LECTURES VAGABONDES

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Antoine Berthe :  23-5 c. civ. suivi de L. 742-3 CESEDA / Combinaison moyenne

          

         Chauvinisme oblige, aujourd'hui, je vais vous faire découvrir ou redécouvrir Antoine Berthe, avocat au barreau de Lille et écrivain à ses heures perdues. Son roman le plus connu porte le nom d'un article de loi 23-5. civ. Ce roman comporte une suite, présente dans l'édition Kyklos de 2012 ; cette suite s'intitule L. 742-3 CESEDA.

 

23-5 c. Civ  : Le narrateur se contente d'une petite vie peinarde, qu'il passe entre les comptoirs des bistrots lillois et les cours qu'il dispense à l'éducation nationale. Pour venir en aide à une réfugiée, il accepte de contracter un mariage blanc. L'heureuse élue à la future nationalité française s'appelle Maria et c'est une sorte de Ché Guevara féminin ; elle vient de San Théodoros, une obscure dictature d'Amérique du Sud. Alors qu'il doit refaire sa carte d'identité, il découvre qu'il a perdu sa nationalité française : en effet, la chose est possible si on épouse un étranger mais encore faut-il le vouloir. Notre héros se rend à Boulogne-sur-mer où habite Maria. C'est le début de tout un tas d'aventures folles. D'abord, retour à Lille où les deux lousctics entrent par effraction au cabinet d'avocat et découvrent que quelqu'un a écrit de fausses lettres portant la signature du narrateur pour demander l'abandon de la nationalité française. A priori, Maria serait visée : on fait tout pour qu'elle rentre à San Théodoros. Afin de reprendre leurs esprits, nos deux héros se rendent dans la petite maison d'une amie de Maria, en Bretagne. Là, le narrateur découvre que Maria cherche à retirer 50 000 dollars d'un compte en Suisse car c'est elle qui tient les cordons de la bourse révolutionnaire. C'est notre héros qui se rend en Suisse pour retirer l'argent. De retour en France, il découvre que Maria a été enlevée par une bande de camarades révolutionnaires un peu moins intègres qu'elle et que ces derniers louchent sur l'argent de la révolution. Après recherches, Maria est libérée. Mais c'est alors que le narrateur est arrêté en état d'ivresse. Pour ne pas que la police le reconnaisse – en effet, l'histoire de l'enlèvement de Maria - qui a coûté la vie à un dénommé Juan – a fait le tour des médias et la photo du suspect, publiée – notre héros se débarrasse de sa carte d'identité. La voilà donc sans papier ! Après quelques jours de taule, il revient à la surface de la terre sous l’identité de Jésus Empanadas en tant que demandeur d'asile, autorisé provisoirement à sejourner en France. C'est dans la drôle de bicoque bretonne qu'il pose ses valises.

L 742-3 CESEDA Il pourrait sembler que notre héros coule des jours heureux en Bretagne, mais il n'en est rien car il est très vite contraint de fuir de la région : sa demande d'asile a été rejetée et le voilà de nouveau sans papier. Après de multiples rencontres masculines – entre autres, le joyeux babacool Thomas qui l’héberge un temps – et féminines – qui se terminent toujours au plumard – notre héros décide d’aller en Angleterre, plus précisément à Londres, afin d’y retrouver celle qui pourrait l’aider, Maria, son épouse de 23-5 c.Civ. Thomas l’héberge et lui procure un faux passeport. Mais traverser la Manche quand on est un sans-papier n’est pas une mince affaire. Notre héros se retrouve embringué dans le trafic des migrants et fait connaissance avec la filière kurde chapeautée, entre autres, par un certain Barzan. Comme notre faux migrant n’a pas d’argent, Barzan lui propose de travailler pour lui, le temps de payer sa traversée. Malheureusement, la police découvre la filière et voilà notre héros de nouveau en fuite. Avec sa maîtresse du moment, Delphine, une fermière du Pas-de-Calais, il parvient à se rendre en Angleterre. A Londres, il fait la connaissance de Rosalita, la sœur de Maria qui ne tarde pas à devenir sa maitresse. En attendant que Maria pointe le bout de son nez, notre héros se la coule douce chez Rosalita. Pour payer son loyer, il va même tenir un stand de crêpes bretonnes. Mais lorsque Maria débarque et que Rosalita découvre qu’elle couche avec le mari de sa sœur, voilà notre héros de nouveau SDF. De nouveau en état d’ivresse en pleine rue, il est arrêté et transféré en France au centre de détention de Coquelles. Sans papier, il se trouve dans une situation ubuesque de laquelle son avocat, maître Osdaimlbaton, peine à le sortir. C’est par un coup de force, alors que toutes ses conquêtes féminines se pointent à son procès, que notre héros parvient à s’évader. Désormais, il vit à La Havane où il coule des jours heureux…. Avant de prochaines aventures.

