Arnon Grunberg : Tout cru/Mi-figue, mi-raisin.
Tout cru ou tout cuit ? Mi-figue ou mi-raisin ? Difficile de trouver la bonne recette pour réaliser la critique de ce roman d’Arnon Grunberg intitulé Tout cru, paru en 2015 aux éditions Actes Sud.
Roland Oberstein est un économiste reconnu et un universitaire émérite. Il est, entre autre, spécialiste d’Adam Smith, des phénomènes de bulles spéculatives, et des différents impacts économiques de la shoah sur le monde. Ses recherches le conduisent à travers le monde pour de nombreux colloques ou conférences. C’est dans une de ces petites virées intellectuelles qu’il rencontre Léa, une américaine qui est en train d’écrire un livre sur Höss, le directeur d’Auschwitz. De retour en Amérique, ils entament une liaison. Cependant, aux Pays-Bas, Roland a une ex-femme, Sylvie, un fils, Jonathan, et une petite amie, Violette. De son côté, Léa a un mari, Jason, maire de Brooklyn. Ce mari-là est
bien étrange : il tombe amoureux d’un livreur d’UPS qu’il encule dans un motel ; pour parvenir à ses fins, il lui fait miroiter la possibilité d’obtenir, grâce à lui, la précieuse Green Card. Tandis que Violette trompe Roland avec Wytse, un vendeur de téléphones portables, Sylvie souhaite que Roland revienne enseigner aux Pays-Bas quelques mois par ans afin que Jonathan puisse voir davantage son père. Notre héros obtempère et se retrouve coincé dans une université médiocre qu’il déteste. Il entame cependant une liaison avec une étudiante nommée Gwendoline qui a fait le pari avec une amie qu’elle réussirait à coucher avec l’éminent professeur. L’affaire tourne mal : la jeune fille fait une tentative de suicide et met les médias au courant de son acte. Roland est renvoyé de l’université. De retour en Amérique, il ne retrouve pas sa place à l’université de Fairfax mais décide quand même de s’installer définitivement dans ce pays-là.
Tout cru nous emmène dans le microcosme des intellectuels, des chercheurs universitaires, des professeurs d’université. Il n’épargne pas ce monde élitiste qui, comme tout autre, n’échappe pas à la médiocrité. Le héros du roman s’appelle Roland Oberstein ; il prétend être un pur scientifique, raison pour laquelle il bannit de ses études comme de sa vie tout aspect sentimental. Ainsi, les horreurs de la shoah sont appréhendées à travers le prisme de l’économie, de la rentabilité, sans que jamais l’aspect humain n’entre en ligne de compte. Par ailleurs, il ne s’investit jamais sentimentalement dans les relations amoureuses qu’il entretient avec les femmes ; par exemple, il n’est guère ému par Violette, sa maîtresse, lorsqu’elle annonce qu’elle le trompe ; ses appels téléphoniques l’ennuient, la plupart du temps, car ils interviennent au moment où il travaille. Et puis, comme toute personne qui travaille dans un certain milieu professionnel, il cancane, il critique des collègues qu’il estime médiocres, ainsi, Sven Durano, lui-même amant de Léa. La médiocrité de l’université des Pays-Bas dans laquelle il travaille dans la dernière partie du roman est pointée du doigt : là, il faut se plier aux exigences des étudiants absentéistes ou mécontents.
Le principal intérêt de Tout cru, c’est de montrer la cruauté et l’égoïsme qui président aux rapports humains. Jason, le mari de Léa, tombe amoureux d’un livreur d’UPS et le force à avoir avec lui des rapports homosexuels en lui faisant miroiter la Green card. Il songe même à tuer le jeune homme qui se comporte comme un esclave sexuel et qui ne l’aime pas. Léa, quant à elle, voudrait éliminer son grand-père, atteint d’Alzeihmer. Elle se rend aux Pays-Bas où l’euthanasie se pratique. Pourtant, l’homme a bonne mine, selon la mère de Roland qui décide d’héberger le vieil homme. Quant à Gwendoline, l’étudiante elle se lance dans une liaison avec Roland à la suite d’un pari. Lorsque l’affaire est découverte, elle ruine la carrière de Roland qui vient de se venger d’elle en couchant avec l’amie avec laquelle le pari avait été scellé. Bref, dans Tout cru, point d’empathie entre les êtres, mais plutôt une lutte d’ego qui s’entredéchirent.
Cependant, il faut du courage pour se lancer dans ce roman fleuve de 500 pages très répétitives. L’ensemble est un peu longuet, même si globalement, le roman se lit bien. Beaucoup de dialogues, beaucoup de coucheries à droite et à gauche, de repas au restaurant, de verres pris dans un troquet, des SMS ou d’appels téléphoniques. Beaucoup de déchets, se dit-on… des longueurs inutiles.
Ce qui me fait dire que si Arnon Grunberg avait un peu réduit la sauce, son roman Tout cru aurait été moins indigeste. Mais il vaut quand même qu’on y goûte un peu, car la recette est quand même plutôt originale.
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