nos deux compère à Réaut, français débauché qui poursuit le travail d’exhibition dans les salons parisiens, Sarah finit sa vie comme objet d’intérêt scientifique : en effet, le digne professeur Cuvier veut l’examiner pour prouver sa théorie : les Hottentotes sont le maillon manquant entre le singe et l’homme ; pas tout à fait hommes, pas tout à fait singes ; des sous-hommes, en définitive. Epuisée par l’alcoolisme et la consommation d’opium, Sarah meurt à  27 ans. Son corps sera disséqué, son cerveau, son squelette, et ses organes sexuels seront exposés pendant des décennies au musée de l’homme, à Paris. Ce n’est qu’en Août 2002 que ses restes seront rapatriés en Afrique du Sud pour y être enfin incinérés.           

Avec Vénus Hottentote, Barbara Chase-Riboud nous sensibilise à l’effroyable barbarie qui a sévi contre les noirs et les tribus indigènes des pays colonisés par les européens : barbarie physique mais aussi morale.

Si le film d’Abdellatif Kechiche, Vénus Noire, prend le parti de montrer longuement des scènes d’exhibition sur les planches du cirque londonien, dans les salons parisiens, afin de mettre le spectateur dans une position de voyeuriste qui le remet en question, le roman, Vénus Hottentote, ne s’attarde pas véritablement sur ce sujet qui s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus ample et développé.

En effet, le livre nous emmène tout d’abord en Afrique du Sud, là où le film ne va absolument pas. Naissance, enfance et adolescence de Sarah sur une terre plutôt paradisiaque, à laquelle les Hottentotes sont totalement adaptés, qu’ils comprennent et respectent. Ces quelques années de bonheur seront néanmoins fortement entachées de douleur : les Hollandais et les Anglais s’entredéchirent et s’adonnent à d’atroces razzias contre les tribus indigènes qu’ils massacrent ou mettent en esclavage. Cette première partie me paraît importante. D’abord, parce que l’histoire particulière de Sarah s’inscrit dans l’Histoire générale de la colonisation européenne et qu’il est important de se porter là où tout a commencé : sur les terres asservies. Ensuite, cette partie fait bien comprendre au lecteur pourquoi Sarah est si attachée à sa terre natale, et pourquoi elle la déteste, également, pourquoi elle espère un ailleurs plus clément : l’Europe. Ainsi, la jeune femme est-elle consentante au moment de quitter l’Afrique. Enfin, ce point de départ africain rend plus fort le symbole que représente Sarah pour le peuple dont elle est originaire : lorsqu’elle retourne de manière posthume sur les terres qui l’ont vue naître, la boucle est bouclée ; Sarah va pourvoir désormais reposer en paix et sa dépouille a fini de représenter l’infériorité noire.

Ensuite, le lecteur prend le large. Destination : l’Angleterre puis la France. Ici, comme je l’ai dit plus haut, point d’atermoiements sur les scènes d’exhibition : Barbara Chase-Riboud s’attache davantage à la biographie de Sarah et à son imbrication dans les pays où elle est passée. Ainsi, le roman prend une coloration historique : le lecteur pénètre dans l’univers plutôt glauque et interlope des phénomènes de foire qu’il est à la mode d’exhiber au XIXème siècle : c’est ainsi que Sarah croise Eléphant Man, la femme à barbe… tout un univers grouillant et  haut en couleur que Barbara Chase-Riboud dépeint avec une assez remarquable maestria.

Par ailleurs, le roman ne reste pas vraiment centré sur la seule violence de l’exhibition : les rapports entre Sarah et ceux qui l’exploitent sont également au cœur de l’œuvre. Rapports ambigus s’il en est : Sarah s’estime elle-même dépendante des hommes qui l’exploitent. Par ailleurs, elle est amoureuse de Dunlop qu’elle épousera : mariage illégal, qui ne vaut rien car Dunlop est déjà marié et ne conçoit la chose que comme une manière d’avoir la mainmise sur l’exploitation de Sarah. Mais le cynisme de Caesar, Dunlop ou Réaut est atténué par les chapitres qui leur donnent la parole : souvent, ils considèrent Sarah comme un être humain : ils reconnaissent son intelligence, ses talents, mais globalement, leur attitude repose sur l’idée très généralement répandue que les noirs sont une race inférieure : en cela, le traitement qu’ils réservent à Sarah est celui que n’importe qui lui aurait réservé à leur place.

Puis vient, pour moi, la dernière marche du roman, véritable gradation dans l’horreur : la science se mêle de prouver l’infériorité noire, et donc de la valider sous forme de vérité. Sarah attise la curiosité du professeur Cuvier, car elle est une véritable Hottenote, à savoir que ses organes sexuels ont une conformité particulière : ses petites lèvres sont plus développées car dans l’adolescence de la femme, la tradition veut qu’on les allonge par le lestage de petits cailloux. De son vivant, Cuvier ne pourra pas examiner les parties intimes de la jeune femme, car cette dernière n’entend pas sacrifier sa dignité. A sa mort, sa dépouille sera vendue par Réaut à Cuvier qui s’empressera de disséquer, mouler et ainsi, immortaliser la Vénus Noire dans l’idée qu’elle appartient à une sous-race. Toute cette dernière partie du roman est racontée par Sarah elle-même, car morte, son âme vit et observe de haut tous les viols qui sont faits à sa dépouille : ce parti-pris de faire parler l’âme d’une morte est une idée forte, car il rend sensible le fait avéré que Sarah a bel et bien une vie posthume atroce : elle est la représentante officielle du maillon manquant entre le singe et l’homme. Ce n’est finalement qu’en 2002 qu’elle trouve effectivement la mort et le repos, après toute cette odyssée infernale et pathétique.

Ainsi, avec Vénus Hottentote, Barbara Chase-Riboud parvient à nous émouvoir, nous révolter, nous faire honte : car Sarah Baartman est véritablement le condensé, le résumé des atrocités, des humiliations, du mépris officialisé… toutes choses marquées par les blancs à l’égard des noirs.



09/03/2012
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