 

            Avec  23-5 c. civ. Suivi de L. 742-3 CESEDA, Antoine Berthe signe deux romans dans le genre picaresque. En effet, nous avons affaire à un héros qui parcourt le monde, croise de nombreuses personnes et se lance dans des aventures truculentes.

 

            Mais parlons d'abord de 23-5 civ, roman qui m'a paru sans grand intérêt. Certes, l'écriture d'Antoine Berthe est caractérisée par un certain sens de l'humour, son style est décontracté et alerte. Cependant, ce roman se compose essentiellement d'un enchainement de scènes d’action plutôt décousues. En effet, le fil directeur de l'ensemble, on le perd souvent. Il s’agit de retrouver celui qui a fait les faux courriers dans lesquels notre héros renonce à la nationalité française et de découvrir qui en veut à Maria. Cependant, le couple infernal se retrouve à entrer par effraction dans le bureau d'un avocat, à courir la campagne à la recherche d'argent, à être séquestré dans un appartement parisien assez louche, le but étant de régler la question en cours qui en amène une autre, puis une autre, etc. On se demande quand tout cela va se terminer ! Et je ne compte pas les multiples scènes où le héros picole ou part à la recherche de binouse. Roman très moyen, donc. L.

 

            Quant au roman L742-3 CESEDA, il m'a paru un peu plus intéressant. Certes, on retrouve de nombreuses  scènes d'action, mais l'ensemble tourne autour des conditions de vie des sans-papiers. Pourtant, le roman paraissait mal engagé : notre héros passe son temps à cavaler et à se retrouver dans le lit de différentes femmes. Je ne m'attarderai pas sur les amants officiels de ces dames qui passent leur temps à courir après notre héros qui se retrouve en caleçon dans la rue (il me semble que la scène est déjà vue et revue depuis que le théâtre de boulevard est né). Pourtant, le fait que le héros se retrouve à fuir, sans autre objectif que celui d'échapper au sort auquel les uns et les autres voudraient le contraindre, est signe que, quand on est un sans-papier, on n'est pas maître de son destin. Et que dire de la vie dans la clandestinité ? Dormir dehors, vivre dans un milieu hostile, se cacher. Enfin, notre héros sera confronté au casse-tête juridique que le fait d'être un sans-papier qui essaie de s'en sortir implique. Garde à vue, incarcération dans des camps de détention, procès compliqués. Certes, Jésus Empanadas ne manque pas de sens de l'humour et semble s'accommoder de cette vie clandestine. Il picole toujours autant, il baise beaucoup plus qu'avant, il peut glander comme bon lui semble. A cela s'ajoute l'exotisme d'une langue qu'il est sensé parler – l'espagnol – et à laquelle il ne comprend goutte. Certes, la fin est improbable et pleine de malice : toutes les femmes que Jésus Empanadas a rencontrées au cours du roman se pointent dans la salle d'audience pour le libérer. Il semble bien que lorsqu'on est un sans-papiers, se sortir de l'imbroglio juridique n'est possible que par un miracle !

 

            Alors est-ce qu'il faut lire ou pas lire les aventures de Jésus Empanadas, le sans-papiers, en ce beau pays de France ? Si le premier opus passe à côté de son sujet, le second met le doigt sur la dimension kafkaïenne de la condition des migrants. On aime assez, donc, mais on est content qu'enfin, Jésus Empanadas puisse déguster ses petits verres de rhum à La Havane. Hasta Luego, amigo !



22/04/2024
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